Le 24 octobre, les flics évacuaient le camp de réfugié.es de la friche Saint-Sauveur. Troisième fois en un an que la préfecture disperse les exilé.es pour mieux les contrôler et les invisibiliser. Alors que les discours et les méthodes se durcissent, le mouvement de solidarité, lui, se renforce.
Voilà deux ans que La Brique vous informe sur la situation des jeunes, mineurs, isolés et étrangers à Lille. Deux ans que le département clame son manque de capacité d’accueil tandis qu’il continue à diminuer le nombre de places disponibles. Deux ans que la mairie s’apitoie face aux caméras mais demande systématiquement l’évacuation de chaque refuge de fortune tel que le parc des Olieux, la maison rue Fontenoy ou la friche Saint-Sauveur. Et deux ans que La Voix du Nord assure le service « après-évacuation » en nous bourrant le crâne avec les communiqués de la pref’ pour qui « les mineurs ont tous été pris en charge par le département ». Ben tiens !
La réalité est moins glorieuse. Encore une fois, des gosses se sont retrouvés sans aucune solution suite à l’évacuation des keufs. Face à l’urgence de l’hiver, les jeunes et leurs soutiens réunis au sein du Collectif des Olieux, ont investi un bâtiment abandonné. Dénommé ironiquement « le cinq étoiles », cet immense hangar désaffecté du quartier Moulins, n’offre rien de plus qu’un toit et quelques cloisons pour se protéger de la pluie et du vent. Le propriétaire Partenord - office public de l’habitat dans le Nord n’a pas perdu de temps, puisque la demande d’expulsion a été déposée dans la foulée auprès du tribunal. Espérons que la trêve hivernale s’applique ici1. Sinon, ce sera retour à la rue en plein hiver et une adresse de plus sur la longue liste des bâtiments vides à Lille.
Jean-René (Le)cerf... la soupe au FN
Le département du Nord, via l’aide sociale à l’enfance (ASE), est légalement responsable de la scolarisation et de l’hébergement des mineurs. Pourtant, il ne cesse de clamer son impuissance... et son manque de moyen pour tenter de justifier son inaction. Coté cynisme, Jean-René Lecerf, président du département, va loin. Il profite des colonnes de la VDN2 pour se dédouaner en opposant entre eux les gamin.es supposé.es être sous sa responsabilité. Selon cet esprit lumineux, à cause des mineurs étrangers, « 200 Nordistes qui devraient être hébergés [...] sont obligés de rester chez eux ». À ceci près qu’il y a un an, c’est ce même Jean-René Lecerf qui décide de supprimer 700 places en foyer d’ici 2018, arguant que pour des raisons économiques le nouvel objectif sera de limiter le placement des enfants pour favoriser les mesures de soutien renforcé à domicile. Dans le même article, il affine sa pensée : « pour une fois je suis d’accord avec Mme Le Pen quand elle dit qu’il est urgent de mettre fin à la présomption de minorité ». Prudent, il précise : « on ne peut pas me créditer de sympathie avec le FN ». Hé bien si, on peut Jean-René. Et on va pas se gêner, même si en l’occurrence, tu te démerdes très bien sans nous pour incarner toute la haine des frontistes. Mettre en concurrence des gosses et insinuer ensuite que certains piquent la place à d’autres, il fallait oser, surtout quand on est localement le premier responsable du manque d’hébergement.
Solidarité de Lille et d’ailleurs
La politique d’accueil des migrants se durcit partout en France sur les ordres du ministère de l’intérieur3 : criminalisation, répression et invisibilisation. Face à ce constat, la solidarité et les occupations de bâtiments se généralisent. À Clermont-Ferrand, à Lyon, à Bordeaux, des collectifs et associations interpellent les autorités et des mouvements militants s’organisent. À Marseille, une église a été réquisitionnée pour alerter les autorités. À Nantes, c’est la fac, puis une ancienne école désaffectée et enfin un château de 900 m² qui ont été investis par un vaste mouvement de mise à l’abri des exilé.es animé par des autonomes, des associations, des syndicats mais aussi des étudiant.es, des élu.es, des voisin.es et des passant.es.
