répressions | Pascal Martel, une personne vulnérable abattue par un gendarme

Le 31 juillet 2023, à Isbergues (Pas-de-Calais), Pascal Martel a été abattu par un gendarme alors qu’il était en grande souffrance psychologique. Ce dernier lui a tiré une balle dans la jambe et une autre dans le ventre. Dans cette affaire, de nombreux éléments entretiennent le malaise, tant au niveau de l’accompagnement social et médical, que dans sa gestion par les pouvoirs publics et la gendarmerie.
Pascal était depuis longtemps en souffrance psychologique importante. Ce jour-là, il insulte et menace des voisin·es, comportement qu’il avait déjà eu à plusieurs reprises dans les années précédentes. Celleux-ci appellent alors la gendarmerie. Quand deux gendarmes se présentent au domicile de Pascal, arrivant par le jardin, celui-ci entre aussitôt dans sa maison pour se saisir d’un sabre japonais et se précipite vers eux. Jusque là, un témoin assiste à l’intervention, mais les gendarmes reculent ensuite, poursuivis par Pascal. Le témoin ne voit alors plus ce qui se passe car un garage, dans le jardin, lui cache la scène.
Parole de gendarme
Pour nous faire une idée de comment les choses se déroulent, nous n’avons que la parole des gendarmes rapportée par la Voix du Nord1. D’après leur version des faits, ils auraient d’abord essayé d’arrêter Pascal avec leurs matraques, puis à l’aide d’un taser qui selon eux n’aurait pas eu d’effet. Pascal aurait continué de les poursuivre avec son sabre, alors l’un des deux gendarmes lui aurait tiré une balle dans la jambe, ce qui ne l’aurait pas non plus arrêté. Il aurait à nouveau fait feu, l’atteignant cette fois dans le ventre. Un voisin a essayé de lui porter secours, mais il n'est pas parvenu à arrêter l’hémorragie et Pascal meurt sur place.
Peut-être les deux gendarmes disent-ils la vérité et peut-être non. Il arrive en effet souvent aux policier·es et gendarmes de mentir, bien qu’iels soient assermenté·es. De nombreux articles de presse documentent ces cas où des membres des forces de l’ordre sont convaincu·es de mensonge au cours d’un procès2. L’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN) a bien été désignée pour mener une enquête, mais, comme l’IGPN dans le cas de la police3, il est clair que celle-ci est plus occupée à défendre les gendarmes qu’à rechercher la vérité.
De plus, les autorités peuvent raisonnablement espérer que cette mise à mort passe à peu près inaperçu aux yeux du monde. La mort de Pascal se produit en effet le 31 juillet 2023, au beau milieu des vacances. De plus, aucun membre de sa famille n’est en mesure de réagir (nous y revenons plus loin) et ses problèmes psychiatriques l’ont isolé à l’extrême. Et de fait, un bref article a été écrit dans la Voix du Nord, un autre dans le journal local l’Écho de la Lys, et puis plus rien. Neuf mois plus tard, l’IGGN n’a fourni aux médias aucune info supplémentaire sur l’enquête.
Enquête de voisinage
Au bistrot en face de chez Pascal, un consommateur nous déclare : « C’est malheureux, mais ça devait arriver ». C’est vite dit, et ce n’est pas la tonalité des propos tenus par les habitant·es de la rue où habitait Pascal. Celleux-ci nous parlent de lui comme d’un voisin posant des problèmes, évidemment, mais iels expliquent aussi avoir fait leur possible pour que les pouvoirs publics lui viennent en aide, et qu’iels sont choqués de cette issue dramatique.
En effet, iels avaient contacté la mairie et la gendarmerie à plusieurs occasions, soit en se déplaçant, soit par pétition, ne demandant pas simplement qu’on les « débarrasse » de Pascal mais plutôt qu’on trouve une solution pour cette personne en souffrance. Ces démarches ont eu lieu il y a 10 ou 15 ans, dans les années qui ont suivi l’arrivée de Pascal dans le quartier. Constatant que rien ne bougeait, iels ont cessé de demander aux pouvoirs publics d’intervenir.
Une personne en souffrance
Pascal souffrait de gros problèmes psychologiques. Nous avons parlé de lui avec un bon nombre d’habitant·es de sa rue. Iels nous l’ont décrit comme ne parlant à personne, mais insultant copieusement tous·tes celleux qui tentaient de s’approcher de lui. S’il croisait quelqu’un dans la rue ne serait-ce que du trottoir d’en face, il se cachait le visage avec les mains.
