Dans le Vieux Lille, La Pirogue est un bar traversant entre la rue de Weppes et la rue Jean Jacques Rousseau. Dans cet établissement ouvert depuis une vingtaine d’années, tous les ingrédients seraient réunis pour passer un bon moment si le personnel n’avait pas la cogne un peu facile, transformant le moment festif en cocktail explosif.
Alertée par un lecteur, La Brique s’est penchée sur les drôles d’habitudes de la Pirogue. Le 16 août 2017 vers 23h, sortant du bar gay le Privilège, Emmanuel et son frère François de passage à Lille, vont terminer leur soirée à La Pirogue. Emmanuel connaît le bar depuis dix ans. Les deux frangins ne sont ni violents, ni ivres : Emmanuel concède « avoir bu seulement trois pils ». Rien d’extraordinaire dans un quartier où il n’est pas rare de croiser une faune largement plus éméchée.
« Après notre entrée, l’un des barmen me donne la carte et sans raison apparente la refuse à mon frère en lui disant qu’il ne le servirait pas. » Drôle de situation et esprit peu commerçant. Les frères demandent la raison du refus et François récolte un… « Dégage sale pédé ! ». Emmanuel est abasourdi et fait entendre que « ces manières sont totalement inacceptables ». Ni une ni deux, le barman « saute par-dessus le bar » en furie. « Il nous a violemment mis à la porte avant de nous frapper tous les deux avec l’aide de l’autre barman, sous les yeux incrédules du videur présent pendant la scène. Mon frère a pris un coup de poing. Moi deux, avant que l’un d’entre eux me gaze avec une bombe lacrymogène ! » Que le barman vide à moins d’un mètre du visage d’Emmanuel.
Les passant.es, les client.es et même le videur interviennent en donnant de l’eau et en appelant les pompiers. La soirée festive entre frères s’achève avec trois heures d’hosto'. Emmanuel dépose plainte et reçoit deux jours d’interruption temporaire de travail. Il se demande encore les raisons de ce geste disproportionné et « totalement inutile puisqu’on ne pouvait pas du tout rivaliser, vu nos gabarits, contre les deux hommes bodybuildés ».
Je me lève, et je te bouscule...
Ce n’est pourtant pas la première fois que l’on entend parler de la Pirogue et de ses méthodes particulièrement musclées. Il y a déjà deux ans, des sources proches de la rédac’ avaient fait l’expérience d’une injustice suivie d’un bon cassage de gueule en bonne et due forme. En résumé, un client avait agressé sexuellement une fille qui prenait un verre avec ses amis, en lui mettant la main aux fesses. Elle demande alors des comptes au client aux mains baladeuses. Le vigile de l’époque débarque, « ce n’est pas mon problème », et demande alors de sortir à la victime qui fait « trop de bruit » à son goût. L’agresseur reste à l’intérieur. Lorsque ses ami.es s’en mêlent, le vigile, rejoint par un barman, sortent tout le monde. Pour Elsa, parmi les personnes agressées, « il est parti au quart de tour, il voulait frapper tout le monde, il faisait même des clefs de bras ! J’ai bien tenté d’intervenir mais je me suis pris un vieux coup dans la tête ». L’ordure sexiste peut siroter tranquillement son cocktail à l’intérieur. Le résultat ressemble à l’histoire des deux frères : « l’ami qui avait pris la défense de notre copine a dû aller le lendemain aux urgences, il avait une contusion au niveau de l’oreille ».
Comme d’habitude ?
Il semblerait que les esprits soient un peu chauds au café La Pirogue. Le 23 Juin dernier, La Voix du Nord, (décidément toujours à coté de la plaque) publiait un fait divers sur ce même bar intitulé « Ivre, il lance un verre à la tête d’un barman de La Pirogue qui refusait de le servir ». L’homme, nous dit-on, avait tout de même 1,6g d’alcool dans le sang (les douces oreilles de la police) et s’était énervé violemment contre le barman qui ne le servait « pas assez vite ». La petite musique du gérant de la Pirogue prend une autre mesure lorsque La VDN le cite : « C’est vraiment dommage cette violence gratuite. Quand on dit à une personne qu’on ne la sert pas, elle doit s’en aller et puis c’est tout. Il faut assumer. ». Dans un autre café du quartier, on nous dit que le gérant n’est jamais présent dans son bar. Quant à l’avis d’un des barmans sur cet article « tout ça c’est des conneries de journalistes, il ne s’est jamais rien passé ».
Pourtant, le rédacteur de l’article (un certain A.D. : Arnaud Dufresnes ?), aurait pu faire un rapide tour sur internet pour voir où il mettait les pieds. Les avis sont extrêmement hétéroclites sur le bar et on compte pas moins de vingt deux signalements de diverses violences et discriminations (1) : violences gratuites, bagarres déclenchées par le personnel, clients tabassés «i», nez cassé, vêtements déchirés, usage « d’armes blanches », refus de servir, personne agrippée par la gorge. La liste est longue.
En 2013, on se souvient de la vive émotion suscitée dans le quartier par l’attaque du bar gay Vice-versa... Situé à une cinquantaine de mètres de là, le Vice-versa avait été le théâtre d’une descente de membres d’extrême droite sur fond de Manif pour Tous. On n’établit pas de lien entre ces deux faits, mais on retient que l’homophobie peut être partout, y compris dans les fiefs historiques de la communauté gay (2). Au moment où des questions se posent sur l’affaire des noyés de la Deûle, il apparaît comme fort peu délicat de recourir à ce genre de pratiques. Mal lunés ou homophobes, ces barmen-agresseurs font bien mauvais genre.
Harry Cover
- Les avis sont consultables sur des sites tels que : Lillelanuit, Google, pages Facebook, Tripadvisor etc.
- La rue Royale était jadis l'épicentre de la vie homosexuelle branchée lilloise, de nombreux bars, boîtes, restaurants, commerces et une librairie spécialisée arboraient fièrement les couleurs du drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel : le Rainbow Flag étendard de la fierté LGBT.