La Brique, logo

féminismes & LGBTQI+ | Paillettes et ruban rouge

Publié dans Le Prix du Plomb (printemps 2025) | Par Iconik'tou, Illustration par Vela
Mis en ligne le 03 décembre 2025
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Cette année, La Brique a enfilé ses talons hauts, repoudré son nez et ajusté sa wig pour battre les pavés de la ville aux côtés des Divas de la scène drag lilloise. C’est dans le cadre du week-end du Sidaction, qui s’est tenu les 21, 22 et 23 mars dernier, que des dragqueens et dragkings se sont mobilisé∙es collectivement pour organiser la neuvième édition du Sidragtion.

Bon, avant de faire le portrait de ces journées, il faut enlever la confusion à l’oreille. Le Sidragtion n’a rien à voir avec une quelconque festivité en lien avec l’alcool de pomme souvent consommé en Bretagne ou en Normandie selon où vous mettez le Mont-Saint-Michel (oui, on parle de choses sérieuses ici).

Il nous faut maintenant faire un point sur ce qu’est le Sidaction. Au cas où vous ne le saviez pas, le Sidaction c’est à la fois une association qui lutte contre le Sida/VIH depuis 1994, mais aussi l’événement télévisé qui collecte des dons au profit de l’association. Celle-ci finance des programmes de recherches, et d’autres assos qui viennent en aide aux malades. L’association réalise aussi en parallèle de la prévention, tant sur le territoire français qu’étranger.

Pour celleux qui dorment depuis les années 80’, oui, le VIH continue de faire des ravages, surtout lorsqu’il n’est pas traité. C’est dans ce cas que le basculement entre VIH et Sida se fait. Sans traitement, le Syndrome de l’Immunodéficience Acquise (Sida) se développe environ sept ans après la contamination par le VIH (Virus de l’Immunodéficience humaine). Cette durée correspond à l’arrêt du fonctionnement du système immunitaire, en raison de la destruction partielle ou totale des lymphocytes T par le virus.

Pour lutter contre le Sida/VIH, le dépistage c’est une bonne étape qui permet de prévenir, de se protéger soi et les autres. La lutte peut s’incarner par plusieurs méthodes et le Sidragtion en est une. En France, les Divas se mobilisent depuis 2016 à l’initiative de Mini Geste, rapportant l’événement depuis Amsterdam (Begging babes) avec la participation de Enza Fragola et Emily Tante, d’abord à Paris puis dans plus de 18 villes métropolitaines cette année.

Que font les paillettes
 dans la rue ?

Et bien, ielles font des maraudes avec bonne humeur, danse, chant, discussion, prévention et autres idées à leurs initiatives. Les trois objectifs principaux de cette action sont la collecte de fonds, la diffusion de messages de prévention et la (ré)appropriation de l’espace public, qu’il soit médiatique ou physique. Ces objectifs sont remplis par des maraudes dans les villes, mais aussi par l’organisation d’événements différents tels que des scènes ouvertes, comme à Lille ou des bingos dans d’autres villes.

Le vendredi et samedi après-midi, ce sont donc de super équipes composées de Drags et de civil∙es munies de boites scellées au logo du Sidaction qui se sont réparties les quartiers de la ville. A cette occasion et durant toute la journée, la Brique a pu poser des questions et donner la parole aux artistes de son groupe tel∙les que La Bêtise, Manee King, Rose Perry ou encore La Gorgone. Si vous étiez dans Lille ces jours-là, vous avez pu nous croiser dans la rue de Béthune, à République, sur la Grand-Place, ou dans des lieux repères LGTBQ+ comme Babylon. Les teams pailletées sont allées à la rencontre des personnes dans la rue, dans les commerces ou sur les terrasses pour leur soutirer quelques pièces, parfois des billets voire directement la carte bleue (oui oui, c’est pas une blague comme de nombreuses flâneur∙euses ont pu le dire, on prend aussi la CB, malheureusement restituée à leurs propriétaires). Les maraudes permettent le contact, la discussion et de sortir du cadre « sérieux » des collectes de fonds, croyez-nous, une grande rousse habillée tout en vert fluo et en bottes à talons, ça attire le regard et allège le porte-monnaie.

Les dons, certes, mais la morale aussi

Dans la grande majorité des cas, les personnes donnent facilement, même les petits centimes au fond du porte-monnaie parce que le Sidaction n’est pas une cause récente et qu’elle fait parler d’elle grâce notamment au show télévisé. Les réactions les plus courantes ont été « ah c’est pour le Sidaction, bon d’accord je donne ». Malgré tout, on peut trouver dommage que ce genre d’actions soient de plus en plus perçues comme de l’ordre du caritatif, avec une pseudomorale catholique, ou même du bénévolat. Ceci a pour conséquence de laisser toute la charge aux associations dépendantes des financements de l’Etat et répondre au « contrat républicain » sous peine de les voir s’envoler. Il devrait plutôt être question de s’investir dans des réseaux de santé communautaires, locaux et plus indépendants. Si ce mode de gestion vous intéresse, vous pouvez aller voir du côté de Nantes et, plus éloigné, vers Athènes où des centres de santé autogérés existent. Il est aussi possible de se tourner vers des formes d'actions plus militantes, éloignées du corps médical, et portées par et pour des personnes concernées directement, comme l'iconique association Act Up.