Comme il ne payait plus ses factures depuis longtemps, on lui avait coupé l’électricité, et même l’eau paraît-il. Il se nourrissait de ce qu’il trouvait dans les poubelles. Il portait constamment les mêmes vêtements peu importe la saison. Une voisine nous a raconté qu’une nuit, il était monté sur le toit d’un appentis de sa maison, hurlant et faisant du chambard. Une dizaine d’années avant le drame, il s’était déjà promené dans les rues avec un sabre : les gendarmes étaient intervenus, le lui avaient confisqué puis avaient perquisitionné chez lui pour en chercher d’autres.
D’après son frère que nous avons rencontré début 2024, Pascal avait fait 2 ou 3 séjours en hôpital psy par le passé. Pourquoi est-ce que ça n’a plus été le cas ensuite ? Ici se profile la diminution des moyens attribués aux hôpitaux psy et la réduction du nombre de lits disponibles qui en résulte, même si l’internement n’est pas une solution pour le bien-être de ces personnes. Et voilà une personne en souffrance qui peut être dangereuse pour elle-même comme pour les autres, elle est laissée sans soin, ni accompagnement, et sans mise à l’abri. Pascal est laissé seul avec sa maladie.
Interventions létales
Dans ces conditions, l’intervention des gendarmes était inévitable. Néanmoins, les pratiques des forces de police et les moyens mis en œuvre dans ces situations ont de quoi questionner. Malheureusement, le drame de Pascal n’est pas un cas isolé (voir ci-dessous) puisque chaque année, plusieurs personnes, en souffrance psychologiques ou en crise, sont ainsi tuées. Typiquement, elles ont à la main une arme blanche, un couteau, des ciseaux ou un tesson de bouteille.
Les policier·ères ou les gendarmes interviennent généralement à deux ou trois, avec leur arsenal habituel. Dans ces conditions, qu’iels ne parviennent pas à interpeller sans utiliser leur arme à feu, donc sans tuer, une personne seule qui a une arme blanche à la main est aberrant. En fait, la gestion de ce genre de situations par les forces de l’ordre est, en toutes circonstances, catastrophique. Jamais correctement équipé·es, ni formé·es pour faire face à des personnes aux comportements imprévisibles, il est simplement ahurissant que ces cas de figures soient systématiquement confiés à des brutes épaisses avides d’autorité.
Dans le cas de la mise à mort de Pascal Martel, les voisin·es étaient à l’abri chez elleux, il n’y avait donc pas d’urgence pour les gendarmes à interpeller Pascal qui ne présentait pas une menace immédiate. Au lieu de se présenter directement à sa porte, on aurait a minima pu envisager que les gendarmes se contentent de surveiller la situation, le temps qu’un·e professionnel·le de santé, psychologue ou « négociateur·ice » puisse arriver et tenter d’apaiser Pascal. Mais la pratique des gendarmes comme des policiers est de s’imposer le plus rapidement possible. Affirmer leur autorité est une obsession qui est peu compatible avec le fait de prendre en compte tous les éléments pour agir avec le moins de dégâts possible.
La mairie passe sous silence
Alors qu’iels avaient tiré la sonnette d’alarme comme nous l’avons vu, plusieurs voisin·es considèrent que les vrais responsables du drame sont la gendarmerie, bien sûr, mais aussi la mairie par son inaction. À l’automne 2023, le maire nous reçoit brièvement. Il nous déclare qu’il était au courant de la situation depuis longtemps, comme son prédécesseur, et qu’il a même un dossier « épais comme ça ! », mais qu’il ne nous dira rien de ce qu’il y a dedans. Selon lui, tout ce qu’il était possible de faire a été fait, mais il ne veut rien nous dire de ce qui a été en réalité fait. Il nous répète à plusieurs reprises, en insistant : « Cherchez pas de loup ! Il n’y en a pas ! ». Visiblement, notre enquête dérange le maire…
Il nous a cependant dit avoir alerté le procureur, qui avait répondu qu’il fallait un avis médical avant d’envisager un placement d’office en hôpital psychiatrique. En effet, légalement, un maire a le droit de provoquer l’internement (non-consenti, nous reviendrons dessus) d’une personne en souffrance si il y a un certificat médical. Mais ce n’est que peu avant la mort de Pascal que cet échange entre le maire et le procureur a eu lieu. Alors, pourquoi le maire n’avait-t-il pas envisagé ce placement plus tôt si son dossier était aussi épais ? A cette question, il répond « joker ! ». Puis il ajoute que maintenant, il est « soulagé que Pascal soit neutralisé ».
