C’est fait ! La Voix du Nord aura sa télé. Avec l’appui d’investisseurs privés et d’élu.es, elle empoche la fréquence métropolitaine et les subventions qui vont avec. Du fric c’est pourtant pas ce qui lui manquait. De la transparence dans l’élaboration du projet, beaucoup plus. Mais Aubry et quelques autres en ont décidé autrement...
Une matinale « Debout chez les Ch’tis », un télé-achat en patois, des jeux qui se répètent trente fois dans la journée, un magazine « clubbing » sur les boîtes branchées et bien sûr le match de foot du lundi. C’est ce qui devrait passer en boucle à partir du printemps 2009 sur la nouvelle chaîne Voix du Nord [1].
Une fréquence qui se libère ? Hop ! La holding Voix du Nord ne pouvait pas laisser passer cette occasion de faire gonfler son chiffre d’affaire et d’intensifier son monopole sur l’information régionale.
Sur la métropole [2], deux projets ont vu le jour. Baptisé Grand’Lille, celui porté par le LOSC et Télémélody (chaîne musicale des années 60-70, propriété du groupe Voix du Nord), fait face à une « télé citoyenne » : Télé Lille.
Organisée en structure coopérative (rassemblant des associations de l’économie solidaire, des banques, etc.), Télé Lille fait office de petit poucet. Sans surprise, après décision du CSA, le projet Voix du Nord empoche la mise.
Contacté par téléphone, Richard Pernollet, membre de l’association fondatrice de Télé Lille et porteur du projet devant le CSA, nous livre son avis sur cette affaire [3].
Money, money, money !
« La raison c’est le fric. Il n’y a rien à faire, c’est la loi de l’argent. (...) Je pense qu’on nous a fait sortir du bois simplement pour agiter un peu la galerie. (...) Pendant très longtemps on ne savait rien du projet Télémélody. Quand on est allé au CSA le 23 septembre, je me suis dit c’est simple, c’est eux qui vont l’avoir. Ils prétendent faire deux millions d’euros rien que sur la métropole. Ils ont des locaux prêts, des techniciens prêts. Ils imaginent une espèce de télévision d’information continue. »
D’après Richard Pernollet, pour la chaîne Voix du Nord, ce sera « effectif minimum » pour « rentabilité maximum ». « Avec six journalistes et cinquante flashs par jour, je ne sais pas si vous voyez le problème : plus de trois reportages par journaliste ! Alors quand vont-ils avoir le temps de rencontrer les gens ? »
Pourtant, il estime que « c’était une super expérience. On a eu tous les gens de l’économie solidaire. On n’avait pas beaucoup de moyens, mais quelques idées pour faire une télé un peu plus marrante. Pas forcément plus professionnelle, mais une télé qui donne un peu plus la parole aux gens. Qui voit toutes les couches de la société, qui ne reproduise pas tous les clichés qu’on voit à longueur de télé. »
Cependant, Télé Lille n’apparaissait pas comme un canal subversif et anti-Voix du Nord. La chaîne comptait même demander de l’aide au bulldozer médiatique de la région : « Pour exister on avait passé un partenariat avec La Voix du Nord pour la régie pub. On s’était dit : ils auront une télé régionale et il faudra qu’on fasse des échanges avec eux. Même si on a un programme différent, on ne pourra pas tout faire tout seul. »
Vu mais toujours pas pris
Difficile de résister au mastodonte... Surtout quand celui-ci reçoit le soutien des élu.es de la région. Pour Richard Pernollet, « Il n’est pas bon de parler citoyenneté en terre socialiste ».
« On passe au CSA et une semaine après, Martine Aubry vient à l’inauguration de Télémélody. Alors je me dis, tiens, la « Martine socialiste » va vraiment là où le vent pousse. Donc je n’étais pas surpris du résultat. »
Dans une lettre ouverte, le PDG (sic) de Télélille, Régis Verley, confirme : « Une chose a manqué au projet de « Télé Lille » que tous ont jugé cohérent, réaliste et adapté au contexte local : le soutien de LMCU (...). En neuf mois, la présidente de LMCU n’a répondu à aucun de mes courriers, n’a pas accepté de me recevoir, n’a participé ni délégué quiconque à aucune des réunions publiques que nous avons organisées. Il n’en a pas été de même pour les autres porteurs de projets de télévision candidates sur les fréquences, locale et régionale. »
Mais Aubry n’était pas seule à pousser le monopole Voix du Nord en haut des antennes satellites : « Monsieur Percheron [Président socialiste du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais] est venu assister en personne pour appuyer le projet de La Voix du Nord, nous informe Richard Pernollet. Quand la région distribue des subventions pour les télés, trois millions d’euros sont prévus. Deux millions pour La Voix du Nord, cinq cents mille pour les producteurs privés qui essayent de monter des choses avec le CRRAV [Centre Régional de Ressources Audiovisuelles] et cinq cents mille pour les 14 télé locales. C’est à dire 30 000 euros par télés. On voit tout de suite à qui on a à faire. » Ce serait près de quatre millions d’euros par an qui seront versés à la chaîne par le conseil régional [4]. Les socialos de la région ont choisi leur camp. Celui du fric et du copinage.
Les très sages du CSA n’ont fait qu’officialiser la décision : « Ils ont critiqué un peu, mais enfin s’il y a de l’argent, peu importe ce qu’on met dans les tuyaux. Il s’en foutent complètement, faut juste que se soit un plan industriel qui tienne. » En « terres socialistes », La Voix qui résonne est celle des puissants.
A.D
[1] 20 minutes (de pub), 30/10/2008
[2] Le 19 février 2008, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) lançait un appel à candidature pour une chaîne locale sur la région lilloise. Ce sont en fait deux émetteurs, celui de Bouvigny, qui couvre la quasi totalité de la région, et celui de Lambersart, plus d’un millions de téléspectateurs potentiels, qui sont en jeu. Seule sur l’émetteur de Bouvigny, La Voix du Nord rafle la fréquence d’office. Pour Lambersart, Grand’Lille affronte Télélille.
[3] Il nous précise que ses propos n’engagent que lui.
[4] 20 minutes, 30/10/2008