Quand Nord Littoral ironise sur la misère des exilé.es

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Édouard Odièvre est journaliste à Nord Littoral. Découvert au détour d'un article fumeux traitant d'une énième destruction d'un campement de survie des exilé.es de Calais, notre sang n'a fait qu'un tour. De jeux de mots mal sentis en commentaires douteux, sa plume médiocre fait partie de celles qui distillent des idées haineuses dans des papiers dépourvus de toute analyse - mais salement politisés.

 

Jeudi 25 mai 2017. Des exilé.es se font virer manu militari du bois Dubrulle, à deux pas du camp de la lande de Calais, démantelé en octobre 2016. L'endroit est très excentré, à l’abri des regards, coincé entre une zone industrielle, un bois et un transformateur EDF1. C'est là où les exilé.es ont trouvé refuge suite à l'intervention musclée des forces de l’État à l'automne dernier2.

« Ça déménage au bois Dubrulle » lit-on sur la couv' de Nord Littoral. Le terme est honteux parce qu'il sous-entend qu'il y a une mise à l'abri par les autorités des exilé.es et de leurs affaires. Dans les faits, on sait que leurs tentes et sacs de couchage sont saisis et détruits par les flics à coups de lacrymo et de couteaux dans les toiles3 Des mots choisis en toute conscience par la rédaction au point de les placarder en une : le quotidien n'est pas encore ouvert que les yeux nous piquent déjà.

 

Des blagues qui flirtent avec le racisme

 

Son titre, à E. Odièvre, c'est « Ils n'iront plus au bois » (le titre a été renommé sur la version web), qui met gentiment en tête la comptine des lauriers coupés. C'est vrai que la détresse de personnes en survie constante se prête bien à la rigolade et à la chansonnette. Si Philippe Hénon, le rédac' chef de Nord Littoral, a laissé passer, c'est qu'il a dû trouver ça marrant, lui aussi. Peut-être même que le directeur de publication, David Guévart, s'est pissé dessus en se tenant les côtes, qui sait ? Lorsqu'on lui fait part de notre étonnement au téléphone, Philippe Hénon tente de nous rassurer en admettant effectivement un « ton décalé », « un style ironique » pour « dédramatiser la situation ». On lui cite quelques passages. Il est un peu gêné. « Il y a une double lecture » hasarde-t-il avant de lâcher, sans trop vouloir se désolidariser de son journaleux, « je sais qui a écrit le papier… bon, voilà ». Voilà, quoi ? Lorsqu'on commence à le questionner sur le processus de validation d'un tel article, il comprend qu'il est en train de se faire arracher des infos comme un bleu. Alors, il ne répond plus autre chose que « je ne comprends pas, c'est quoi votre démarche ? » Et qu'on ne peut pas saisir la ligne éditoriale sur le traitement médiatique de Calais à la lecture d'un seul article, au regard de 20 ans de parution.

Dès son en-tête, Édouard Odièvre précise que les CRS ont mené « une opération de nettoyage ». Histoire d'installer dans la tête du lectorat que les exilé.es ne méritent pas même qu'on leur reconnaisse une once d'humanité. Dans un intertitre emprunté au dicton saisonnier, il enfonce le clou : « En mai, on déblaie ». L'usage veut qu'on emploie ce terme pour dire qu'on enlève d'un site des gravas, de la neige, de la merde quoi... Sans compter qu'il cite les exilé.es sans les traduire (une manière de les enfermer encore dans le statut de l'étranger). Bel exercice de stigmatisation, tant il invite à rire cruellement des victimes de ce démantèlement. Le journaleux, étouffé par son héroïsme de reporter de jour férié, qualifie les victimes de la politique migratoire de « campeurs expulsés »4. Comme s'il s'agissait de vacancier.es en pleine éclate, en camping sauvage. Et non de personnes plongées dans la détresse par l'État et l'ensemble de ses sbires, dont E. Odièvre peut se vanter d'être un fidèle serviteur.

