lutte des classes | Les classes, prépa, un système qui attrape, avale et recrache des élèves broyé.es
Dans l’imaginaire collectif, en prépa on récolte les zéros à la pelle, les remarques négatives pleuvent et les élèves encaissent comme iels peuvent. Iels sont trop en manque de sommeil pour comprendre quoique ce soit. Le système des classes préparatoires a pour but de formater les élèves afin qu’ils rentrent dans le moule scolaire aux valeurs profondément bourgeoises. Au détriment de tout, y compris de l’intégrité psychologique des élèves.
Chaque année en septembre, un peu plus de 82 000 élèves font leur rentrée en prépa. Pour certain·es, c’est leurs premiers pas dans ce système. Pour d’autres, c’est déjà la deuxième voire la troisième année. Si on cherche à définir les classes prépas, il faut d’abord s’attarder sur son nom complet: Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. CPGE. C’est un nom fastidieux, alors il est abrégé en "prépa" ou "classe prépa". Formation en deux ans en post-bac, les classes prépa se déclinent en plusieurs filières différentes: les filières littéraires, dites AL et BL, les filières scientifiques, MP (mathématiques et physique) et PSI (physique et science de l’ingénieur) ainsi qu’une filière économique, dite ECG.
Le but affiché de la prépa ? Apporter un enseignement pluridisciplinaire et rigoureux aux élèves en leur inculquant des valeurs et des savoirs bourgeois. Le but réel de la prépa et des équipes pédagogiques ? Former, de manière intensive et abrutissante, les élèves afin qu’ils se conforment aux attentes desdites grandes écoles. Un formatage en règle. Assis·es sur une chaise entre quatre murs 35 heures par semaine, les élèves sont gavé·es de concepts, de méthodologies qu’il faut apprendre par cœur jusqu’à la nausée. La violence de ce système passe par un vase-clos, renforcé par l’internat, une infantilisation et des humiliations quotidiennes. Quand et comment exister en tant qu’individus dans ce système ? Je vous épargne un nœud au cerveau à essayer de trouver: ce n’est juste pas possible.
Se conformer aux normes bourgeoises de la prépa, peu importe le sacrifice
Chaque prépa a ses histoires de suicide. Les étudiant·es sont poussé·es à bout par une institution ultra-violente et autoritaire dont les professeurs sont complices.
Cette formation ultra-exigeante a ses rituels. Aux termes des concours blancs vous serez classé·es. Au moment des khôlles (oraux hebdomadaires d’une vingtaine de minutes en tête à tête avec un professeur) vous vous exposez aux remarques vexantes sans droit de réponse. Pour ne pas s’attirer les foudres des professeurs, mieux vaut se conformer aux exigences très strictes. Il faut le faire immédiatement, sans temps d’adaptation, alors même que les étudiant·es à peine du lycée sont tout juste majeur·es. La violence et la brutalité de ce système n’a pour but que d’embourgeoiser celleux qui ne le sont pas déjà. Car, en prépa beaucoup ont déjà hérité d’un capital culturel et nombreux·ses sont celleux qui sont issu·es des classes dominantes. La prépa est donc un environnement de reproduction sociale.
En prépa pour l’année 2020-2021, 53,7% des élèves ont des parents cadres ou dans des professions intellectuelles supérieures. En face, le maigre 6,4% d’enfants d’ouvrier·ères ne pèse pas lourd. Les boursier·ères sont légèrement plus nombreux·ses. En 2021, il y avait 27,3% de personnes boursières en prépa. Mais ce chiffre est en constante baisse : depuis 2016-2017, le taux de bousier·ères a baissé de 2% puis encore de 0,5% depuis 2020-2021. À titre de comparaison, le taux de boursier·ères à l’université a augmenté de 2,9% depuis 2016-2017.
Ainsi, la majorité de l’effectif de prépa est composée d’étudiant·es qui ont été biberonné·es aux valeurs bourgeoises et ont un capital culturel significatif. Mais quid des autres, de celleux qui se sont frayé un chemin jusqu’à cette formation qui accueille si peu de diversité ? Il leur aura fallu dépasser les difficultés financières, un système scolaire inadapté et l’autocensure pour arriver au sein d’une prépa. On parle souvent de la prépa comme deux ou trois années un peu dures. C’est plus que cela et un sondage que j’ai réalisé illustre l’impact profond de la prépa sur la santé mentale et physique des étudiant·es.