Le maire n’hésite donc pas à dire qu’il est « soulagé » de la mort d’un de ces concitoyens malade, qui était un danger aussi pour lui-même. Bien sûr, il a pu craindre à juste titre qu’un·e habitant·e du village soit blessé·e par Pascal… Mais s’il est aujourd’hui aussi réticent à cette enquête, c’est pour la simple raison qu’il aurait comme la police tout intérêt à ce que cette affaire soit étouffée, ne serait-ce que parce sa part de responsabilité dans la mort de l’homme semble être un sujet sensible !
Pas de plainte, pas de procès
En fait, pour avoir plus de chance d'élucider ce qui s'est réellement passé, il faudrait que la famille porte plainte et se porte partie civile, déclenchant ainsi une enquête de justice menée par un juge d’instruction. Mais là, un nouveau problème se pose : le seul membre encore en vie de la famille de Pascal est son frère, et celui-ci est placé sous tutelle. Or, il semble bien que, jusque là, son tuteur n'ait pas fait les démarches pour porter plainte. Malgré ses difficultés à être autonome, rien ne justifierait qu’il ne sache jamais comment Pascal, son frère, est mort après des années de solitude et de souffrance, sans prise en charge par les pouvoirs publics.
Et puis, même si elle n’amène pas à la condamnation du gendarme, une action en justice permettrait que la mort de Pascal Martel ne passe pas inaperçue, et ainsi de contribuer à poser sur la table ce problème récurrent de la gestion des personnes en souffrance psychiatrique par les policiers et gendarmes. En allant plus au fond des choses, cela contribuerait surtout à poser le problème de la façon dont notre société s’occupe de ces personnes ; ou plutôt, la façon dont elle ne s’en occupe pas suffisamment. Parce qu’en réalité, au-delà de la question de l’impunité de la police, ces meurtres à répétition interrogent sur la prise en charge des personnes qui souffrent de problèmes psychiatriques graves, au point de ne plus être capable de vivre parmi les autres.
Bien sûr, on se rend compte qu’on manque de connaissances sur ce sujet et on se demande au final si la psychiatrisation forcée pour Pascal aurait été la bonne solution car elle correspond, en fait, à une autre forme de privation de libertés sous l’autorité de la médecine. En tous cas, Pascal a lui été tout bonnement livré à lui-même par les pouvoirs publics, comme beaucoup d’autres dans des situations similaires. Certain·es ont une famille ou des proches qui, avec beaucoup de difficultés, les prennent en charge comme iels peuvent, mais d’autres non et les institutions ne font qu'empirer les choses.
Issu du numéro 70 | «Keski facho !»
répressions | sur la même thématique
Henri Lenfant : Comment on tue un homme désarmé...

Preuve qu’il s’agit d’un procès singulier, la VDN sort le grand jeu : compte-rendu des audiences au jour le jour et résumé des échanges à la minute près. Témoignages, suspensions de séances, prises de parole et plaidoiries y sont consignées avec un certain zèle. Ça permet de suivre le procès à distance parce qu’en ce mois de février, le moral et la motivation s’engluent dans une pluie incessante et parce que Saint-Omer, c’est un peu loin quand on n’a pas de bagnole. D’ailleurs, qu’est-ce…
Exploiter et punir, des bagnes en chantier !

En effet, la surpopulation carcérale est un problème : le principe de l’encellulement individuel est bafoué depuis sa proclamation en 1875. Son application est sans cesse reportée, contraignant deux à trois personnes – parfois plus – à partager une même cellule de 9m2 et plus de 1 830 personnes à dormir chaque nuit sur des matelas posés au sol. En avril 2023, le taux de surpopulation moyen en France était de 120 %, avec 73 080 détenu·es pour 60 899 places
Ce sujet est cependant instrum…
Revoltes pour Nahel : le RAID dingue de Lille

Vendredi 30 juin 2023. Ce soir-là, une manifestation est déposée, place de la République. Elle est annulée par la Préfecture qui interdit tout rassemblement dans l’hyper-centre. Un rendez-vous tourne pour se rassembler aux Halles de Wazemmes. Coquelicot retrouve Flavie dans la manif. L’une sort du taf, l’autre sort du lit car elle travaille de nuit. Mischa, qui ne les connaît pas encore, sort aussi de son boulot, avec sous le bras une pancarte. Recto : La police tue. Verso : Dissoudre Darmanin,…