Dans certains quartiers de la métropole lilloise, la police n’est pas la bienvenue et ce n’est pas rare qu’elle soit reçue à coups de cailloux. Alors les policiers ciblés interpellent à l’aveugle et accusent une ou deux personnes de tous les torts : violence, outrage, rébellion, etc. L’histoire se termine bien souvent en comparution immédiate, moins de quarante-huit heures plus tard. Deux affaires récentes illustrent ce cas d’école.
Lundi 17 janvier 2011, boulevard de Metz à Lille. Une patrouille de police passe devant un groupe de dix ou vingt personnes. Soudain une pierre vole en direction du fourgon. Les agents interviennent et poursuivent un individu jusque dans une boulangerie. Fouad [1], jeune homme de 25 ans, n’a plus d’issue. Il est menotté et conduit au commissariat. Six policiers sont prêts à le reconnaître « formellement » comme étant le lanceur de pierre et l’accusent, en outre, de s’être rebellé lors de son arrestation. Pour lui, c’est la comparution immédiate, le mercredi 19 janvier. Ce jour, vers 11 heures, une avocate commise d’office a tout juste le temps de consulter le dossier. L’audience est ouverte à 14 heures. Pas un seul policier n’est présent, aucun avocat ne les représente. Les juges disposent de six dépositions, rien d’autre. Pourtant l’affaire est pliée, même si Fouad nie les faits. À la fin du procès, il sera – de toute façon – condamné.
À la barre, son avocate tente comme elle peut de démonter les assertions bancales des policiers. Ils sont six à l’avoir identifié mais, étrangement, deux d’entre eux l’ont reconnu sans l’avoir vu et un troisième alors qu’il avait le dos tourné. L’avocate soulève des incohérences dans les descriptions vestimentaires. Selon les agents, le lanceur de pierre portait un sweat-shirt avec une inscription au niveau de la poitrine. Or le jeune homme, qui n’a évidemment pas eu le luxe de se changer durant sa garde à vue, porte les mêmes habits qu’au moment des faits. Et les juges peuvent constater par eux-mêmes l’absence de toute inscription. Enfin, la boulangère qui a pu observer l’arrestation dans sa boutique affirme que le prévenu ne s’est à aucun moment rebellé. Autrement dit que les policiers ont menti. C’est pour ces éléments à décharge, nous dira son avocate, que le jugement n’est pas trop sévère : « Il pouvait prendre plus cher ». Relaxé pour la rébellion, Fouad écope de trois mois de prison sans mandat de dépôt pour violence avec arme et en réunion. On lui substituera certainement le bracelet électronique aux barreaux.
Lundi 7 février 2011, rue de Flandre à Roubaix. Des policiers recherchent une voiture qui leur est passée entre les mains quelques minutes plus tôt. Ils voient un jeune homme de 20 ans dans la rue, sont sûrs de reconnaître le conducteur et interviennent. Forcément, ça dégénère. Une vingtaine de personnes sont sur les lieux. Des cailloux atteignent la voiture de police. Ça gaze. Amin en prend visiblement plein dans la gueule, tout comme une personne atteinte de trisomie 21 dont les blessures seront attestées par un certificat médical. Le frère d’Amin est arrêté aussi, et tous deux finissent au poste. Jusqu’au mercredi 9 février, jour de leur comparution immédiate. Accusés d’outrage, rébellion, refus d’obtempérer, destruction de « bien public » – i.e. le carrosse des bleus… Vers 13 heures, soit une heure avant le début de l’audience, ils rencontrent leur avocate commise d’office. Cette dernière remarque tout de suite le visage tuméfié d’Amin, marqué par « son nez bleu et gonflé ». Sa veste aussi, remarque-t-elle, est « maculée de son sang ». Le frère, lui, ne comprend pas ce qu’il fait ici. Mais le mouvement de suspension des audiences engagé par les magistrats suite aux déclarations de Sarkozy tourne en leur faveur : leur comparution est finalement renvoyée au 8 juin. Ils sont relâchés sans contrôle judiciaire et auront le temps de préparer leur défense.
[1] Les prénoms ont été modifiés.