Selon le rapport annuel 2011 de l’Observatoire International des Prisons, plus de 20% des détenus sont touchés par des troubles psychotiques (schizophrénie, paranoïa...). Si l’on y ajoute les personnes atteintes de dépression ou de troubles légers, le chiffre grimpe à 40%.
Pour faire face à la récurrence des problématiques psychiatriques et psychologiques dont souffrent les personnes incarcérées, des Services Médico-Psychologiques Régionaux (SMPR) ont été créés en 1985. Ces services se déclinent sous la forme de Dispositifs de Soins Psychiatriques présents dans les prisons. L’objectif de ces services est de dépister les troubles, mettre les gens sous traitement, organiser des activités thérapeutiques... Il y a en a deux dans la région (Lille et Amiens).
L’hospitalisation est diurne. Il n’y a aucun personnel la nuit. Une goutte d’eau dans la merde donc, puisqu’en vingt ans, « 40 000 lits de psychiatrie ont été supprimés […]. De nombreux malades sont mal soignés, sans traitement […] et finissent par se retrouver en prison. » [1] On assiste à un véritable transfert de la prise en charge des personnes atteintes de graves troubles psychiques de l’hôpital vers la prison et « rien n’est mis en place pour que ces personnes évitent d’arriver en prison. »
« La prison c’est le traitement idéal pour rendre quelqu’un fou »
Les bénévoles de l’OIP [2] suivent plusieurs schizophrènes en détention : « Il est flagrant qu’ils n’ont rien à faire là. C’est un problème en prison mais bien plus global : comment la société traite-t-elle ses malades mentaux ? La réponse aujourd’hui c’est la pénalisation de la maladie mentale. En prison, certaines manifestations de la maladie mentale sont traitées sur un mode disciplinaire. Les personnes se retrouvent bien souvent au mitard. »
La France a déjà été condamnée pour avoir placé des personnes en quartier disciplinaire sur de longues périodes amenant certaines personnes à se donner la mort. Les situations sont souvent alarmantes : « Nous suivons les recours d’un détenu schizophrène à Valenciennes dont l’état s’est considérablement dégradé depuis qu’il a été incarcéré. [...] La famille se bat pour le faire sortir parce qu’il est passé d’un état mutique avec des hallucinations à des épisodes intenses d’automutilation. » La cour administrative d’appel de Douai vient de condamner l’État à verser 12 000 euros pour réparer le préjudice moral qu’il a subi du fait de conditions de détention indignes et d’une prise en charge psychiatrique inadaptée. « Dans le même temps, l’ensemble de ses demandes d’aménagement de peine ont été rejetées ». Au-delà de la maladie mentale : « La prison rend malade. Beaucoup de personnes deviennent dépressives, insomniaques, stressées, angoissées. »
Enfermons-nous les uns les autres
L’OIP constate un manque de psychiatres dans les prisons de la région : « Certains postes peuvent être budgétés mais inoccupés ». L’accès au soin est très variable : « Il y a un équivalent temps plein de psychiatre à Bapaume ». À Sequedin, « il y a davantage de psychiatres, mais ce n’est pas suffisant au regard de la surpopulation - près de 800 personnes pour 590 places ». Et il ne faut pas être pressé. Une personne à Maubeuge : « Il a attendu plus de deux mois pour être hospitalisé au SMPR, maintenu à l’isolement par l’administration pénitentiaire qui l’a finalement transféré dans une autre prison spécialisée dans l’accueil de personnes souffrant de troubles mentaux à Château-Thierry. »
Le SMPR de Lille devait justement obtenir des locaux pour des ateliers thérapeutiques : « finalement l’administration pénitentiaire a préféré utiliser les locaux pour installer un centre national d’évaluation ». Alors même que Sequedin s’est « tristement illustrée par le nombre de suicides de détenus, parmi les plus élevé de France. » [3]
« L’administration témoigne souvent d’une méconnaissance totale des problèmes psychiatriques et certains surveillants ne sont pas vraiment connus pour leur psychologie », nous dit Anne Chereul. Hector se replonge brièvement dans cet univers où la mort plane constamment : « Les suicides ou tentatives, tu peux les apprendre avec quelques jours de retard mais aussi par les médias. Et encore, après faut encore savoir qui. Cette gestion opaque génère des situations critiques mais aussi de l’angoisse pour les salariés et pour les détenu-es. Et jamais l’administration ne prononce un mot en cas de décès. »
Monnaie courante
Hector explique également : « J’ai vu des personnes atteintes de cancer ou de maladie grave, de problèmes d’addiction... Avec les problèmes d’accès aux soins ou à l’information, ou bien des problèmes de comportement ou d’hygiène qui peuvent être importants. Quand t’es en cellule avec quelqu’un qui se chie dessus, par exemple... » Ce qui l’a marqué aussi, c’est la banalisation de certains actes : « Les auto-mutilations sont des choses assez courantes quand tu travailles en prison, avec notamment des lacérations sur les bras ; des gens qui ne sont pas forcément fous mais qui sont dans une souffrance telle par rapport à leur arrestation ou leur enfermement : jusqu’à tenter de se couper au niveaux des parties génitales. » Et les détenu-es vont devoir continuer de se taper la tête contre les murs en béton, en attendant le capitonné... Le premier hôpital-prison de la région ouvrira ses portes en 2013, à Seclin [4]. Anne Chereul y voit « une réponse en aval plutôt qu’en amont, ce qui ne peut avoir comme effet que de multiplier le nombre de personnes souffrant de troubles psychiatriques en prison. »
[1] Rue89.com, « Un quart des détenus souffrent de maladies psychiatriques », 21/05/10.
[2] Voir le lexique.
[3] Senat.fr, question de Marie-Christine Blandin.
[4] Nord Éclair, « Un hôpital pour détenus en mai 2013 », 28/02/12.