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féminismes & LGBTQI+ | Contraception testiculaire : les français s'en battent les couilles

Publié dans Le Prix du Plomb (printemps 2025) | Par Bettina
Mis en ligne le 03 décembre 2025
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En 15 ans, le nombre de vasectomies a été multiplié par 12 en France : selon l’ANSM, le nombre d’opérations est passé de 1 940 en 2010 à 30 288 vasectomies en 2022. Et pour la première fois en France, en 2021, il y a eu plus de vasectomies que de ligatures des trompes. Pourtant, la contraception testiculaire, a fortiori définitive, reste marginale et taboue en France, malgré son histoire militante captivante qu’on aurait tort de mettre au placard.

En 2021, Elodie Serna, historienne, publie Opération Vasectomie, essai qui retrace l’histoire de cette méthode contraceptive, intimement liée en France au néomalthusianisme, et notamment à un ouvrage paru en 1913, Essai sur la vasectomie. Stérilisation de l'homme indolore et sans diminution des facultés viriles. Le livre s'ouvre sur une idée radicale : celle d'enrayer la multiplication des dégénérés et anormaux, dans la lignée de Malthus qui, au 18e siècle, proposait d’endiguer la pauvreté en évitant que ces derniers ne se reproduisent.

La vasectomie 
ne date pas d'hier

La première association néo-malthusienne naît à Londres en 1877 et les idées se diffusent pour aboutir à l'organisation de huit congrès entre 1900 et 1930 dont le premier se tient à Paris. À la base, la contraception masculine, qui n’existe que via la vasectomie, est donc une pratique autoritaire et conservatrice, poussée par le néo-malthusianisme puis l’eugénisme. Néanmoins, la pensée va peu à peu évoluer en France dès les années 1950, principalement dans les milieux libertaires, sous l’impulsion des Jeunes Libertaires qui pratiquent la vasectomie.

En 1974, dans le sillon des luttes pour l’avortement et la contraception féminine, un manifeste intitulé Nous sommes des vasectomisés est ébauché et des hommes cherchent à créer une association pour la contraception masculine. Mais l’idée ne prend pas au sein des militants masculins. En 1975, après que plusieurs hommes ont alerté le parquet de leur ville pour indiquer être vasectomisé malgré la loi, le manifeste est quand même publié. Les vasectomies médicalisées en hôpitaux débutent alors, et les premiers CECOS (centres d’étude et de conservation des ovocytes et du sperme humain) ouvrent : on peut désormais conserver le sperme, on peut donc bien opérer les hommes qui désirent se faire stériliser. 


Pourtant, le milieu médical reste réticent, et les seuls médecins qui acceptent de pratiquer sont ceux qui ont été aux cotés des militant.e.s pour l'avortement. En 1978, le premier service hospitalier spécialisé en andrologie naît à Clamart (92) et les hôpitaux pratiquant la vasectomie se multiplient. Malgré cela, les conditions d'approbation sont difficiles et des associations se créent pour partager les contacts ouverts d'esprit.

En 1982 a lieu la première conférence internationale sur la vasectomie, on se rend compte que le seul problème de cette pratique est qu'elle ne convainc pas assez d'hommes. Les enjeux liés au machisme et au manque d'informations sur les réelles conséquences - quasi inexistantes - de cette opération sont parmi les premiers freins qui empêchent les hommes de sauter le pas. On remarque que plus on stérilise les femmes, moins les hommes veulent avoir recours à la vasectomie.

Les années 80-90 cependant marquent une pause dans les revendications : le VIH rend le préservatif plus présent, et la prétendue libération sexuelle des décennies précédentes devient plus austère. En 2013, on crée la journée internationale de la vasectomie : mais combien d’hommes en ont entendu parler où se sentent concernés ?

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Immaculée Contraception

Car oui, aujourd’hui encore, la contraception, qu’elle soit définitive ou non, reste une affaire de femmes (et de quelques militants visiblement plus woke que leur génération). Pourtant, il y a un gouffre culturel important : dans les pays anglosaxons, la vasectomie n’est pas synonyme de perte de virilité ! 44% des Néo-zélandais de plus de 40 ans sont vasectomisés, 25% des Australiens et 21% des Anglais. Chez nous, en revanche, on estime qu’à peine 1% des hommes auraient opté pour cette pratique (chiffres AFP pour 2022). Chers Français, vous êtes à la ramasse.

