Le monde d’après à l’université : passe tes partiels et démerde-toi !

etudianteÀ l'Université de Lille, la crise sanitaire a dégradé les conditions d'examens. Une nouvelle fois, l'équipe du président de l'Université, Jean-Christophe Camart, est pointée du doigt pour son improvisation et sa gestion calamiteuse, laissant les enseignant.es dans le flou le plus total, sacrifiant au passage les étudiant.es, désabusé.es par une situation où le silence de la présidence règne.

 

Pour les étudiant.es de l’Université de Lille, confinement a rimé avec emmerdements (voir l’article Cité-U, les oublié.es de la république). Alors que les étudiant.es et leurs représentants syndicaux appellent à attribuer d'office la moyenne à l'ensemble des étudiant.es, améliorable par des notes additionnelles pour les semestres, la ministre de l'enseignement supérieur de la recherche, Frédérique Vidal a décidé d'imposer des contrôles de connaissances à distance.

Le 22 avril 2020, la ministre déclare qu’ : « Il ne sera pas possible de neutraliser le second semestre, ni de mettre systématiquement des notes supérieures à 10/20. Et si d’aventure, certains étaient tentés de le faire, le ministère jouerait son rôle de régulateur et ne validerait pas les épreuves évaluées de cette manière. » Ambiance dans l’enseignement supérieur... Cette menace digne d’un mauvais manager macroniste peu inspiré aurait pour but de protéger la « qualité des diplômes ». Elle reprend ici la rhétorique distinguant les bons diplômes des mauvais, sans se soucier de la qualité des conditions d'études et d'examens des étudiant.es. Exit les problèmes de fracture numérique1, d'accès aux bibliothèques, de précarité, de logements surpeuplés, d’angoisses liées à la situation sanitaire, circulez futur.es larbins salarié.es et passez vos examens !

Un plan de continuité sur la comète

L'organisation des examens au sein de l'Université de Lille se fait dans un flou artistique le plus total. Souade, de Solidaires étudiant.es de Lille, nous explique que les examens « ont fait l’objet d’un "plan de continuité pédagogique" décidé par la CFVU2 du 6 au 9 avril » mis en place par la Vice Présidente déléguée à la Formation, Lynne Frandjé. Résumer ce plan est simple : il ne met en place qu’une vague directive pour la tenue des examens.

L’Université et son administration laissent la responsabilité et le choix des modalités aux enseignant.es. « L’université ne met pas en place de règles particulières et les profs font ainsi ce qu’ils peuvent et ce qu’ils veulent… » déplore Souade. Chaque enseignant.e choisit ainsi la manière de passer les examens pour les étudiant.es encadré.es : cela peut être des devoirs à rendre, des examens à passer selon une heure définie via la plateforme de partage de cours Moodle ou même en télésurveillance… C'est qu'on aime le contrôle à l'Université.

La télésurveillance a pour but d’éviter que les étudiant.es effectuent des recherches sur internet, des copier-coller ou du plagiat et ainsi empêcher la « triche ». Au niveau national, plusieurs universitaires dénoncent l’utilisation de cette télésurveillance dans une tribune de Libération3. Ces derniers jugent ces dispositions liberticides et contraires au règlement européen de protection des données (RGPD) car celui-ci empêche la collecte de données personnelles sans consentement et n’autorise pas la surveillance à domicile.

Un renforcement des inégalités sociales

Avant la mise en place du plan de continuité pédagogique, la situation des étudiant.es n’était guère meilleure. Dès mars, lors des annonces du confinement, les enseignant.es livré.es à eux/elles mêmes ont du bricoler des examens à distance de façon désorganisée. Résultat : un afflux de mails anxiogènes pour les étudiant.es. Pour Souade, le plan de continuité renforce les inégalités entre étudiant.es : « L’Université de Lille -comme le gouvernement - navigue à vue, elle a voulu se baser sur le fait que les étudiant.es disposent d’outils numériques et de temps pour passer ces examens mais elle n’a absolument pas pensé les inégalités sociales entre les étudiant.es : perte d’un emploi, situation de handicap, contexte familial, fracture numérique, angoisse liée au confinement, etc ». Des critiques également émises par les enseignant.es syndiqués à la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) de l’Université de Lille.

