Henri est riverain du bois de Boulogne. Il a appris à connaître les hommes qui s’y prostituent. À une époque révolue, il a tenté lui aussi quelques passes. Il donne sa vision des choses.
« Il y a un peu plus de vingt ans la prostitution masculine était plutôt concentrée entre la porte de Gand et le quartier de la gare, le quartier « gay » de l’époque. Beaucoup d’homos et d’immigrés algériens habitaient ce quartier pauvre. Puis nous avons subit le refoulement des
pauvres, les étrangers d’abord puis les français. Certains homos se regroupant déjà au bois, d’autres ont suivi. »
Parcours et misère
« La prostitution a bien changé. Depuis, elle est plus précaire. Autour du bois de Lille, les prostitués ne sont pas plus de vingt-cinq personnes. La prostitution masculine, ici homosexuelle, est un phénomène qui concerne peu de personnes. La moyenne d’âge des prostitués a baissé comparée à une vingtaine d’années ; beaucoup sont dans des situations difficiles, au final rares sont ceux qui s’en sortent. Ici, la prostitution est un mélange de problématiques : les
drogues (notamment l’alcool), une dure confrontation aux normes hétéro sociales, des parcours de vie. »
Les tapins
Henri explique que ces hommes se définissent comme des victimes. « Contraints, forcés, par la vie. Ils commencent souvent jeunes, à une vingtaine d’années, à un âge où on rencontre en même temps la sexualité, la drogue. Ils disent détester les homos, leurs clients en l’occurrence. Certains disent qu’ils aimeraient être gigolo, mais ça ressemble plus à un genre de fantasme hétéro.
La plupart n’assume pas leur homosexualité, ou dans des cercles de connaissances restreints. La prostitution est un moyen de la vivre. Ils peuvent être installés, mariés, avoir des enfants. Leur discours peut être anar ou libertaire : pas de patron, pas d’usine, pas de mac. La plupart vient de milieux défavorisés. Certains sont SDF. De mémoire, ils ont tous un casier, jouent les durs parce que c’est l’image que la société attend d’eux et que cherchent les clients. Il y a aussi des roms, des gitans. Chaque groupe a ses coins. »
Dangereuses routines
« Un des gros problèmes, c’est l’absence de préservatif, souvent utilisé pour les fellations sur des mecs sales. La capote est en fait un
objet de protection, pas contre le VIH mais contre la crasse. D’autres risques sont liés à des clients, des malades mentaux, ou à la
visibilité des prostitués : il y a déjà eu des agressions, des attaques de groupes d’extrême droite. Et la police... Les clients achètent
de la disponibilité, une mise en situation, plus que de l’acte sexuel. Ce n’est pas tant la satisfaction sexuelle, qui importe mais
ses préliminaires. Ce mode de relation est dangereux. Passer du temps avec le prostitué, discuter, lui acheter des vêtements, lui
payer un resto. Tout ça peut finir sur une branlette de trente secondes. » Henri perçoit les clients, presque les mêmes depuis vingt
ans, comme des victimes eux aussi. « Victimes d’une misère sexuelle, affective, sociale. Ils sont également abimés par la vie. Les pénaliser pour leur sexualité, en faire des délinquants, serait une erreur.
Une façon de passer à côté des sources du problème. »
Violence et misère
« La prostitution est une violence. Mais le problème ce n’est pas de baiser. Cela peut rester très anodin. Le problème c’est le
capital et l’ordre moral (religieux). De se dire qu’on peut gagner autant pour si peu. Le drame social des prostitués qui se créent une identité schizophrénique, à force de cacher leur activité, leur sexualité. Aucune
association et aucune volonté politique ne répond à ce dont ces personnes ont vraiment besoin : un logement, un travail (de l’argent).
La prostitution c’est un ensemble de problèmes socioéconomiques, de misère auxquels personne ne s’attaque. En attendant, ce sont les plus pauvres qui en souffrent le plus. »