Mais il est vrai que le corps médical français vous met aussi des bâtons dans les roues. Un homme témoigne sur le sujet et raconte son rendez-vous chez l’urologue, il cherche à prendre une contraception temporaire. Son médecin lui répond, en riant : “Mais enfin, c’est à votre compagne de s’occuper de ça !”1

Contracept'tif :
pas de quoi se couper les cheveux en 4

A Lille, il n’y a que très peu de médecins qui pratiquent la vasectomie ou la contraception temporaire - oui oui, ça existe. Il faut en réalité sortir des sphères classiques pour se pencher du côté militant, pour découvrir des méthodes artisanales mais efficaces, en termes de contraception, temporaire ou définitive. C’est à ce titre qu’on a conversé avec le collectif Hautlescouilles, qui propose chaque premier mardi du mois au bar La Moulinette, une permanence ouverte à tous.tes sur la contraception testiculaire. On y discute du sujet, pour ensuite créer son slip contraceptif ou son anneau. Deux méthodes méconnues, et pourtant faciles d’accès :

• Le slip contraceptif, aussi appelé jockstrap, slip chauffant ou slip toulousain, consiste en un anneau cousu à un slip, dans lequel on passe le pénis, afin de remonter les testicules à l’intérieur du corps. Ce mécanisme permet aux testicules de gagner en température (comme avant la puberté, les testicules sont à l’intérieur, remontées) et ainsi de produire une stérilité temporaire. Il faut le porter 15 heures par jour minimum.

• L’anneau contraceptif, ou Androswitch, repose sur le même principe, mais via un simple anneau de silicone, qu’il faut là aussi porter 15 heures par jour minimum. On vérifie la stérilitié via un spermogramme prescrit par un médecin au bout de 3 mois.

Le collectif reçoit à chaque permanence entre 1 et 6 personnes. Ce qui est intéressant, c’est que la fréquentation a changé : « au début, en 2019, on n’accueillait que des femmes cisgenres qui cherchaient une alternative à leur contraception, suite à des désagréments » explique Lison, l’une des membre de Hautlescouilles. « Peu à peu, on a commencé à voir venir des couples hétéro, et maintenant, on a des hommes qui viennent seuls », poursuit-elle.

Le Planning familial remarque aussi une augmentation de la fréquentation de son centre (16 Avenue Kennedy à Lille) par les hommes cisgenres. D’ailleurs, l’organisme se veut à l’avant-garde, puisqu’il a intégré la question de la contraception testiculaire dès 2012. A Lille, les intervenantes qui effectuent de la sensibilisation à l’éducation sexuelle en collège et en lycée incluent désormais une présentation de la contraception dite masculine à leur propos.

Et en effet, la contraception testiculaire temporaire comporte de nombreux avantages : c'est un dispositif mécanique, qui n'implique donc pas d'effets secondaires liés à des molécules artificielles, et qui ne dépend pas de l'industrie pharmaceutique. Concernant la vasectomie, considérée comme définitive (alors qu'en réalité, l'opération de reversibilité, appelée vasovasostomie, existe et peut être pratiquée), il s'agit là aussi d'une opération à la fois quasi sans risques, de courte durée (une trentaine de minutes maximum), qui peut s'effectuer dans la majorité des cas en anesthésie locale, et dont les effets secondaires sont minimes, voire inexistants.

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Éducation, médecine et machisme

Néanmoins, la récente présentation du programme d’éducation sexuelle par Elisabeth Borne, qui devrait entrer en vigueur dès la rentrée 2025, est inquiétante. Les employées du Planning de Lille expliquent avoir été surprises - et pas agréablement - par plusieurs phrases qui se trouvent page 5 du programme complet2. En effet, il est indiqué que, si des associations extérieures peuvent être appelées pour effectuer ces cours d’éducation sexuelle, leur présence « est systématiquement anticipée, préparée et coordonnée avec un ou plusieurs membres de l’équipe éducative ; elle s’effectue toujours en leur présence. » 


Un détail qui n’en est pas un : comment s’assurer que les professeur.e.s dédiés soient ouverts à la contraception masculine, ou à la contraception définitive ? Comment s’assurer que les élèves soient à l’aise pour poser leurs questions si un de leur professeur est présent ?

Notons également que la contraception masculine n’est JAMAIS mentionnée dans le programme officiel qui sera inculqué aux élèves de France dès septembre prochain. 


Alors, pourquoi la contraception masculine est-elle toujours autant boudée ? « L’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt à promouvoir une contraception testiculaire mécanique » rappelle Lison d’Hautlescouilles. Elle explique que le coût matière des slips chauffants qu’iels produisent est de 5 euros à peine, pour un disposition qu’on peut garder des années ! On comprend mieux pourquoi les méthodes restent assez confidentielles dans leur diffusion et militantes. Dans la même lignée, Sam, d’Otoko Contraception3, qui propose des ateliers pour produire ses anneaux contraceptifs, met ses fichiers en opensource : tout le monde peut avoir accès aux patrons et designs pour reproduire des ateliers dans sa ville !

