Le musée de la Piscine : un certain goût pour Vichy (1/3)

piscineAprès avoir exposé les artistes Othon Friesz, Paul Belmondo et le sculpteur Henri Bouchard du groupe Collaboration (qui réunit de 1941 à 1945 des intellectuels et des bourgeois se réclamant de Pétain et de la Révolution nationale) sans jamais évoquer leur participation active à Vichy, le musée de Roubaix va s’agrandir pour accueillir la donation Bouchard. La Brique consacrait dans ses numéros 26, 27 et 28 une série de trois articles sur cette drôle d’initiative.

 

Les Roubaisiens, dans un article du Monde le 15 juin 2008, apprenaient que leur conseil municipal avait voté favorablement un budget évalué à 6,51 millions d’euros pour l’extension de "leur musée" ; investissement nécessaire à l’accueil de l’atelier du sculpteur Henri Bouchard, « un artiste qui a flirté avec les nazis » [1]. Cette polémique n’aura entraîné qu’un léger clapotis dans la presse locale [2]. A l’époque La Voix du Nord ne laissa la parole qu’à Bruno Gaudichon (conservateur du musée) et Jean-François Boudaillez [3] (adjoint à la culture) pour nous dire que «  tout ceci n’est pas si grave  ». Ensuite silence radio, alors même que René Vandierendonck, maire de Roubaix, promettait l’ouverture de l’atelier en 2011. Nous pouvions croire le projet abandonné jusqu’en septembre 2010, date à laquelle Frédéric Mitterrand annonça un concours de l’État de 20 % dans la construction de l’atelier-musée [4]. Comme par miracle la polémique avait disparu et la messe était dite.

De sombres justifications

La discussion était close puisque le conservateur du musée et l’adjoint à la culture avaient avancé principalement trois arguments dans la presse locale pour mettre fin aux critiques du Monde.

Le premier argument, c’est que «  l’on ne peut quand même pas condamner l’artiste à la double peine ». Ce glissement sémantique est grossier et jette la suspicion sur ceux qui ont la "malhonnêteté" de rappeler le contexte historique de l’idéologie qui fonde les "œuvres" de cet artiste. Rappeler son parcours n’est pas juger, mais simplement faire appel à l’histoire pour mieux comprendre ses sculptures. Par ailleurs, pourquoi les élus, ont-ils sans concertation accepté ce projet ? Pourquoi tout le monde est-il mis devant le fait accompli ? Pour un musée qui est le musée des Roubaisiens, selon l’expression consacrée, il est fait bien peu de cas de leur avis.

Le deuxième argument, c’est que nous aurons « le seul atelier complet de cette génération ». Peut-être, mais le conserver c’est la mission d’un musée des techniques et pratiques artisanales. De plus, contrairement à la production d’autres artistes qui ont fait le voyage en Allemagne en 1941 [5], aucun historien de l’art, même les plus conservateurs, ne vante les qualités de cette sculpture de brocante. Le statut social d’un artiste n’a jamais fait de sa production - de facto - une œuvre. La seule chose que Bouchard a su exprimer ce sont ses opinions [http://www.yadvashem-france.org – on y trouve (...)" id="nh6">6]. Les mettre à l’honneur, dans un musée qui prétend valoriser la sculpture du XXème (ne fût-ce que celle de l’art officiel), serait un choix idéologique.

Le dernier argument serait la construction d’un «  espace « conceptuel » évoquant les rapports parfois ambigus entre sculpture, commande publique et politique du moment » [7]. Sans évoquer, curieusement, le pouvoir économique. Ce projet d’espace conceptuel semble déjà mal engagé : d’une part, Gaudichon qui promettait d’éclairer le passé de cet artiste infréquentable, lors de l’exposition de quelques-uns de ses dessins, en septembre 2008, s’est contenté de l’effet d’annonce et bien malin celui qui a trouvé l’information. D’autre part, un espace de ce type, à condition qu’on le veuille vraiment, pourrait donner un nouvel éclairage sur toute la collection permanente du musée. Il n’est guère besoin de l’atelier de Bouchard pour réaliser les études annoncées. On a donc vu mieux comme alibi.

