Il y a quelque chose de pourri au pays du terril. Le 28 mars, un enfant de la Plaine du 7, Lahoucine Ait Oumghar, a été tué par la police. Sans surprise, les flics parlent de légitime défense. Sans surprise, les médias relaient les versions policières. Entre les deux, pas d’enquête mais un relent de déjà-vu.
L’histoire résonne comme celles d’Hakim Djelassi, de Riad Hamlaoui [1] et de tant d’autres. La radio tapisse : « Un homme recherché par la police pour braquage à main armée vient d’être abattu par la police après avoir attenté à la vie d’un agent lors de son interpellation. L’homme était connu des services de police ». « Braqueur », « dealeur », écrit la presse à toute vitesse. Pas de quoi s’interroger alors ?
Une marche est organisée le lendemain à Montigny-en-Gohelle. Point de départ du cortège, la flaque de sang fraîchement salée à dix mètres du domicile de Lahoucine. Familles, proches, et nombreux anonymes sont rassemblés dans un silence solennel. Des fleurs, des photos, des banderoles où l’on peut lire : « Lahoucine, 26 ans, parti trop tôt ». Destination de la marche, le commissariat d’Hénin-Beaumont. Amal Bentounsi, membre du collectif « Urgence, Notre Police Assassine » [2], prend la parole : « Il y a une omerta ; ces policiers qui outrepassent leur droit, qui se cachent derrière leur uniforme pour tuer des gens qui ont tous un point commun, ils sont tous issus de l’immigration, tous issus des quartiers populaires. »
« La police assassine »
Nous discutons avec des membres de la famille [3]. Ils nous invitent chez eux, dans leur quartier de maisons de coron. Ça discute, ça cuisine, chacun-e essaie de comprendre. La télé est allumée pour regarder le JT du soir. La famille apprend que Lahoucine est mort de cinq tirs policiers. « C’est pas la première fois que ça arrive dans le quartier, lâche un de ses cousins, ça peut arriver à n’importe lequel d’entre nous. Les flics contrôlent constamment les jeunes du coin. Certains ressortent de garde à vue amochés, ont manifestement pris des coups. » Et d’ajouter : « Dans le bassin minier la police insécurise au lieu de sécuriser la population, multiplie les contrôles au faciès, fait pression, interpelle, et parfois frappe impunément car elle considère que quatre jeunes d’origine maghrébine au bas d’un immeuble constituent un délit. » Révélatrice de ce climat, l’attitude des légistes et des flics qui enlèvent le corps de Lahoucine : « Ils ricanaient devant nous alors que le sang coulait encore ». Au même moment, un, deux, trois... Huit cars de flics traversent le quartier. Une démonstration de force à l’heure du deuil.
« Un bon boulot de flic »
On se rend à l’hôtel où Lahoucine a passé sa dernière nuit, hôtel qu’il aurait tenté de « braquer ». Nous rencontrons la gérante. Lahoucine est arrivé la veille de sa mort « dans un état normal ». Il laisse une copie de sa carte d’identité. Le lendemain, vers 7h du matin, la réceptionniste aperçoit Lahoucine penché au-dessus du comptoir. Elle l’interpelle. L’homme se retourne avec une paire de ciseaux à la main. « Où est l’argent ? » dit-il. La réceptionniste répond qu’il n’y en a pas. Lahoucine reformule : « Je veux mon argent. » Elle répète qu’il n’y en a pas. Lahoucine remonte dans sa chambre, redescend peu après avec sa valise, « les ciseaux cachés dans une de ses manches », profère une menace à l’encontre de la réceptionniste et s’en va. La gérante demande à sa réceptionniste d’appeler la police alors que celle-ci n’y voyait pas de motif. Trois heures plus tard Lahoucine est abattu. Un client qui passe par-là se fend d’un commentaire tranché : « Les flics ont bien fait leur boulot ». Maintenant, va falloir laisser la « justice » travailler [4].
Feu sur les journaleux
Comme à son habitude, La Voix du Nord claironne elle aussi les versions policières [5]. On rencontre le journaliste chargé de « l’enquête » à la rédaction de Hénin-Beaumont. Ses sources ? « La police et le procureur ». « Vous avez parlé avec la famille et les témoins ? » « Non ». Les policiers étaient-ils en uniforme ou en civil ? « Je ne sais pas ». L’autopsie ? « Faut voir ma collègue de Cambrai et l’AFP ». Ce qu’il pense de cette histoire ? « Pas de violence, pas d’argent volé, une interpellation qui finit mal... » On voit qu’il trouve ça bizarre. L’autocensure fait le reste. « Mais pourquoi vous voulez enquêter là-dessus ? » s’étonne-t-il. Une vrai leçon de journalisme.
[1] Tous deux tués par la police à Lille. Voir La Brique n°18, « Comment est mort Hakim ? »
[2] Urgence-notre-police-assassine.fr, sous le coup d’une plainte du ministère de l’Intérieur depuis le 31 janvier.
[3] Lire à ce sujet l’article « Bavures policières mortelles : trente ans de quasi impunité ? » sur bastamag.net.
[4] Écouter aussi l’émission radio de zapzalap « La police assassine dans la bassin minier » sur zapzalap.wordpress.com.
[5] La Voix du Nord, 28/03/13, 29/03/13.