l y a quelques mois, Jean-Michel* est licencié de la Caisse Solidaire. Il témoigne ici des dérives de cet établissement, où la rentabilité prend de plus en plus le pas sur la solidarité.
Il y a 10 ans, la Caisse Solidaire Nord-Pas-de-Calais voit le jour. Pour J-M, « le projet naît du constat suivant : la région connaît d’un côté un chômage important, de l’autre, elle a beaucoup de retard dans la création d’entreprises ». Il s’agit donc de créer « un outil pour les chômeurs-entrepreneurs ». Le capital de départ nécessaire pour lancer l’activité financière est réuni notamment grâce au Conseil Régional, au Crédit Coopératif ou à la Caisse des dépôts et consignations (1). La Caisse solidaire récolte l’épargne de petits épargnant-e-s, rémunérés entre 2 et 0 %, et alloue en contrepartie des prêts à des sans-emplois non solvables pour financer leur projet entreprise (2).
Mais quand les entreprises capotent, difficile pour ces personnes de rembourser. Résultat : depuis la création de la Caisse Solidaire, les pertes s’accumulent. Logique, dira-t-on. Mais au départ, cela ne pose pas
de soucis. La Caisse solidaire est « un outil politisé » selon J-M. « C’est le seul établissement qui fonctionne alors sur cette forme là. Ce système de collecte d’épargne et de prêts aux chômeurs est un outil innovant, une sorte de vitrine politique. Puis d’autres banques sont arrivées sur ce marché des chômeurs-entrepreneurs, la Caisse Solidaire devient alors moins innovante ». Petit à petit, l’établissement se retrouve face à ses pertes financières.
Recrutement chez Cofidis
En 2002, « c’est la première crise, il y a un taillage dans les effectifs ». Les bureaux de Lens et Calais sont fermés et on passe de 8-10 salarié-e-s à 3 postes. Entre temps, le Crédit Coopératif est racheté par la Banque Populaire qui impose M. Chaigneau à la direction déléguée de la Caisse Solidaire, « pour restructurer » d’après J-M. « On baisse les coûts de structure, et les nouveaux embauchés sont censés relancer l’activité commerciale. Mais faire plus de prêts à des gens pas solvables aboutit au même résultat : toujours plus de pertes ». Le Crédit Coopératif prend de plus en plus le contrôle sur l’établissement : il a la main sur l’épargne et l’accès à toutes leurs données.
En mai 2006, une nouvelle directrice débarque, Catherine Martin. Elle vient de Cofidis (3). « Elle est embauchée pour faire le ménage ». Les prêts aux chômeurs et chômeuses motivés se font de plus en plus rares : « Elle nous incite à ne plus sortir, à ne plus voir de gens. À chaque proposition de prêt, la nouvelle direction nous mettait des bâtons dans les roues pour que cela devienne impossible pour le porteur de projet. Avant, sur dix dossiers, huit étaient acceptés. Par la suite, ce sera moitié moins. Cela devient plus restrictif qu’une banque classique ! ».
Chômeurs, remboursez !
Auparavant, en cas de faillite d’une entreprise, la Caisse Solidaire négociait un échelonnement du remboursement au porteur de projet, parfois jusqu’à 20 euros par mois. Désormais, l’appel à l’huissier est quasi automatique. La direction est « plus cash, plus agressive ». Ainsi, lorsqu’un chômeur voit son commerce fermé le 28 février 2007, un courrier de la Caisse Solidaire daté du 16 mars le met en demeure de rembourser 11 468,87 euros...
Une nouvelle directrice “embauchée pour faire le ménage”
Le « management » des salarié-e-s se durcit également. Pour J-M, alors que tout se passait très bien avec son ancien chef, Mme Martin le descend dans un entretien en décembre 2006 : dans son compte-rendu, elle martèle le « manque de rigueur », « de nombreuses erreurs ou oublis », elle souligne qu’il « doit régulièrement être rappelé à l’ordre et montre peu d’empressement à connaître et appliquer les règles », etc, etc. Espérant peut-être le licencier pour faute, « elle est même venue plusieurs fois pour que je signe son papier ».
En novembre 2006, la décision tombe : la Banque de France interdit à la Caisse de continuer ses activités de prêt et d’épargne. En mars 2007, l’épargne peut reprendre, et un plan de recapitalisation est en cours4. Grosso modo, c’est le Conseil Régional qui épongerait les dettes, et le Crédit coopératif, avec un nouvel apport en capital, mettrait la Caisse Solidaire entièrement sous son contrôle. Dès la reprise de l’activité crédit, la Caisse Solidaire souhaite établir une « stratégie de crédit recentrée ». Cibler des territoires défavorisés, soutien aux associations, à la filière développement durable, mais aussi « accompagner des projets emblématiques (l’implantation du Louvre à Lens par exemple) »... Également, la part des « crédits solidaires » va diminuer en faveur des « placements de trésorerie » (5).
En conclusion, selon J-M, « l’optique c’est on purge la bête, puis on remet du capital et on fait ensuite ce que l’on veut de l’outil ». Le Crédit Coopératif souhaiterait également voir la Caisse Solidaire mettre en place « l’épargne salariale solidaire », plutôt lucrative. « Ce que veut le Crédit Coopératif : récolter un max d’épargne et faire un minimum de prêts pour équilibrer les comptes, et transformer l’outil régional en outil national. » En résumé, il s’agit de rentabiliser un outil qui, à l’origine, n’a rien de rentable. En gardant le label « solidaire » bien sûr.
1 : Le Conseil Régional apporte le tiers du capital, puis un tiers par le Crédit Coopératif, la Caisse des Dépôts et Consignations, Finorpa et Gipel, puis vient le Crédit Agricole, Autonomie-Solidarité, les Cigales, et des acteurs de l’économie solidaire et de l’économie sociale.
2 : Elle accorde aussi des crédits aux associations. En dix ans, la Caisse annonce avoir financer 1147 projets, et permis la création de 546 entreprises. Elle ne précise pas le nombre de faillites. Pourtant, au moins 25 % des créations d’entreprises financées et accompagnées ne passent pas le cap des cinq ans.
3 : Cofidis propose toute la gamme des crédits à la consommation : le meilleur moyen de s’endetter à des taux exorbitants, qui fout des tas de gens dans la merde.
4 : 1,5 millions d’euros vont être réinjectés dans le capital
5 : Pour 100 euros disponibles, 52 euros allaient auparavant aux crédits solidaires. L’objectif est désormais de passer à 36 puis 25 euros : en clair, la Caisse va accorder de moins en moins de prêts, lui préférant les placements de trésorerie, moins risqués (source : La Lettre de la Caisse Solidaire, août 2007).
* prénom modifié
S.G