lutte des classes | Réforme du RSA : suivi précaire et sanctions sévères
La loi pour le plein emploi votée à l'Assemblée nationale le 18 décembre 2023 a l’intention de réduire à 5% le taux de chômage d'ici à 2027 (il était à 7,3% au dernier trimestre 2024). Pôle Emploi devient France Travail. La Brique vous explique les grandes lignes de cette réforme.
Depuis le 1er janvier 2025, allocataires du RSA, personnes handicapées suivies par le dispositif Cap Emploi, et jeunes accompagné·es par la Mission locale sont inscrit·es automatiquement à France Travail. On fusionne le tout : le « projet personnalisé d’accès à l’emploi » de France Travail, le « contrat d’engagement réciproque » du RSA et le « contrat d’engagement jeune » des Missions locales deviennent un unique « contrat d’engagement ». Les droits diffèrent (AAH, RSA, CEJ… et autres acronymes flous), mais les devoirs sont désormais les mêmes. Au nom d’une « insertion professionnelle » universelle, tu dois donc démontrer ta recherche active de boulot.
De l’autoflicage par les allocataires...
Concrètement, toute personne sous « contrat d’engagement » doit déclarer ses activités. Cette contrainte concerne déjà les personnes de moins de 26 ans depuis 2022. Elie*, accompagné par la Mission Locale à Roubaix cette année-là, nous indique : « J’avais 497€ par mois [le montant du RSA de l’époque, NDLB]. Mais pour ça, je devais me rendre sur place une à deux fois par semaine, et si je ne venais pas on m’appelait le vendredi. » Samia*, concernée plus récemment : « C’était trop chiant, pour nous et pour eux. Donc ils ont mis en place une application avec un agenda que tu remplis toi-même ». Ambiance auto-attestation du covid !
Avec la réforme, on généralise le processus : « Mon conseiller m’a dit qu’ils mettraient aussi en place une application pour s’auto-déclarer, soit sur téléphone soit sur le site de France Travail », nous dit Gaël*, au RSA depuis février dernier. Il précise : « Chaque activité sera confirmée par le conseiller. »
Parmi les activités attendues : petits stages immersifs, activités associatives, coaching emploi, écriture d’un quinzième CV… mais aussi tout ce qui permet de « lever les freins à l’emploi » selon la terminologie libérale : faire du sport, aller chez le psy, prendre soin de sa santé… Si des lignes floues apparaissent sur la plate-forme, le détail de ces activités n'est pas communiqué[1] .
... au non-recours massif !
Jusqu’alors, l’actualisation à France Travail était mensuelle pour conserver son inscription. Avec la réforme, elle devient donc hebdomadaire… C’est une refonte de l’assurance chômage qui ne dit pas son nom, loin de concerner juste les plus précaires, car c’est l’ensemble des 6,4M de « chômeur·ses » toutes catégories confondues qui bénéficieront de ce flicage « rénové ».
Si tu ne fais pas le « taf », on te sucre ton allocation ! D’abord avec une « suspension-remobilisation » qui dure 1 à 2 mois, puis une radiation en bonne et due forme si tu ressembles trop à une feignasse. Le Secours Catholique et ATD Quart-Monde ont indiqué dans un rapport[2] que le taux de non-recours aux prestations sociales augmente drastiquement dans les territoires qui ont « essayé » la réforme : de 30 % à 40 % ! Sans compter les chômeur·ses réfractaires bientôt radié·es, ça promet une belle économie pour l’État !
Couper les vivres pour botter le cul
La réforme doit encadrer les sanctions pour non-satisfaction de ses « devoirs » : 30 à 100 % de diminution du RSA pendant 1 à 2 mois en première sanction, et 4 mois lors de la deuxième sanction. Dans le Nord, « sans attendre » l’application officielle de la loi, le Président tranche dès novembre 2024 – avec un certain zèle : 80 % pendant 1 mois pour la première sanction, et 100 % pendant 4 mois pour la deuxième. C’est la « suspension-remobilisation ».
Grâce à l’apport délicat des sénateur·rices, la loi prévoit qu’un·e allocataire ne pourra se voir restituer qu’un montant de 3 mois de RSA maximum en cas de « remobilisation ». Au gré des volontés des décideurs, la suspension devient très vite suppression ! Une aubaine pour le Conseil départemental du Nord qui cherche des moyens de faire des économies sur le dos des précaires.
* les prénoms ont été modifiés.
Loi « Plein emploi » : privatisation orchestrée de l’insertion professionnelle
Agences saturées
Avec l’inscription automatique des gens au RSA à France Travail, les agences sont saturées. Les syndicats, unis, tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps. Ils demandent plus de moyens, une titularisation des contrats précaires qui le souhaitent, ainsi qu’un arrêt du recours massif à la sous-traitance pour l’insertion pro’ (lire La Brique, n°66, printemps 2022). En 2024, Médiacités estimait le montant de cette externalisation à 650 millions d’euros par an.
Le député Marc Ferracci dirige une réforme qui profite directement à papa
Blast révélait en 2023 que l’une des principales entreprises de sous-traitance de France Travail s'appelle Secafi, filiale du groupe Alpha fondé par Pierre Ferracci. Son fils, Marc Ferracci, est le rapporteur de la loi pour le Plein Emploi de 2023, et actionnaire à 30 % de la boîte. Pour bien signifier qu’ils n’ont rien à secouer du conflit d’intérêt manifeste, Marc Ferracci est devenu Ministre de l’Industrie en 2024 (sous Barnier puis maintenu après l’arrivée de Bayrou). Ce macroniste de la première heure est un élément clé de la politique nauséabonde, libérale et anti-précaires, menée par le Président de la République depuis 2017. Un mec qui ne risque pas d’avoir de problème d’emploi...
⊳ Concernant cet argent public dont les prestataires de Pôle Emploi / France Travail sont les premiers bénéficiaires, lire La Brique, n°66 : « France travail ! France privatise ! » et « À Pôle Emploi, la politique du chiffre au service de la radiation » (printemps 2022).
⊳ Lire aussi l’enquête de Médiacités « Sous-traitance massive et service public détérioré : les dessous de France Travail » (02/09/2024).
Références
-
[1]
Le décret d’application qui encadre les modalités des 15h d'activités est sorti en juin 2025.
↩[2]« Premier bilan des expérimentations RSA : 4 alertes pour répondre aux inquiétudes des allocataires », Secours Catholique, ATD Quart-Monde, AequitaZ (octobre 2024).
↩Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»
4-5. Plomb sur la ville10-11. Paillettes et ruban rougelutte des classes | sur la même thématique
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