 

Cirer les rangers des flics et de l'extrême droite

 

Le scribouillard commence son article en plaignant avec tendresse les policiers, jugeant leur affectation à Calais « ingrate ». Il les met en scène comme de braves travailleurs en ce jeudi de l'Ascension. En dépit de tous les rapports sur les violences policières à Calais depuis 20 ans, E. Odièvre martèle tout au long de l'article que non, décidément, les keufs ne sont pas des tortionnaires5. On lit que « les opérations se déroulent sans accrocs ni violences » ; ou encore que les exilé.es qui « essayent régulièrement de revenir à leur campement [...] sont refoulés sans fermeté excessive par les CRS ». Faut croire que se faire matraquer toutes les nuits par des brutes relève de la sympathie ? Un exilé lui confie avoir été victime d'un gazage lors d'une intervention précédente. Il ose écrire que ce dernier raconte cela « en semblant trouver très savoureuse cette forme de politesse qui fait pleurer », et en rajoute une couche sur l'amabilité supposée des cognes ce jour-là. « Pendant une bonne partie de l'après-midi, les migrants qui voulaient récupérer des affaires ont été refoulés poliment mais fermement » lit-on sous une photo où on voit des réfugié.es fuir devant les keufs. Sur une autre photo, ces flics pacifistes apparaissent gazeuse dans une main, l'autre posée sur la matraque. Le mec voudrait nous faire prendre des porcs pour des chatons... Il les aime tant, ses chatons, qu'il en oublie le vocabulaire de rigueur, évoquant en légende de photo des affaires « confisquées », comme si nous étions dans une école avec des profs, et non « saisies », comme le voudrait le jargon juridique et policier. E. Odièvre évoque ces riverains de la route de Gravelines qui « sont eux aussi des spectateurs très attentifs de l'opération ». À le lire, tout le monde « se félicite de voir cet embryon de campement démantelé ». Et de terminer en citant un automobiliste qui en appelle à un déploiement policier permanent. C'était pas déjà le cas ?

 

Entre Alliance et Civitas, il y a Nord Littoral

 

Édouard Odièvre diffuse lâchement mais sûrement les chimères de l'extrême droite dans la presse régionale quotidienne sur la côte. Philippe Hénon nous assure qu'à Nord Littoral, on se veut « le plus neutre possible, pour combattre les extrêmes. Vous savez, les fachos traitent Nord Littoral d'extrême gauche ». Pourtant, Civitas semble bien s'y retrouver, l'article est davantage relayé par leur réseau que par le journal. Ce n'est pas un hasard qu'il soit cité par des groupuscules d'extrême droite : les mots de ces journaleux sont soigneusement choisis et le parti-pris clairement affiché. Pour E. Odièvre, cet article est avant tout un exercice de style dans lequel il déverse toute sa cruauté. Les faits sont simplement évacués dans un encadré en dehors de l'article, comme pour mieux écarter toute ébauche d'analyse de sa diarrhée verbale. E. Odièvre est un habitué du genre, et on passera en revue toutes les saletés qu'il a publiées dans le n°51 de La Brique (à paraître mi-juin). Plus grave encore : si ses supérieurs laissent passer tout ça, c'est qu'ils sont d'accord avec lui. Le fameux dilemme de l’œuf ou de la poule est posé : le Calaisis vote-t-il à fond pour le FN parce qu'il lit Nord Littoral, ou Nord Littoral écrit des papiers qui servent la soupe à l'extrême droite parce que la région vote massivement pour le parti de la haine6 ? La veille d'une réunion publique prévue par Jean-Marie Le Pen à Calais en vue des législatives, la position de Nord Littoral semble aller de soi.

 La Brique

1. Sur les circonstances de l'installation des exilé.es sur ce terrain vague, voir le n° 51 de La Brique (à paraître).

2. Lire : « Exil à Calais : fin de partie ? », La Brique, n° 49

3. Lire le communiqué de presse publié par trois associations, la Cabane Juridique, le Réveil Voyageur et Utopia 56 à propos des violences policières (15 avril 2017). Accessible sur le blog Passeurs d'hospitalité.

4. Ce n'est pas sans rappeler la position de Damien Carême sur les bracelets que devaient porter les réfugié.es du camp de la Linière à Grande Synthe : « ces bracelets en caoutchouc que vous avez quand vous allez en centre de vacances par exemple, pour rentrer à la piscine. » affirme-t-il lors d'un débat public le 09 novembre 2016.

5. Cf. le rapport de Human Rights Watch de janvier 2015

6. Sans vouloir donner la gerbe, pour rappel, les scores du FN à Calais au second tour de la présidentielle : 57, 42 %.

 

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