Slay dans la rue

Dans les rues, vous devez vous en douter, toutes les interactions, voulues ou non, n’ont pas été à la gloire des magnifiques makeup réalisés par nos stars … Quelques altercations ont eu lieu, des insultes ont surgi rappelant aux groupes l’incompréhension de l’art du drag et la violence omniprésente envers des pratiques considérées comme déviantes. Du grand classique me direz-vous. Ce qui permet de rappeler l’importance de l’implication des civil∙es pour veiller à la sécurité des drags, enlever des cheveux coincés dans les faux cils, porter les baskets pour le retour, la bouteille d’eau et le gouter. Ce n’est pas parce que vous ne pratiquez pas le drag qu’il n’est pas possible de participer à l’action. Les allié∙es, c’est cool. Sauf pour les fachos. Tout le monde a besoin d’allié∙es, mais nous on veut surtout de complices qui s’impliquent, qui ne restent pas extérieur∙es et qui vont plus loin que les allié∙es se contentant de dire que c’est bien ce qu’on fait.

D’ailleurs, pendant l’action à Lille, les maraudes du samedi ont pu croiser une des manifestations contre l’extrême droite, ça aurait pu être une bonne occasion de collecter un max et d’avoir du soutien, mais le risque de rencontres problématiques avec les FDO ou des fachos infiltrés étant présent, la plupart des équipes ont choisi de contourner le rasso. Cette action s’est donc déroulée en simultanée dans toutes les villes de France qui l’accueillent, l’un des buts étant aussi de faire connaître l’événement drag en même temps que les journées de lutte contre le VIH.

drag rose et bleu

Slay sur scène

Après avoir fait bonne récolte, toute la team se réunit à la Bratcave où une scène ouverte est prévue en début de soirée. C’est le moment pour les bébés queens and kings de se visibiliser en performant auprès de la communauté drag, mais aussi plus largement puisque l’événement était ouvert au public. Comme le dirait Manee King qui a performé sur scène le samedi "Si tu n’as jamais vu de drag show, viens c’est génial. Tu vas pleurer, rire, hurler et avoir beaucoup de souvenirs". Chaque drag qui se retrouve sur scène a sa personnalité, son histoire, son style et porte ses propres valeurs. A ce propos Manee, l'un des rares drag King présents à cette édition a déclaré "Bats-toi pour une cause importante. VIVE LES TRANS <3", à propos du caractère militant du drag.

Chacun∙e à la place de s’exprimer et d’exister et c’est beau à voir. L’ambiance est incroyable et les performances sont plus impressionnantes les unes que les autres.

Les coups de coeur de la rédac' pour les perfs du samedi sont le duo Rose Perry et Manee King qui montre une alchimie incroyable, avec deux personnalités différentes, mais si bien assorties. L'une a un drag "Coloré, Glamour et pétillant" tandis que l'autre est plutôt dans le cabaret burlesque qui transmet des messages.

Votre canard a aussi beaucoup apprécié la performance de King Daddy Danger assez musicale et vraiment rafraîchissante dans son style. On notera aussi L'Etoile du Berger qui nous a montré son côté sombre en mariant bleu nuit et rouge sang dans un show bien surprenant et plutôt décalé. En fin de compte, cette scène ouverte a permis de se rencontrer, de partager ensemble un véritable moment de communauté si important. La Brique a été plus que ravie de pouvoir claquer des doigts aussi fort et de ressortir la voix cassée en ayant trop crié d'admiration devant cet art performatif dont la portée politique n'égale que le talent des artistes.

Même si avec l'émergence de Drag Race en fRance, les artistes sont rendu∙es plus visibles, il ne faut pas oublier que cela reste un show télévisé qui peut avoir tendance à mettre sous le tapis les scènes locales et les préoccupations politiques qui y sont liées. Rose Perry, qui pratique le drag depuis 2023, nous l'a très bien expliqué durant une discussion "Avec l’explosion de Drag Race et la démocratisation du drag, on oublie beaucoup trop souvent que le drag est avant tout un acte militant et pas seulement un divertissement. Je pense qu’il y a encore du chemin à parcourir pour que les personnes queer obtiennent leurs justes droits. Particulièrement dans le climat politique actuel qui tend davantage à faire 5 pas en arrière plutôt que de chercher à aller de l’avant. Je pense particulièrement aux droits qui concernent les personnes trans qui restent globalement invisibilisées."