Même s’il est possible d’avoir des dérogations pour les étudiant.es empêché.es de passer leurs examens, l’Université n’a pas mis en place d’actions spécifiques d’accompagnement. Or, selon l'INSEE, on estime en France que la fracture numérique touche 19% de la population. Au bas mot, un.e étudiant.e sur cinq s'est retrouvé.e démunie pour passer ses examens, quand on sait que la population étudiante est l'une des plus précaires, il ne serait pas surprenant que le chiffre soit plus conséquent.

etudiante

Pour les étudiant.es ayant accès à un ordinateur et à une connexion internet stable, passer son examen chez ses parents ou dans une des résidences universitaires insalubres du CROUS révèlent deux contextes antinomiques d’examen. En refusant de prendre en compte cette rupture d'égalité des chances, l'Université de Lille se met en porte à faux vis-à-vis de ses objectifs de démocratisation de son accès et de la réussite de tout.es.

Le dialogue social, une discipline peu enseignée à l’Université

Pour éviter la mise au ban des étudiant.es les plus précaires, Solidaires étudiant.es a voulu mettre en place une validation automatique du semestre à 12 (pour éviter un semestre simplement validé à 10 pour les étudiant.es tenant à avoir des mentions) potentiellement améliorable par des notes ou a minima par des évaluations asynchrones (sans être surveillés et sans obligation de travailler sur l’examen dans un temps donné). Le syndicat a proposé cette modalité en motion lors de la commission d’avril auprès de la présidence de l’université mais s’est vu opposé un refus par Lynne Frandjé. Le motif semble dérisoire : cela n’avait pas été demandé de manière formelle en amont de l’instance. Souade fulmine : « Elle nous a refusé car nous, petits étudiant.es n’avons pas dit s’il vous plaît, c’est aberrant ! On a vérifié dans les règlements de l’université, rien n’empêche de proposer ceci en conseil. » Y a t-il eu dialogue entre les étudiant.es et la présidence de l’Université de Lille en dehors de ce refus brutal ? « Pas à ma connaissance » répond -t-elle « Même si les profs peuvent parfois être à l’écoute, nous n’avons eu aucun retour de l’administration autre que le refus de cadrer les modalités d’évaluations... »

Sans possibilité d’influer sur les conditions d’examen, un front syndical (Solidaires étudiant.es, la Fédération Syndicale Etudiante et SUD Education Université de Lille) lancent ainsi le 2 mai un recours au tribunal administratif. L'objectif de ce recours n'est pas d'annuler les examens, mais de permettre aux étudiant.es s'estimant lésé.es de contester leurs conditions d'examens, et de composer à nouveau. Le 15 mai, le tribunal administratif rejette le recours, ne considérant pas la demande comme urgente pour les étudiant.es.

Pour la rentrée, Souade n’est guère optimiste, « Vidal nous parle de rentrée à distance en septembre, mais on n’est sûr.es de rien, c’est toujours flou... ». L’organisation au sein du ministère de l’Enseignement Supérieur et des universités sont à l’image de la gestion de crise du gouvernement : erratique et chaotique.

Stickmoo
Dessin par Lazare

 (article écrit pendant le premier confinement de 2020)

1. L’inégalité d’accès aux outils numériques (ordinateur, Internet, smartphones).
2. Commission Formation Vie Universitaire, l’instance des universités pour décider des modalités de formation, d’examen, de vie étudiante et associative. Y siègent des élus étudiant.es (Solidaires étudiant.es notamment), personnels et professeur.es.
3. « Non à la télésurveillance des examens », Libération, 12 mai 2020.

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