Exploitation de masse

policeEn 2011, 17 497 personnes incarcérées ont exercé une activité professionnelle en prison, soit près d’un tiers de la population carcérale. Le tout sans contrat de travail, par le biais d’un acte d’engagement dont les clauses sont définies par l’administration pénitentiaire et les entreprises. Des salaires entre 20 et 45 % du SMIC, avec une moyenne à quatre euros brut de l’heure, un trimestre sur quatre validé pour la retraite sur une année complète de travail (Le Monde, « Travail en prison, comment ça marche ? », 11/09/12). Non, ce n’est pas le bagne... Mais ça y ressemble fort. Un ancien salarié de la pénitentiaire témoigne.

 

De plus en plus d’activités autrefois dans le domaine public basculent dans le champ privé marchand. Il en est ainsi des multiples corps de métiers présents à l’intérieur d’une prison. Comme à Annoeullin, Sequedin (construite en 2004 par Eiffage) est une taule qui met les détenu-es à disposition du privé. L’appel d’offre entre l’établissement pénitentiaire et Sodexo a été renouvelé en 2010.

Hector, ancien de Sodexo Justice Service* [1] à la prison de Sequedin : « Sodexo s’occupe de l’accueil des familles, d’une partie de la gestion des parloirs, du travail pénitentiaire, de la formation professionnelle, des repas, de la maintenance des locaux, du nettoyage, de la blanchisserie, des espaces verts, etc. Sur quasiment tous ces postes, ce sont des équipes de détenu-es qui travaillent. Bien sûr, ils sont encadrés par des salariés de Sodexo, mais la force de travail, ce sont les détenus. » Et Hector de s’interroger : « Étant dans un système d’appel d’offre, on peut parler de concurrence entre les entreprises telles que Sodexo et Themis. On pourrait également soupçonner une entente. Quand on sait que seules des grosses boîtes peuvent répondre à des marchés pareils, on se demande dans quelle mesure il n’y a pas un partage du marché et une entente préalable sur la fixation des prix. Comme tout ça reste secret, c’est impossible à vérifier. »

Cercle vertueux

Lorsqu’une entreprise décroche un tel marché public, elle est assurée de mettre le grappin sur une main d’œuvre corvéable dont personne ou presque ne se soucie. Les entreprises comme Sodexo et Themis se gavent sur le dos des détenu-es : « Les salaires s’échelonnent entre 150 et 300 euros par mois. Il y a beaucoup de travail payé à la pièce également. »

L’État, lui, n’a plus qu’à veiller sur ses propres intérêts économiques en guettant le non-respect des engagements prévus par les clauses du marché public. Hector précise : « C’est ce qu’on appelle un marché ’’performantiel’’. Tout est défini en termes de procédures et d’objectifs à réaliser, avec un système de pénalités financières. L’institution a créé des postes de ’’contrôleurs de marché’’... Un jour les types débarquent et ils vérifient tout : temps d’intervention des équipes de maintenance, la hauteur de la pelouse, les ingrédients contenus dans une recette de cuisine – j’ai déjà vu une amende de 15 000 euros pour un oubli de mozzarella dans une recette », poursuit notre informateur. En somme, en déléguant ses responsabilités, l’État garantit des détenus pour les entreprises, les entreprises récupèrent de l’argent public, pressent les détenu-es pour plus de profit et l’État se sucre au passage. Une belle mécanique sociale.

« Préparer la sortie »

Dans les « objectifs de réinsertion » des établissements pénitentiaires, on apprend aux engeôlé-es à se faire exploiter : une bonne préparation à leur future vie. Comme dans le monde extérieur, la demande de travail dépasse l’offre : « Dans certains établissements on compte moins d’un poste de travail pour deux demandeurs. Pourtant on sait que ça pèse dans la balance devant un juge en commission de révision des peines... » Comme dans le monde extérieur, il est difficile de suivre un parcours de qualification : « Certaines formations ne sont disponibles que dans un seul établissement pénitentiaire en France, la seule solution pour un-e détenu-e qui aurait un projet professionnel précis serait donc de changer de prison. Soit t’es mobile et tu te coupes de ta famille, soit tu tires une croix dessus. »

Comme à l’extérieur, la concurrence dresse les personnes les unes contre les autres : « Si quelqu’un veut balancer un trafic à un surveillant contre un travail... Ça marche bien ! » Comme à l’extérieur, les femmes ont plus de difficulté à travailler : « Bosser là où il y a des hommes, c’est impossible car il n’y a pas d’équipe de travail mixte. Donc pour les femmes, c’est une difficulté supplémentaire pour accéder au travail. Elles n’ont pas accès aux ateliers ni aux cuisines, etc. Elles peuvent faire la buanderie... Elles ont également moins de choix de formations. À Sequedin elles ne pouvaient que se tourner vers la maintenance et l’hygiène des locaux. » Et comme dans le monde extérieur, ne pas se révolter, ou en payer le prix.

 

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