Bruno Bonduelle est chef de la Chambre de Commerce et d’Industrie à Lille. Sa carrière rappelle celle de ses aïeux : patrons « philanthropes », paternalistes, prétendant propager « le bien » autour d’eux. La bonne blague.
Ancien de Sciences Po, Bonduelle prend vite la succession de l’empire du légume en boîte. En 1992, il quitte l’entreprise familiale [1] pour la direction de l’Agence pour la Promotion Internationale de la Métropole Lilloise (APIM), un bureau de marketing urbain [2], où il commence à se frotter aux élus. En 1998, lui qui n’a jamais eu le goût des urnes tente sa chance au Conseil Régional. Un bide total qui lui servira de leçon : Bonduelle se concentrera sur un lobbying à plein temps dans les arcanes et alcôves du pouvoir « socialiste » régional.
Les fantasmes d’un patron
Depuis il est partout : arrivée du TGV en plein centre, construction d’Euralille, candidature aux Jeux Olympiques de 2004, capitale européenne de la culture, Lille 3000, pôles de compétitivité Euratechnologies ou Eurasanté, etc. Aucun projet d’envergure ne semble se faire sans son aval. Pour s’assurer une emprise sur le pouvoir politique, il participe à l’espace « Entreprises et cité » et au « Club gagnants », des lobbies patronaux très actifs Aujourd’hui, il n’a plus peur de balancer toutes ses lubies en public. Ainsi, devant les caméras de France 3 régional, il redécoupe la carte du Nord, qui selon lui « ne correspond à aucune réalité économique », pour rêver la construction d’une super-métropole englobant la quasi-totalité de la région Nord-Pas-de-Calais. Il imagine un tube pour les voyageurs entre les deux gares lilloises, fantasme une gare internationale à Seclin, une Exposition universelle en 2025, etc.
Un comité clandestin
Mais sa plus belle médaille est sans aucun doute la création du fameux Comité Grand Lille en 1993. Une assemblée de notables composée principalement de patrons nordistes désirant orienter les politiques de la Communauté urbaine. Le lobby patronal le plus influent dans le Nord. Sans existence officielle, il n’apparaît nulle part, mais est à l’origine de la plupart des projets culturels, technologiques et urbains de la métropole.
Ce comité patronal est un cercle très fermé. Pour l’intégrer, il faut être parrainé et passer un entretien avec le président [3]. Dans le Nord comme ailleurs, la bourgeoisie ne se mélange pas ! Le Comité organise des « safaris » dans les grandes métropoles européennes. Une façon de donner des idées aux élites et de souder les liens d’amitié entre les décideurs. Et de fait, tous n’ont qu’un mot à la bouche : « la métropolisation », ou comment « internationaliser » Lille, la faire « rayonner ».
Bruno, Martine et les autres...
Bonduelle l’a compris très tôt : pour être influent, il faut savoir parler aux élus. En 1992, il écrit son premier ouvrage « Lettre aux 86 maires de Lille », rebelote en 2000, « Lettre aux 400 maires de Lille », avant de tout récapituler en 2008 avec sa « Lettre à Martine, Daniel, Bernard, Dominique et les autres élus du Grand Lille » [4].
À la sortie d’un dîner chez Bonduelle, à Marcq-en-Baroeul, Martine Aubry déclarait « On s’est bien marré » et d’ajouter « Ici, le monde économique travaille avec le pouvoir politique. C’est notre force. » [5]. La chose est entendue. Clientélisme, arrangements, entente cordiale : patrons et mal-élus, du Nord au Sud, forment une mafia qui organise nos vies, à la gloire de leurs profits et de leurs futures victoires électorales.
[1] Avec quatre milliards de francs de chiffre d’affaires dans les caisses du groupe. Fortunes personnelle et familiale assurées.
[2] Aujourd’hui encore, on retrouve dans son conseil d’administration la fine fleur de l’élite locale : des élus (Caudron, maire de Villeneuve d’Ascq, de Saintignon, bras droit de Martine Aubry, etc.) des patrons (Bonduelle, président de la CCI, LucDoublet vice-président de la CCI et leader mondial de la vente de drapeaux ! Etc.).
[3] Ben Mabrouk Taoufik, Le pouvoir d’agglomération en France. Logiques d’émergence et modes de fonctionnement, Logiques politiques, 2007.
[4] Comprendre Martine Aubry, Daniel Percheron (président du Conseil Régional), Bernard Derosier (président du Conseil Général du Nord), Dominique Dupilet (président du Conseil Général du Pas de Calais).
[5] L’Express, 18/06/2009.