Vous avez vu la dernière couverture de CQFD représentant un patron étouffé par les énormes seins d’une Guadeloupéenne ? Si le message est bien accompagné des nombreux acquis obtenus par 44 jours de grève général e, l’image peut laisser perplexe. Réponse d’un correcteur de La Brique : « Et pour une fois qu’une femme de surcroît noire symbolise à elle seule l’étouffement jubilatoire du capitalisme colonialiste, on ne va pas bouder son plaisir ni commencer à se tire-bouchonner le ciboulot pour savoir si c’est politiquement correct ! » De notre côté, quand nous avons reçu le dessin de notre copain OLT pour illustrer les luttes féministes, la question s’est également posée :
Représenter la femme ou les femmes ?
OLT s’est inspiré de Grandjouan qui a publié son « Premier mai » dans L’Assiette au beurre (voir ici). Plusieurs images viennent à l’esprit. Et d’abord les allégories, c’est à dire le fait de représenter une idée abstraite par une figure peinte ou sculptée, telle Athéna et la guerre, Marianne et la République, la femme au bonnet phrygien et au drapeau tricolore représentant la liberté [1]. D’autre part, des Grecs à Julien Clerc, une certaine image féminine s’est imposée, confinée au domaine de la reproduction de l‘espèce et privée de la parole politique : « La Maman et la Putain » [2] !
Nudité
Continuité d’une image faite pour et par les hommes, alors que les femmes ne s’approprient pas toujours cette représentation. Prenez Causette, un nouveau mag féminin qui vient de sortir. Sa première couverture parodie la photo de Cohn-Bendit en 1968 face au CRS, la femme mettant sa poitrine nue en avant. Dans la grande majorité des médias illustrés (et on ne parle pas de pub...), les femmes sont plus représentées nues que les hommes. Si, à un certain moment, la nudité a pu être synonyme d’une libération, la question semble moins d’actualité.
Bien sûr, on reste loin de l’image de l’épouse dévouée, de la femme fatale ou de la carriériste agressive mais toutes ces représentations soulèvent des questions de domination et d’éducation.
Le 8 mars...
Faisons le parrallèle avec le 8 mars, journée internationale des femmes. D’un côté, l’occasion est belle de rappeler l‘importance des luttes féministes et leur actualité (violences, inégalités professionnelle et sociale). De l’autre, participer à cette journée ne revient-il pas à se donner bonne conscience ?
Nous avons posé la question lors de la conférence de presse de la Maison des Femmes [3] à Lille le 6 mars dernier. Roselyne Thiesset admet que « c’est mieux que rien », mais souligne l’importance de cette journée historique ancrée dans le mouvement féministe, de Clara Zetkin aux luttes d’émancipation des années 1970. Pour « beaucoup de pays du Sud, où c’est moins facile pour les femmes de porter ces revendications, c’est aussi un moment important ». On ajoutera que pour beaucoup de femmes des pays du « Nord », c’est également la possibilité de se retrouver et d’échanger.
... et la femme universelle
En créant une journée à part, ne crée-t-on pas une catégorie à part ? Qui, aujourd’hui, insiste pour dire que cette journée est celle « des femmes » et non celle de « la femme », donnant ainsi une image universelle et unique (l’idée d’un éternel féminin), niant les pluralités et les particularités des femmes ? C’est aussi pour combattre ces stéréotypes que Roselyne Thiesset décrit la condition féminine comme un résumé de toutes les discriminations (raciales, sociales, économiques...) que peuvent subir les êtres humains. Et c’est bien pour cela, qu’à La Brique, on s’interroge également sur nos dessins et sur leurs significations, bien au-delà des stéréotypes qu’on retrouvera un peu partout, souvent dans la presse « provocatrice », parfois dans la presse dite alternative.
C.G
Article publié en mars 2009.
Réponse d’un lecteur au numéro suivant :
C. G. s’interroge sur la nudité des femmes dans les représentations ambiantes et comme avec le retour des beaux jours jeunes filles et jeunes femmes aiment à se (dé)vêtir en conformité avec lesdites représentations, je me demande tout simplement où commence et où finit la nudité. Je veux dire par là qu’il y a des corps nus banalement nus et des corps habillés outrageusement nus. Mettons que ça commence avec cette peinture qui fit un scandale qu’on n’imagine plus aujourd’hui, l’Olympia de Manet, par laquelle cette sorte de plus petit commun dénominateur, le ruban au cou d’Olympia, se met à tirer comme par enchantement le maximum de signifiance de son insignifiance même. Toujours chez Manet, pourquoi Le Déjeuner sur l’herbe suscita un tel tollé alors que Le Concert champêtre de Titien dont il est le remake n’était trois siècles et demi auparavant qu’une peinture classique vaguement allégorique parmi d’autres ? Je parle du nu en peinture parce que de la Renaissance jusqu’au début du XXème, l’art fut en très grande partie l’histoire des représentations du nu (féminin). Seulement, il n’y a plus de peinture. La photographie lui a succédé, le cinéma puis, tout étant art depuis Marcel Duchamp, tout le reste enfin. Et l’éros, puisque c’est quand même bien de lui dont il est question, s’est diffusé non seulement dans les représentations, par exemple la pub, mais dans les performances, dans les night clubs, sur les plages, à la télé, dans les rues. Tout étant art, l’éros n’est plus ici dans une alcôve, ou là derrière une autre toile ainsi qu’il en alla de La Naissance du monde chez Lacan, ou encore dans l’Enfer de la Bibliothèque nationale. Il n’est non plus dans le référent culturel sous couvert de mythologie, il est partout, c’est-à-dire nulle part. Revenant du Japon, Roland Barthes eut cette phrase : « Le sexe est partout sauf dans le sexe. » Or, c’est difficile d’entrer en compétition avec ça, comme disait Russ Meyer. Dans cette mesure, puisque la question de la pertinence d’une illustration dans un journal ne peut pas ne pas se poser, je me demande quel était l’intérêt non pas de passer la célèbre première page de L’Assiette au beurre qui, dans la veine de l’art pompier d’alors aurait au moins eu valeur de référence culturelle, mais cette copie sans intérêt qu’aucun contexte ne justifie plus.
Zerbin Buler