En septembre dernier Martine Aubry, maire de Lille, officialise son adhésion à la vidéo-surveillance, comme si la ville en était préservée jusque là.
L'occasion pour La Brique de faire un 360° de la situation locale avec un contributeur de lille.sous-surveillance.net, un site collaboratif qui cartographie l'emplacement des caméras sur la métropole depuis 2013 et qui propose des ressources critiques contre les technologies de flicage.
C'est quoi le réseau sous-surveillance.net ?
C'est un réseau militant auquel on s'est greffé à l'occasion de quelques rencontres. C'est une plateforme participative pour cartographier les caméras de surveillance d'une ville. N'importe qui peut se créer un identifiant et ajouter des caméras sur la carte quand une nouvelle est repérée, il est possible de préciser la marque, le propriétaire, le type (boîte ou dôme) et l'orientation... Le site permet aussi de publier des articles et des ressources sur le sujet. On s'est dit qu'il y aurait bien besoin d'avoir une cartographie des caméras de surveillance de Lille.
Et qu'est ce que ça donne ?
Il y a déjà les 3700 caméras du réseau Transpole, les stations de métro et leurs abords, les rames, les bus, et toutes celles qui sont arrivées depuis ce décompte qui date de 2010, amenant sans doute le chiffre à plus de 5000. C'est Aubry, en tant que présidente de la communauté urbaine, qui a initié les installations dès 2003. Petit à petit, le discours municipal s'est enfermé dans cette contradiction, affirmant qu'il n'y avait pas de vidéo-surveillance à Lille, au prétexte qu'elles étaient principalement dans les transports. En fait, la vidéo-surveillance a progressivement dépassé ce cadre pour arriver sur la voie publique, autour des bâtiments officiels, sur les grands axes routiers de la ville... Maintenant, il y en a aux principaux ronds points et carrefours stratégiques. Si tu veux rentrer ou sortir de Lille, t'es filmé ! On estime à un millier le nombre de ces caméras sur la voie publique. On en a répertorié 552.
Martine Aubry s'est longtemps montrée opposée à la vidéo-surveillance. Quelle est la stratégie municipale sur la question ?
Mener une politique sécuritaire, tout en disant : « On est contre, on défend les libertés individuelles ». On a banalisé et habitué les gens à cette présence dans les transports en commun, là où il y avait le moins de réticence. Même si il y a moins de caméras qu'à Paris ou Lyon, la mairie implante des caméras sur la voie publique au fur et à mesure, l'air de rien. Une année, celles soit-disant installées temporairement pour la braderie de Lille sont restées en place... Avec toutes ces conneries d'insécurité depuis plusieurs années et la montée du FN, des maires socialistes disent : « Si on ne fait pas de la sécurité comme ça, les gens vont plus voter pour nous ». Plutôt que d'expliquer pourquoi ce type de répression et de contrôle ne sert à rien, ils préfèrent répondre aux attentes de ces électeurs même si elles vont à l'encontre de leurs principes politiques et même si elles ne résoudront aucune question sociale.
L'exemple de la rue Jules Guesde à Wazemmes est flagrant. Après s'être positionnée contre pendant longtemps, la maire plie sous la pression de l'union des commerçants, des riverains, et la rue devait être quadrillée en janvier.
Qu'est-ce qui réglemente l'implantation des caméras ? Comment tout cela est « contrôlé » ?
Toute installation de vidéo-surveillance par une municipalité, un particulier ou une entreprise doit faire l'objet d'une autorisation auprès de la préfecture, ensuite être affichée en mairie (comme les permis de construire) sur un panneau bien planqué. Pour des lieux comme les supermarchés, une réglementation précise devrait s'appliquer : signalisation à l'entrée d'un dispositif de surveillance avec le nom et le contact de la personne en charge. Sauf que la plupart du temps, il n'y a pas de signalisation ou alors incomplète et l'écran de contrôle est au niveau des caisses, donc à la vue de tout le monde. Mais la police municipale semble se montrer plutôt complaisante à l'égard des commerçants sur ce sujet, comme lorsqu'elle laisse filmer une terrasse de café.
Est-ce que la vidéo-surveillance ne crée pas un imaginaire collectif où le délit est forcément quelque chose de visible, qui se passe dans les espaces publics ?
C'est exactement une critique que nous développions dans un article publié récemment sur le site, « Construire des nouveaux chemins de traverse ». C'est un outil qui nous habitue à l'idée que la délinquance est dans la rue alors qu'elle existe aussi dans les sphères de pouvoir, dans la finance. On en oublie qu'il y a des choses bien plus graves et dommageables pour la communauté, jamais filmées. Ça crée aussi un imaginaire où la violence et l'insécurité sont partout. Est-ce que la vue d'une caméra rassure ? Ou est-ce qu'on a subitement l'impression d'être dans un lieu qui n'est pas sécurisé ? Les effets des caméras sont très ambivalents, pas du tout prouvés, très contradictoires. À Loos, où la vidéo surveillance est arrivée en masse, le quartier des Oliveaux, quartier populaire, est quadrillé de caméras jetant une suspicion malsaine sur ses habitants. C'est stigmatisant.
Ces dernières années, le terme « vidéo protection » s'est répandu. Ce changement de qualificatif n'amène-t-il pas aussi à penser que tout doit être surveillé ?
Ce terme laisse penser que la surveillance est bienveillante, attentionnée. C'est un marqueur idéologique de la droite ou de l'extrême droite. Même les journalistes de la presse pourrie n'osent généralement plus parler de « vidéo protection », à quelques exceptions près. Localement, les deux gros journaux du coin que sont La Voix du Nord et Nord-Éclair n'ont aucun recul, aucune opposition. Leurs titres sont éloquents : « La vidéo-surveillance permet d'empêcher certains rassemblements en centre ville » ; « Frévent : un homejacking élucidé avec l'aide de la vidéo-surveillance » ; « Corbehem : jugée efficace, la vidéo protection va être renforcée »... Il n'y pas de place au débat, tout en usant du terme vidéo-surveillance. La surveillance est, aujourd'hui, assumée, intégrée. Il n'y a plus besoin de l'édulcorer par la sémantique.
C'est un des objectifs de lille.sous-surveillance.net...
L'objectif du site, c'est de rendre visible, de lutter contre la banalisation. Insister sur le fait que ce n'est pas normal d'être constamment surveillé.e. L'outil s'adresse aussi à celles et ceux qui veulent marcher dans la rue sans être filmé.es, sans être vu.es. Ensuite, n'importe qui peut en faire un outil de lutte. Il y a quelques années, en Allemagne, des personnes avaient balancé une vidéo dans laquelle elles éclataient un maximum de caméras de vidéo-surveillance... Libre à chacun de choisir son mode d'action. Mais globalement les caméras subissent peu d'hostilité, elles sont peu dégradées, à part dans quelques recoins de quartiers comme Lille-Sud où ça a été plus compliqué d'en mettre. C'est toujours impossible à certains endroits. À Moulins, autour de la résidence Trévise, les dômes sont débranchés. Mais le sabotage reste rarissime.
Est-ce que lille.sous-surveillance.net est surveillé ?
Faut pas être parano mais rester lucide : les activités militantes sont le terrain de jeu des services de renseignements. Déjouer cette surveillance, c'est aussi une lutte à mener.
Entretien par Rosa Cab