La santé mentale en prépa, une réalité sacrifiée, oubliée, dénigrée
Chaque prépa a ses histoires de suicide. Les étudiant·es sont poussé·es à bout par une institution ultra-violente et ultra-autoritaire dont les professeurs sont complices. « Les profs ont tendance à aider ceux en qui ils croient. En première année, j'avais des résultats excellents et les profs me soutenaient personnellement. En seconde année, j'avais des résultats très bons aussi et pareil, je pouvais demander ce que je voulais. En troisième année par contre ils se sont complètement désintéressés de ma santé même si je leur demandais de l'aide. Dans tous les cas, ce n'est pas un soutien ! C'est une pression supplémentaire d'avoir les profs sur le dos et tu sais très bien qu'au moindre échec tu perds leur soutien » explique une ancienne élève de prépa littéraire à Lyon. Ce témoignage illustre un mode d’action: soutenir celleux en qui sont placés le plus d’espoir et laisser crever les autres Dans ce système, si on n’est pas "concourable" (en capacité de réussir aux concours des grandes écoles) on n’est rien et on ne vaut rien. « Iels ne considèrent pas la santé mentale de leurs étudiant.es, seulement leurs résultats » dénonce un·e autre ancien·e étudiant·e de prépa littéraire à Faidherbe à Lille.
Plongé·es dans cet engrenage, beaucoup perdent pied, se noient et trouvent dans des mécanismes d’auto-destruction un soutien que personne ne leur apporte. Personne. Dans beaucoup de prépas aucune amitié n’a de valeur à côté d’une admission à une grande école. Les trahisons sont légion. Brûler les cours de camarades, de concurrents, harcèlement insidieux avec des remarques désobligeantes… autant de stratagèmes que les élèves mettent au point tant ils ont poussé à l’extrême l’individualisme.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que, parmi les personnes sondées, près de 84% affirment avoir ressenti une fatigue excessive et chronique, 81% du découragement et 65% de l’anxiété. De plus, 20% des sondé·es disent avoir ressenti au moins cinq des six états suivants: anxiété, dépression, idées noires, découragement, perte de confiance en soi et fatigue chronique. Un tableau bien sombre.
Cet état psychologique se reflète sur la prise de médicaments. Ainsi, 82% des personnes sondées déclarent qu’elles ne prenaient pas de médicaments quotidiennement avant la prépa. Pendant la prépa, elles ne sont plus que 61,5%. Un recul de 20% qui témoigne de la détresse dans laquelle sont plongé·es les étudiant·es. Parmi ces médicaments, on retrouve en grande partie des anxiolytiques (20%), et des antidépresseurs (5%). Le reste se partage entre des médicaments contre le stress, et des produits énergisants.
Un système scolaire profondément nécrosé, nécessairement voué à l’échec
Aucun cursus ne devrait mener à un tel désespoir et la prépa ne fait pas figure d’exception. Dans les écoles d’architecture, le culte de la "charrette" mène chaque année des étudiant·es au burn-out. “Faire charrette” est, comme son nom ne l’indique pas, qu’un·e étudiant·e dort le moins possible. C’est encouragé par les écoles elles-même qui, jusqu’à récemment, ne fermaient pas la nuit, ce qui permettait à leurs étudiant·es de travailler jusqu’au petit matin en dormant quelques heures sous les tables. La compétition est aussi de mise. Une maquette détruite le jour du rendu, c'est des heures de travail qui finissent en ruine et un environnement de travail délétère. Mais alors que faire ? Quand réformer ne marche plus, si tant est que ça ait marché un jour, il faudrait tout raser pour repartir de zéro.
Pour aller plus loin :
- « Nik La Prépa », par la Coordination d'Actions Critiques de l'École, à lire sur Indymedia Lille.
- « Faut-il vraiment sauver les classes préparatoires ? » , sur Mediapart.
Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»
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