Les qualités d’Henri et de son "œuvre" n’expliquent pas son arrivée au musée de Roubaix. Alors Le Monde avançait l’idée que cela serait dû à une petite histoire d’amitié entre deux conservateurs et une directrice générale de l’INHA [8]. Cette dernière déclare qu’ils sont trois amoureux de la sculpture académique et qu’ils forment une petite famille. L’idée est bonne, mais elle doit être creusée. Et si la famille n’était pas si petite que ça ? Peut-être n’en seraient-ils que les ambassadeurs ? Les décideurs seraient-ils ailleurs ?

Le musée du patronat

En fait on peut dire que le musée de Roubaix fête le goût esthétique du grand patronat issu du textile. L’origine du musée remonte à 1835, il est la création « des manufacturiers associés à l’épopée économique de la ville » [9]. Le fonds principal est constitué du legs de la collection d’un négociant textile roubaisien. Le musée finira par disparaître en 1939, mais la Société des Amis du Musée (créée en 1964) parviendra à le faire renaître. Daniel Motte, gros industriel du Nord, sera tour à tour administrateur, président et trésorier de cette société, jusqu’à sa mort en juin 2009. Daniel Motte se sentait au musée de la Piscine comme chez lui, il y aura même organisé une grande fête de famille [10]. « Un commandeur comme le dit joliment Bruno Gaudichon ». Le président de la Société des Amis du Musée est aussi membre fondateur du Cercle des Entreprises mécènes de la Piscine. Philippe Motte, petit-fils d’Eugène Motte, préside ce cercle de mécènes. On lui aura même remis la légion d’honneur à la Piscine avec René Vandierendonck et Jacques-Yves Mulliez honoré d’assister à la cérémonie. Enfin bon, une petite famille...

Pour conclure on pourrait croire qu’une telle place accordée par le musée de la Piscine de Roubaix à la sculpture d’Henri Bouchard n’est en rien justifiée. Eh bien, ce serait faire une erreur. Il existe un héritage historique. Pour le comprendre, il faudrait analyser comment son "œuvre" entre en résonance avec la Révolution nationale de Vichy et revenir sur les liens qui unissent le grand patronat de l’industrie textile avec cette idéologie. Rendez-vous au prochain numéro !

Lire les deux articles suivants :

- « La Piscine de Roubaix, un musée divin (2/3) » (N° 27, mai-juin 2011)

- « La Piscine de Roubaix : l’art de réécrire l’Histoire (3/3) » (N° 28, juillet-août 2011)

Notes

[1Article du Monde du 15 juin 2008

[2La Voix du Nord et Nord Éclair sont membres du Cercle des Entreprises mécènes de la Piscine de Roubaix tout comme la banque CIC Nord-Ouest, Prouvost & associés, La Redoute, etc. (voir site du musée).

[3Jean-François Boudaillez ancien notaire de la SCP Notaires Associés : Claude-Alain Prouvost, Sylvain Roussel, Jean-François Boudaillez, Géry Delattre, Benoit Nuytten et Betty Reynaert-Delecluse. Vous pouvez y reconnaître des noms qui évoquent le grand patronat du Nord.

[4Plan « musée en région 2011-2013 ».

[5Voir le livre de Laurence Bertrand Dorléac, L’art de la Défaite 1940-1944 au seuil. Une des rares études de qualité sur la position des artistes sous l’Occupation.

[6Informations sur le site : http://www.yadvashem-france.org – on y trouve entre autre l’éloge de Bouchard à la politique culturelle nazie, publiée dans la revue Illustration, à son retour d’Allemagne.

[7Espace ajouté après la polémique. Info sur le site de Nord éclair : "Roubaix : trop généreux donateurs ?" Le 20.07.2010

[8Institut national d’histoire de l’art.

[9Sur le site internet du musée.

[10Voir l’article sur le site de L’Express.

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