Avant propos : Nous avions décidé de chroniquer L’insurrection qui vient, dans le numéro de septembre 2008. Devant les polémiques et discussions qu’il a soulevées au sein de la rédaction, nous nous étions laissé plus de temps. Aujourd’hui (début janvier 2009), l’actualité nous a rattrappés, Julien Coupat et Yldune Lévy sont encore emprisonnés, accusés d’avoir théorisé dans ce livre le sabotage des voies SNCF le 11 novembre. Devant la spectaculaire construction idéologique d’un nouvel ennemi intérieur, nous affirmons notre solidarité avec les personnes arrétées et condamnées, coupables ou non.
Comment prendre L’insurrection qui vient, du Comité Invisible ? Missile éditorial, ou gravier dans une flaque ? Tantôt réjouissante ou inquiétante, cette sorte d’avertissement s’écrase-t-elle comme d’apocalyptiques phantasmes petits-bourgeois devant une situation « plus-compliquée-que-ça » ? Ou s’élance-t-elle à l’assaut du « meilleur des mondes », chargée de nos rêves de révolte les plus fous ? À La Brique, on se déchire encore à l’évocation du titre, disposé-es que nous sommes à dire du bien de la subversion... mais autant qu’on pourra, aussi, à en défoncer les tartuffes.
« Le présent est sans issue », la suite peaufine l’idée : « Le futur n’a plus d’avenir‘ est la sagesse d’une époque qui en est arrivée, sous ses airs d’extrême normalité, au niveau de conscience des premiers punks. » Amers mais dynamiques, cyniques jusqu’à la lie, les « auteurs » tracent les contours aux rayons X d’une société fracturée, déconnectée de tout ce qui devrait la constituer. La France serait son terrain clinique, mais la rumeur insurrectionnelle se répandrait par échos-radar au « reste du monde ». En sept chapitres décrivant le biotope social, de l’individu à la civilisation (passant par le travail, l’environnement, la ville-campagne...), le Comité rend visibles les soubresauts et les craquelures de ce monde, pour leur donner la cohérence d’un terreau populaire riche de germes. Mais le décrivent-ils ou le rêvent-ils ?
Nouveau siècle, nouveaux théoriciens ?
La solution à ce chaos se trouverait en constituant des « communes », la seconde partie du livre, afin de préparer l’insurrection : si elle vient, elle le fera nécessairement hors des partis, des syndicats, hors des « orgas ». Pourtant, qui a jamais douté des constitutions de Conseils (= communes), comme lors de parlementarismes en crise ? Des expériences spartakistes de 1919 aux AG souveraines de le Commune de Oaxaca, pas nous. Aussi, le Comité nous annonce moins quand ça va péter que comment ça ne peut plus que péter : par ce que le « présent est sans issue », constat définitif...
Constat... ou lieu commun ?
« Le quart des espèces de poissons a disparu des océans, le reste n’en a plus pour longtemps ». Ces « auteurs », oui, ou non, ont-ils trouvé ça tout seuls ? Établir analogie sur amalgame pour en dégager du sens, ce Comité s’en tire avec souvent un sacré toupet... mais de façon toujours à nous interroger, nous dé-ranger.
Au milieu du fatras d’éléments enchevétrés et présentés, tels les cercles de l’enfer de Dante [1], comme les limites de notre société en faillite, devant tant d’impasses et de désillusions, il fleurit néanmoins en même temps des richesses humaines et sociales inespérées, motrices d’un espoir propre à nourrir Le changement. « Un monde où ‘’devenir autonome’‘, est un euphémisme pour ‘’avoir trouvé un patron’‘ (...) ‘’Devenir autonome’‘, cela pourrait vouloir dire, aussi bien : apprendre à se battre dans la rue, à s’accaparer des maisons vides, à ne pas travailler, à s’aimer follement et à voler dans les magasins ». Ces « auteurs » donnent à l’insurrection une fonction de fin, et non plus de moyen.
« Nous sommes du côté de ceux qui s’organisent »
Là où toucherait L’Insurrection, lorsque L’Appel [2] ou Debord ramèrent méchamment, ce pourrait être par cette relative accessibilité au lectorat non-averti. Rhétorique simple, affirmative, revêche, même, langage courant, parfois soutenu... mais qui a, hélas, aussi ces attraits de la séduction facile et de l’esbroufe. Elle se voudrait lisible aussi bien dans les maisons de retraites que dans les cours de lycées, c’est là sans doute son prétentieux pari : seules des bribes du « mouvement anarcho-autonome », ou encore « MAM », flique en chef, premiers concernés, y ont donné un tonitruant écho. La toute nouvelle DCRI [3] et ses médias (qui mentent) passent pour en faire le nouveau texte subversif [4], avec lequel il vaut toutefois mieux ne pas se faire contrôler [5].
Le lira-t-on enfin aussi dans les queues du Secours Pop’ ou les cafés obscurs, ou encore juste dans les salons en réseau de la gôche [6], derrière son terminal ADSL ? Pour l’instant, si l’insurrection vient, la réaction, elle, va à cette époque comme un gant plombé . Ainsi, si la « guerre sociale » attendait une déclaration, c’est à présent archi-fait [7].
L’Insurrection qui vient, Comité Invisible, La Fabrique, Paris, 2007, 125p. 7€, gratuit sur www.lafabrique.fr.
1 :
Septembre – décembre 2008
S.L.
[1] Dante Alighieri, La Divine Comedie, Garnier Flammarion.
[2] L’Appel, petit livre bien mechant et assez dur a trouver de nos jours, qui est un appel à l’organisation
[3] Direction centrale des renseignements généraux.
[4] cf. Mauvaises intentions, L’outil « antiterrroriste » et la « mouvance anarcho-autonome », mai 2008, infokiosque.net.
[5] cf. la lettre d’Isa, La Brique n°9, page 5, et les cas d’Ivan et Bruno in Mauvaises Intentions, op. cit., p.34.
[6] voir le début de « dialogue » entre Hazan, l’éditeur, in Cette Semaine, n° 96, août 2008, p. 15, rubrique Correspondance sur la solidarité. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
[7] Sous-commandant Marcos, La 4ème Guerre Mondiale a commencé, Le Monde Diplomatique, août 1997.