Depuis 2009 le Centre LGBT (1) de Lille travaille sur la réalisation de deux brochures à destination des personnes lesbiennes et trans : une sur les risques du cancer du sein et une sur ceux du cancer du col de l’utérus. Coup de théâtre il y a deux mois, quand, suivant l’avis des médecins et des techniciens du comité de pilotage, le Conseil Régional se retire.
Sexe et orientation sexuelle sont des éléments discriminatoires dans l’accès aux soins ou à la prévention : « Être lesbienne induit quelque chose que les médecins zappent complètement », raconte Isabelle qui a coordonné le projet. « Construire avec des femmes des brochures sur le dépistage des cancers féminins » est donc apparu comme une nécessité politique qui s’inscrit « dans la continuité du mouvement des femmes ». Christophe qui a soutenu le projet, explique également : « Beaucoup de femmes qui ont des relations seulement avec des femmes n’ont pas de suivi gynécologique. Soit parce qu’elles ont été traumatisées par [des propos discriminants] ; soit, parce qu’elles ne prennent pas la pilule ou qu’elles n’ont pas d’enfants, et qu’elles ont donc moins accès aux soins liés à la sexualité, souvent pris en charge par les gynécos. »
Ces brochures sont destinées à rendre accessibles des informations pour des personnes plus exposées à certains cancers parce qu’elles sont exclues des circuits médicaux institutionnels. Le projet est validé comme un projet de santé communautaire : il s’inscrit dans une volonté de rassembler médecins, collectivités locales, État, et avant tout, les personnes concernées. Cela dans le but de « créer une réponse spécifique à un problème qui n’est pas forcément le problème rencontré dans la population générale », précise Christophe. « Dès qu’une communauté dit que la machine étatique coince, on lui dit non. [...] Le comité de pilotage n’a pas supporté de voir débouler une bande de lesbiennes ». Isabelle ajoute : « Les médecins ont très mal pris notre démarche de donner des informations médicales... Eux savent et pas nous ». « On a été un peu naïf peut-être », concède Christophe, affirmant que l’archaïsme du milieu médical était prévisible. C’est un « choc des cultures [...]. Le tabou de la sexualité est ressorti. […] Le projet a bousculé l’ordre établi des médecins. »
Pour Isabelle, on leur reproche « l’utilisation d’un "nous collectif", où l’autre est un égal, de faire des allers retours entre nos expériences. C’est une démarche féministe d’égalité... Et on nous dit qu’on n’y connaît rien, qu’il y a trop d’info [...]. C’est vraiment de l’antiféminisme. Ils cassent une dynamique de lutte. » Au-delà : « Quand elles ont voulu affirmer une spécificité liée à leur sexualité, ce n’est pas passé. Le comité n’a pas pu entendre que les lesbiennes ne sont pas des femmes comme les autres » ; Qu’elles puissent ne pas se reconnaître dans les schémas normatifs réservés aux femmes hétéros. « Ils veulent des brochures qui s’adressent à toutes les femmes mais c’est pas pertinent [...] des personnes sont dans un continuum d’identités très riche : de femmes à des personnes ne se définissant pas femme socialement, d’autres étant transgenres, d’autres encore transexuelles... »
Mais il n’y a pas deux manières de qualifier les choses : « Des femmes l’ont très mal vécu, dans leur ressenti c’est de la lesbophobie », affirme Christophe. « On le vit comme tel. On veut nous invisibiliser », conclut Isabelle. En se retirant du projet, le Conseil Régional cautionne. La Région s’était engagée à financer les deux brochures et mettre à disposition son réseau pour leur diffusion. Aujourd’hui, grand seigneur, elle ne réclame pas l’argent qu’elle a déjà filé, mais ne daigne pas répondre aux messages du Centre et des personnes qui se sont impliquées dans le projet.
(1) Lesbien Gay Bi Trans Queer Intersexe et Féminisme.