Qu'est-ce que ça donne à la fin ?

Plusieurs semaines après la fin de l'événement, les comptes sont faits et il est temps d'élire Miss∙ters Racolage, c'est-à-dire la∙e drag et sa team, qui ont récolté le plus de dons pendant sa maraude. Pour le samedi, journée de participation de votre canard préféré, c'est Barbara Rockwell (vendredi et samedi), Mouskoutchou, Denizz LaZwizz, Dramarilou et Harry Stocrate qui sont revenu∙es avec les poches les plus pleines.

Mention spéciale tout de même pour la Gorgone qui à elle seule a rempli deux tirelires le samedi et s’est fait les bras en les portant par la même occasion.

Il faut croire que cette méthode de collecte, avec la bonne humeur dans les poches, fonctionne. Pour donner un ordre d’idée, en 2024 c’est plus de 20.000€ qui ont pu être collectés grâce au Sidragtion. Cette année, roulements de tambours ….. Ce n’est pas 20.000€, ni 30.000€ et sûrement pas 40.000€ ou 50.000, mais bien..... 78 289,39€ qui ont été récoltés grâce aux maraudes du Sidragction ! En ce qui concerne Lille, c'est 6572, 43€ que les drags ont pu obtenir. Plus les années passent, plus la cagnotte augmente, alors on ne lâche rien et on continue de bourrer les dons si on peut.

Alors on se retrouve l’année prochaine pour exploser le compteur ?

Grâce aux avancées de la médecine et des traitements, il est aujourd’hui possible de vivre longtemps et en bonne santé tout en étant porteur·euse du VIH. C’est pourquoi il est primordial de se faire dépister régulièrement ou suite à des situations particulières. Le site Questions Sexualité a recensé les raisons pour lesquelles il faudrait se faire dépister : 


« Quand devez-vous faire un test VIH ?

Le dépistage VIH est recommandé au moins une fois dans votre vie et aussi souvent que nécessaire.

Il est nécessaire d’en faire un :

• après un rapport non protégé avec un·e partenaire dont vous ne connaissez pas le statut sérologique, séropositif sans traitement ou avec une charge virale non contrôlée ;

• si vous consommez des drogues par voie intraveineuse et que vous avez échangé du matériel d’injection avec d’autres personnes* ;

• si vous avez eu plusieurs partenaires sexuels dans l'année ;

  • • si votre partenaire a d’autres partenaires sexuels.

Même si vous n’avez pas pris de risque récemment, certains moments ou événements sont de bonnes occasions pour faire un test :

• si vous n’en avez jamais fait ;

• si vous avez des doutes ;

• si vous envisagez une relation avec un·e nouveau·elle partenaire et que vous désirez ne pas utiliser de préservatif ;

• si vous projetez de faire un enfant. »

A noter que le test par prise de sang donnera un résultat fiable à partir de 6 semaines après la dernière exposition. Si vous souhaitez vous faire dépister à Lille, plusieurs options s’offrent à vous. Certains laboratoires d’analyses gratuit avec ordonnance, dans des assos, dans les CeGIDD (Centres Gratuits d’Information, de Dépistage et de Diagnostic du VIH), lors d’un don du sang, chez soi avec un autotest achetable en pharmacie, et parfois dans des événements festifs. Peu importe l’endroit, ce qui compte c’est de vous sentir en confiance lors du dépistage.

* même si le VIH ne se transmets pas par voie nasale, c’est chacun·e sa paille et chacun·e sa seringue pour les injections intraveineuse par laquelle le virus peut se transmettre.

Des idéees reçues toujours présentes

Une autre méthode pour lutter contre le Sida/VIH, c’est aussi d’en parler. Les personnes porteuses du syndrome sont souvent victimes de stigmatisation en raison de méconnaissance et des idées reçues qui y sont liées.

• Le sida et le VIH, c’est la même chose -> le sida n’est pas le VIH. Une personne suivie et traitée médicalement contre le VIH n’a PAS le sida.

• On meurt forcément du sida -> c’est faux. Le Sida rend la personne porteuse plus vulnérable à d’autres maladies.

• Un·e séropositif·ve contamine son entourage -> faux. Si la personne est traitée, elle ne transmet pas le syndrome. Ce qui ne l’oblige pas à prévenir qui que ce soit.

• On ne peut pas se protéger -> Et bien si, il est possible de prendre un traitement (la PREP) pour éviter d’être contaminé·es, mais aussi de prendre un traitement post-exposition (TPE) juste après un rapport pour prévenir la contamination. Et le préservatif c’est toujours bien lors d’un rapport.

• Le SIDA c’est un truc d’homo -> faux, archi faux. À l’heure actuelle, ce sont des hétéros qui transmettent le plus le virus.

Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»

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