D’une part, le corps médical diffuse une pensée archaïque, conservatrice et franchement misogyne, en considérant que les rôles genrés ne peuvent pas évoluer, alors même que des techniques diverses existent. « Aucun médecin ne présente les méthodes de contraception définitives ou masculines lors des rendez-vous dédiés » rappelle Elodie Serna. Combien de gynécologues expliquent à leur patientèle que la contraception définitive est légale depuis 2001 en France, ou que les hommes peuvent aussi y avoir recours ?

Deuxio, la question de la virilité, qui passe, pour beaucoup d’hommes, encore beaucoup par la sexualité. La contraception étant un sujet attribué au féminin, pas question de se « déviriliser », comme diraient les masculinistes, en gérant sa contraception ! Parmi les quelques études effectuées à propos d’une potentielle pilule masculine, les retours des testeurs parlent des effets secondaires négatifs, n’aidant pas à donner envie de la prendre. Pourtant, ces effets secondaires sont souvent les mêmes que ceux qu’inflige la pilule dite féminine (baisse de libido, prise de poids, migraine, état dépressif, etc …).

D’ailleurs, Elodie Serna conclut son ouvrage, paru début 2021 rappelons-le, par une réflexion intéressante : selon elle, la question contraceptive chez les hommes est une réflexion individuelle et non politique, qui s'opère en réaction à un besoin de définir de nouvelles masculinités. Or, encore trop peu d’hommes se détachent des normes masculines à ce niveau. D’ailleurs, le collectif Hautlescouilles met un point d’honneur à être mixte, afin que les récits de femmes cisgenres puissent être entendus par les hommes qui viennent aux réunions. L’objectif étant d’éviter la répétition de biais sexistes ou d’entre-soi masculins reproduisant des oppressions sexistes.

2025 : peut-on espérer une auto-flagellation masculine ?

Nous sommes en 2025, et force est de constater qu’à part quelques collectifs militants, les initiatives restent très marginales.

A Lille, le nom d’un seul médecin ouvert à la contraception testiculaire circule dans la métropole (le Docteur Arnaud Bonte prescrit des spermogrammes et est ouvert à la contraception thermique des anneaux et slips chauffants), tandis que pour une vasectomie, il faut visiblement se rendre jusqu’à Denain, où le Dr. Loiselle effectue cette opération sans demander de justification aux patients qui viennent le voir (il s’agit d’un des seuls noms qui tourne sur les groupes Facebook). Notons que pour la ligature des trompes, le parcours reste lui aussi semé d’embûches : un seul médecin, le Dr. Drain, connu comme le loup blanc sur les groupes Facebook dédiés au partage de contacts, semble bien vouloir opérer sur toute la métropole.

Néanmoins, l’espoir reste de mise. La coopérative Entrelac porte un projet qui pourrait bien faire passer la contraception masculine thermique à la vitesse supérieure : Entrelac.coop4 a commencé des tests cliniques afin de faire certifier l’anneau contraception Androswitch et le rendre ainsi commercialisable. En janvier 2025, les nouvelles étaient très bonnes : la biocompatibilité est désormais confirmée grâce aux premiers tests. La mise en vente des premiers anneaux contraceptifs officiels et certifiés est prévue en 2026. Toutefois, il faut rester prudent : Elodie Serna pointe par exemple le « risque d’institutionnalisation » de la contraception thermique si celle-ci est accaparé par un groupe pharmaceutique. De même, « mettre l’Androswitch sur le marché sans s’assurer d’une éducation sexuelle complète et progressiste pose question », ajoute-t-elle : en effet, il convient de s’assurer que la contraception masculine ne devienne pas un nouvel outil de domination des hommes sur les femmes, voire « un moyen de pression », confie Elodie Serna. Lison d’Hautlescouilles émet les mêmes réserves : « il ne faut pas occulter le travail militant existant depuis des décennies » avec ce genre de coopérative qui risque de rendre tout cela très (trop ?) réglementé.

Au final, c’est toujours par le patriarcat que le bât blesse : les hommes doivent devenir acteurs de leur sexualité, et s’intéresser au sujet absolument.

L’idée, comme le confirment Charline et Lison de Hautlescouilles, n’est pas de vouloir transférer la charge contraceptive des femmes aux hommes : « la contraception doit avant tout être une responsabilité individuelle ». On pourrait imaginer que les adolescents, peu importe leur genre, aillent tous et toutes consulter pour être sensibilisés aux diverses méthodes, temporaires comme définitives, destinées aux pénis comme aux utérus, et que chaque individu devienne donc responsable de son propre corps.

Reste donc à ce que les hommes soient au rendez-vous afin d’assurer un relai suffisant pour faire pression sur une industrie pharmaceutique qui préfère empoisonner le corps des femmes et se remplir les poches au passage.

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Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»

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