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climat | En révolte, ce que l'on sème

Publié dans Le Prix du Plomb (printemps 2025) | Par Louis, Illustration par Salomé
Mis en ligne le 03 décembre 2025

Mais où sont passés les arbres dans le Nord ? Avec seulement 17,5 % de son territoire couvert par des espaces naturels, notre chère région des Hauts de France fait bien pâle figure face à la moyenne nationale, qui s’élève à 38 %. Le sud de Lille est l’archétype de ce déboisement organisé. Quand l’État prend racine, des bénévoles s’y substituent afin de reverdir nos campagnes et nos villes. Peut-on pourtant s’en satisfaire ?

En sortant de Lille, dernier arrêt de métro, la campagne commence à apparaître mais on se rend vite compte que les champs qui s’étendent à perte de vue ne sont pas si verdoyants : les terres sont nues, les arbres et les haies se font rares. Depuis les abords du CHR, on peut même apercevoir les terrils du Pas-de-Calais. Si peu d’arbres entre Lille et les corons, c’est triste non ? Pourtant, si on fait un petit bond dans l’histoire, on s’aperçoit que les arbres n’ont pas toujours autant manqué aux sols de nos régions. Dans un passé pas si lointain, chaque parcelle agricole, d’élevage ou de plantation, était délimitée par des haies. Oiseaux et insectes pouvaient ainsi passer entre ces rangées d’arbres et d’arbustes reliant les zones boisées entre elles.

Au cœur de ces haies subsiste un « microclimat ». Parce que l’évaporation au sol est réduite, la température peut y être de 2 à 3 degrés inférieure. La faune et la flore s’y épanouissent, et les agriculteurs peuvent y trouver leur compte. En effet, la haie apporte de l’ombre au bétail, sert de refuge à tous types de mangeurs d’insectes, forme une barrière naturelle qui protège des maladies, du vent, empêche l’érosion du sol, retient l’eau lors des inondations et des coulées de boues. En bonus, les arbres délimitent à moindre frais les différentes parcelles. Point besoin de clôture électrifiée ou autre fil barbelé. Les haies ont aussi un rôle important en matière d’hydrologie. Elles freinent la vitesse d’écoulement, améliorent la structure du sol, filtrent l’eau par les racines et limitent les risques d’érosion. On sait aussi que les arbres captent le CO² et créent des îlots de fraîcheur.

Bref, les haies, c’est chic. Il n’y a qu’à regarder un paysage de bocage irlandais, écossais, breton – merci aux camarades de Notre-dame-des-Landes d’en avoir préserver une partie - ou de l’Avesnois pour se rendre compte des bienfaits de la biodiversité lorsqu’on la met à profit de notre agriculture.

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Ça sent le sapin pour les bocages

Mais voilà, dès 1950, c’est le grand remembrement1 des terres agricoles et l’arrivée en masse de la mécanisation pour l’agriculture. Les paysans sont moins nombreux, leurs champs s’agrandissent pour faciliter le passage des machines. Dans la même logique, les haies sont tout bonnement arrachées, la période n’étant pas vraiment à la préservation de la nature (puis ça permet de faire un meilleur temps au 110 mètres). Depuis cette époque, 70 % des haies ont disparu du territoire français, représentant une perte d’environ 1,4 millions de kilomètres de linéaires bocagers. 23 500 km de haies disparaissent chaque année au cours de la dernière décennie (contre 11 500 km par an sur la décennie précédentes)2. Et notre région a été l’une des plus durement touchées. Il faut s’aventurer bien loin de Lille - près d’une heure de bagnole - pour observer des bocages.

Le sud de la métropole, c’est aussi les champs captants3 qui représentent à eux-seuls plus de 40 % des besoins en eau potable de la MEL. De Loos à Seclin en passant par Wattignies, Houplin-Ancoisne et Wavrin, l’œil ne rencontre que des immenses surfaces agricoles déboisées. La végétation n’agissant pas comme filtrant naturel, l’eau s’infiltre moins dans les nappes et la réserve d’eau potable diminue. Les bocages agissent aussi comme des zones tampons contre les pollutions agricoles. Car ces champs sont devenus de véritables déserts de pesticides et portent préjudices aux agriculteurs en premier lieu, ainsi qu’aux riverains et aux consommateurs4. En plus de nous tuer à petit feu, les pesticides sont responsables de la diminution de 80 % des populations d’insectes en Europe et de plus de 50 % des oiseaux des milieux agricoles en France.

Des semis, pas du seum

A défaut d’être entendu et soutenu par l’État (on n’attend plus rien de lui), des collectifs citoyens ont décidé de pallier ses manquements. C’est notamment le cas des Planteurs volontaires5, une association crée en 2013 « qui se donne pour objectif de reboiser les Hauts de France en mobilisant les habitants, notamment grâce à des chantiers participatifs de plantation. » Depuis sa création, l’association Les Planteurs volontaires a déjà mené plus de 360 projets et planté près de 238 000 arbres et arbustes pour retisser du vivant là où il a été grignoté, en ville comme à la campagne.

Sur chaque projet, des dizaines de bénévoles sont appelé·es à participer. L’asso prend tout en charge, de l’achat des arbres à la plantation, en passant par l’entretien. Elle finance tout ça par les adhésions, les dons, ainsi que les aides des collectivités territoriales et agriculteur·ices aux pratiques culturales vertueuses. De nombreuses actions ont déjà été menées dans la métropole. Parmi elles, on peut citer un chantier de plantation datant de novembre 2023, à Sainghin-en-Mélantois, avec l’implantation de trois linéaires de haies doubles aux abords des champs.

Les Planteurs ne se cantonnent pas qu’à l’agroforesterie. Iels s’appliquent également à agir en milieu urbain, notamment à Lille où le béton prédomine. C’est le cas à la Citadelle, au Faubourg de Béthune, ou à proximité de la station de métro Oscar Lambret. Il s’agit aussi pour les bénévoles de re-qualifier les friches industrielles en forêts urbaines, comme ce qui a été fait à la friche Nollet à Roubaix.

Silence, ça repousse

En supplément de tous les bienfaits cités plus haut, planter des arbres peut nous permettre de nous reconnecter à la nature, d’apprécier le chant des oiseaux, véritable remède à la déprime et à l’anxiété. Pas du luxe par les temps qui courent. On ne peut qu’admirer la façon dont la nature résiste, si on lui donne un petit coup de pouce. Les initiatives au sud de la métropole en sont l’exemple mais c’est aussi le cas au nord. Au marais de Fretin, le castor d’Europe a fait son grand retour après près d’un siècle d’absence6. La ville de Lille prépare d’ailleurs sa réimplantation autour de la Citadelle et de la Deûle. Il pourra peut-être nous apprendre à faire barrage correctement.

Alors on peut faire un procès en apolitisme aux initiatives telles que les Planteurs volontaires, qui se contentent de recoller les morceaux d’un système qui détruit tout sur son passage. Reboiser n’a de sens que si l’on remet en question les structures qui privatisent la terre, exploitent l’agriculture et spéculent sur l’eau. Ce n’est pas en plantant quelques arbres qu’on renversera un modèle agro-industriel qui ruine tout. Plantons oui, mais pas juste pour se donner bonne conscience.

Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»

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