À Lille, le 25 novembre, des dizaines de personnes bravent le froid pour marcher de la place de la République jusqu’au centre de rétention de Lesquin où sont enfermé.es des réfugié.es en attente de transfert. Portée par le comité des sans papiers, cette marche joyeuse rassemble des militant.es de tous horizons. Samedi 2 décembre, plusieurs fanfares de Lille et d’ailleurs ont mis le bazar dans le centre-ville à coups de chants révolutionnaires pour soutenir et faire connaître la cause des exilé.es. Tout ce beau monde a ensuite convergé vers l’espace autonome des 18 ponts pour une fête en l’honneur des jeunes. De quoi se détendre et oublier pour quelques heures la dure vie lilloise. Si localement, des mouvements de résistance se structurent depuis longtemps dans la lutte auprès des exilé.es, à travers toute la France, des associations, ONG, collectifs et réseaux de solidarité impliqués dans l’aide aux exilé.es tentent de peser auprès des décisions de l’État. Objectif : organiser les « États généraux des migrations » au printemps 2018 et instaurer un rapport de force avec le gouvernement. Bon, c’est pas encore l’abolition des frontières, mais tout ce qui s’oppose aux assauts de violence orchestrés par le ministère de l’intérieur parait bon à prendre.
Herkaho et Brubru
- Depuis la loi Alur de 2014, les squats peuvent en effet bénéficier de cette mesure qui interdit de chasser les gens de leur habitation entre le 1er novembre et le 30 mars, à moins qu'un juge en décide autrement.
- Le président du nord dénonce une situation « délirante », La Voix du Nord, 18 octobre 2017.
- Une circulaire du ministre de l'intérieur datée du 20 novembre met la pression aux préfets pour « accélérer le rythme des expulsion » et « agir vite ».
Les enfants se mobilisent pour leurs droits. Récit d'actions...
Dans les bureaux de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), des mineurs isolés cherchent à rencontrer leur représentante légale, Mme Gadenne, seule personne en mesure de signer leur dossier d’inscription à l’école mais jamais bien disposée à le faire. Ils sont reçus par des employées qui tentent d’évacuer leur demande : « Y a pas d’accueil ici », « Mme Gadenne n’accueille pas ici », puis « Mme Gadenne est en congé ». Rien n’y fait, les jeunes sont déterminés. Ils seront invités à libérer l’espace. Comprenez « il y a des personnes en difficulté qui veulent passer et qui n’osent pas »... ou quand l’aide sociale à l’enfance a peur d’enfants.
Une cadre, Mme Leclerq, finit par voler au secours de son équipe pour délivrer une analyse politique aussi mystérieuse qu’inquiétante : « Nous aussi, on est victime de la migration ». Pleine de compassion, elle ajoute « ce n'est pas confortable pour nous non plus que vous dormiez dehors », juste avant d’appeler les flics à la rescousse. C’est ce qu’on appelle de la compassion de courte durée.
Entre-temps, le petit groupe est rejoint par d’autres mineurs dormant avec eux à la rue, mais ayant la chance de sortir de l’école (eux ont donc réussi à décrocher la fameuse signature). Ces derniers se voient refuser l’entrée par Mme Leclercq qui accueille par contre chaleureusement les policiers à l’intérieur. Ne pouvant identifier un responsable au sein du groupe de trublions, les bleus s’assoient autour des adolescents et attendent les ordres. Le lien est maintenu avec les copain.ines de l’extérieur. Les gobelets d’eau et de nourriture s’échangent au travers de la dernière fenêtre oscillo-battante restée ouverte. Le ravitaillement et la motivation arrivent à temps pour ces jeunes qui n’ont rien mangé de la journée.
La lutte finissant par payer, le directeur du dispositif TRAJET, M. Saouli appelle et leur fixe un rendez-vous individuel cinq jours plus tard. D’ici là, « pas de solution ». Solidaires, les jeunes se rendent collectivement au rendez-vous de M. Saouli, qui apprécie peu l’initiative : « Si c’est comme ça je ne prends plus de rendez-vous », peste-t-il avant d’appeler la police.
Sitôt arrivés, les keufs invectivent les jeunes : « Y a déjà plus de place pour les gars de chez nous ! Qu’est-ce que vous faites chier ?! » Le discours nauséabond de Jean René Lecerf semble avoir déjà infusé. Les flics doivent attendre l’autorisation de la préfecture, avant d’expulser les mineurs des locaux. En attendant, on se détend entre collègues, et les blagues fusent : « Hein, Guy, fait pas comme la dernière fois. Tu fais des sommations avant de tirer... Tu n’tires pas directement dans le tas ! ». Sympa, l’humour bleu marine. En fin d’après-midi, l’autorisation tombe, les flics mettent tous les enfants à la rue. L’administration peut être rapide, quand elle veut.
*Dispositif discriminant qui accompagne les mineurs étrangers avec une allocation journalière deux fois inférieure à celle d’un dispositif classique.