Les bars sous la pression des brasseurs

biloute 1Derrière le zinc, il y a le barman. Mais qu'y a-t-il derrière le barman ? À Lille, la majorité des établissements s'approvisionne chez des distributeurs dont les pratiques s'avèrent aussi opaques que la Guiness. Coup de loupe sur le système méconnu qui décide de ce qui se boit dans les rades.
 

Un drôle de mic-mac

Le monde de la bière est plus compliqué qu'il n'en a l'air. Il y a d'abord les brasseurs pur jus, ceux qui fabriquent de la bière. Chimay, Hommel, tout ça. Puis il y a les brasseurs-distributeurs, qui font de la bière, et font aussi commerce de sa distribution. Par exemple France Boissons, filiale du néerlandais Heineken. Puis viennent les purs distributeurs; des grossistes aussi, comme Maître Georges, dans le centre de Lille, chez qui on peut aller s'approvisionner. Et donc, en bout de chaîne, les bars.

Parce que la plupart d'entre eux jugent impossible d'assurer eux-mêmes leur approvisionnement, ils s'en remettent aux distributeurs. Mais là n'est pas la seule raison : les banques étant réticentes à se lancer dans un secteur instable, les patrons de bars se tournent souvent vers les brasseurs-distributeurs. Qui ne demandent que ça. Plusieurs formes de « prêts brasseurs » sont alors possibles – aucun bar n'achetant son fût au même prix que le voisin. « Par exemple, tu peux commencer par négocier une ristourne sur les prix à l'hectolitre. Puis, le temps de rembourser le prêt qu'ils t'ont lâché, tu payes tes fûts au prix fort », explique un patron de bar. « Ou bien tu peux juste demander un prêt ''physique'' : ils viennent t'installer le matos dont t'as besoin, les pompes, les frigos, la devanture etc. – et pareil, tu rembourses à l'hecto ». Mais il y a un vice. Ou plutôt, plusieurs vices.

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Paye ton coup... tordu

 
D'abord, la plupart du temps, le distributeur impose de ne s'approvisionner que chez lui. C'est que, même « moyenne », l'économie de la distribution ne tolère que modérément la diversité. Et puis, parfois, le remboursement à l'hecto peut prendre des allures de racket. Malik, qui tient un bar à Moulins, raconte : « J'avais besoin d'un brasseur pour faire la devanture, m'équiper en pompes, installer les becs à bière, tout ça. J'ai demandé à Lambelin. Et puis, rapidement, les prix se sont mis à grimper sévère ». Malik se débarrasse au plus vite de l'encombrant distributeur, et va se fournir chez Maître Georges – qui n'est pas plus cher, voire moins. Mais Lambelin a flairé l'embrouille, et passe un coup de fil saignant au nouveau fournisseur de Malik, lui « suggérant » de couper les vivres. Depuis, l'affaire s'est tassée. Mais l'anecdote est révélatrice. « En fait, ton distributeur c'est comme ton banquier : si le type avec qui tu négocies est sympa, tu peux essayer de t'arranger. Mais la boîte, elle, elle est là pour faire du fric. Et plus t'as besoin de fric, moins tu peux négocier. Donc vaut mieux bien lire deux fois ton contrat de départ », détaille un tenancier.

Et c'est vrai qu'il vaut mieux être au taquet. « Quand j'ai repris mon bar, un gros distributeur m'a obligé à vendre plus d'hectos de ses bières, en me menaçant de reprendre son matos si je ne n'y arrivais pas. Manque de bol, il savait pas qu'avant j'étais le serveur du bar. Et que donc je savais bien que le matos, il venait pas de chez lui, mais de chez un de ses concurrents », se marre un patron. D'autres, moins chanceux, ont coulé, ou ont assigné leur brasseur/distributeur en justice. Qu'on se rassure. Les deux-trois rapaces qui se partagent le gâteau ne souffriront jamais trop des frais d'avocats : elles tournent toutes entre 15 et 30 millions d'euros de chiffres d'affaire. Il faut dire qu'elles servent les deux-tiers des milliers de bars de la métropole.


Diolto,Jacques T., Lawrence



EN BREF
L'abbaye ne fait pas le moine

Abbaye multinationale
La légende raconte que la Leffe, bière d'abbaye depuis le XIIIe siècle, avait été pensée pour abreuver sainement le pèlerin de passage – la fermentation haute garantissant l'élimination des bactéries. Elle appartient aujourd'hui à AB InBev, un groupe belgo-brésilien au centre de la guerre agressive que se livrent les cartels multinationaux de la bière. Son patron, Carlos Brito, est bien connu des chômeurs belges pour avoir licencié à tour de bras. Leffric, toujours Leffric.

40 000
C'est le nombre de Chimay embouteillées à l'heure sur le site de Baileux, à quelques kilomètres de l'Abbaye de Scourmont. Même placée sous le patronage d'une belle communication (secret de fabrication préservé, soutien aux œuvre caritatives etc.), une affaire qui carbure aux 170 000 hectolitres par an et qui s'exporte sur plusieurs continents n'a forcément plus grand chose à voir avec quelques papys qui s'éclatent en soutane. Ben alors, la Chimay ch'est nin une trappiste ? Chimay pas tant que ça.

Hips'ter
Comment devenir un hipster mondialement connu quand on s'emmerde au fond de son appart' ? Recette facile : achetez-vous un peu de matos ; puis racontez une histoire complètement con. C'est ce qu'a récemment testé l'américain Vince Desrosiers, qui prétend qu'en agitant les levures de sa bière avec les basses des morceaux du Wu-tang-clan, la fermentation sera de meilleure qualité. Reste à savoir dans quels fûts moisis fermente le génie des hipsters.

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