Lille Olympique Sporting Pub

À Lille, vous vous en êtes rendu compte, les chantiers se multiplient. La Mairie nous promet une « métamorphose », et du Boulevard Carnot à la rue Solférino, en passant par la rue du Molinel, les projets mettent en avant les nouvelles mobilités, la végétalisation et un « meilleur partage de l’espace public ». Surtout, le réaménagement complet de certaines rues, est l’occasion de passer commande pour de nouveaux panneaux publicitaires qui viendront polluer nos espaces de vie collective et nos inconscients. Lille, tu la vends ou tu l’achètes.
Depuis 2023 et pour les 12 prochaines années, Lille a renouvelé sa commande de panneaux d’affichages et de publicités auprès Cityz Media, le nouveau nom de Clear Channel qui fournissait déjà la ville depuis 2017. En effet, rachetée en novembre 2023 par le fonds d’investissement Equinox Industries, l’entreprise a changé de nom en janvier 2024 afin de « renouer avec l’ADN d’innovation de la société »1. Le nouveau nom est imaginé comme un mot-valise, fabriqué à partir de city (ville) et de citizen (citoyen). D’ailleurs, dans sa communication, l’entreprise insiste sur le concept des « citoyens-consommateurs » que nous serions tous·tes, avides qu’on nous explique dans quel produit ou service dépenser notre argent. Ainsi, elle revendique de toucher « 35 millions de citoyen- consommateurs chaque semaine » dans les 4000 communes où elle vend ses espaces publicitaires.
Un marché bien juteux !
Notons quand même que dans leur volonté de « bâtir la ville de demain, inclusive et durable. », les dirigeants de Cityz Media anticipent un chiffre d'affaires de près de 280 millions d'euros en 2024. Comprendre que le « citoyen-investisseur » n’est quand même pas totalement désintéressé. Pourtant, Cityz Media n’est que le numéro 2 dans le secteur de l’affichage publicitaire puisque la première place est occupée par le groupe JC Decaux qui appartient à la galaxie Bolloré (« citoyen-milliardaire » influenceur d’extrême droite) et s’arroge près de la moitié du marché français pour la publicité extérieure. Il faut dire que la publicité à le vent en poupe puisque le journal Les Échos faisait remarquer en novembre 2024 qu’avec 12,36 milliards d'euros de recettes publicitaires nettes, le secteur de la publicité, tous supports confondus, avait progressé de 7,1 % sur un an, et de 22,8 % depuis 2019 à la même époque.
En tout, ce sont 240 panneaux d’un mètre sur deux qui seront implantés au milieu des trottoirs lillois, obstruant nos déplacements et notre champ de vision, autant d’obstacles supplémentaires en travers de la route de celleux pour qui la rue est peut-être déjà une épreuve de tous les jours. Mais ce n’est pas tout, puisqu’il est aussi prévu d’installer 25 panneaux géants de 8 m² (3,28m de large sur 2,45m de haut), en hauteur et à des endroits stratégiques pour être plus visibles, ainsi que 7 colonnes Morris à la parisienne sur les boulevards du centre-ville. C’est chic.
Pour les lillois·es comme pour les personnes que la ville accueille chaque jour, habitant·es des communes alentours, travailleur·ses, touristes ou simple visiteur·ses, la publicité n’est pas nécessaire et ne répond à aucun besoin, si ce n’est celui de la société capitaliste de produire des individus frustré·es. On aurait préféré des arbres ou des parterres de fleur, une boîte au lettre ou une boîte à livres, une station de réparation pour vélo et trottinette, un banc, un espace, une cabine téléphonique à l’ancienne (OK boomer !) ou un photomaton, ou voire même un kiosque à journaux pour ne pas rater le dernier numéro de La Brique. Même les abris-bus sont colonisés par la pub, alors qu’ils font de très bons supports d’expression artistique et politique.
La mairie se tape l'affiche
Au conseil municipal, on ne peut pas dire que ce contrat fasse l’unanimité puisque l’opposition écologique, par la voix de Stéphane Baly, remarque qu’il s’agit d’un modèle qui « s’accroche aux vestiges d’une économie consumériste qui a atteint ses limites ». Pour lui, « notre addiction à la consommation [est la] première cause du changement climatique et de la perte de la biodiversité ». De plus, il reproche au contrat d’engager la ville pour 12 ans, ne permetant pas à la prochaine majorité municipale, quelle qu’elle soit, de proposer un changement d’approche. De son côté, le pouvoir socialiste énumère les arguments de son green washing et ne semble pas prêt à s’asseoir sur les 1,42 millions de contrepartie financière que versera Cityz Media à la ville chaque année. Surtout, Jacques Richir en sa qualité d’adjoint,insiste sur le fait que d’après le contrat qu’ils ont négocié avec Cityz, l’une des deux faces de chaque panneau sera réservée aux informations municipales et à la communication de la mairie2 (c’est déjà le cas).
D’ailleurs, c’est peut-être par manque de place pour sa « communication » que la mairie a installé une expo photo intitulée « Génération LOSC » autour du parc aux grilles rouges (JB Lebas.) Sans vouloir remettre en cause ni le travail du photographe, ni la sincérité de ces gens qui se passionnent pour leur équipe de foot préférée, on ne peut s’empêcher d’y voir une tentative démagogique de s’attirer la bienveillance, si ce n’est le scrutin des supporters. Le foot, c’est populaire, et la popularité, c’est un peu ce qui manque aux socialiste actuellement. D’autant, qu’après plusieurs victoires du LOSC dans des rendez-vous importants, le football est aussi un moyen de faire rayonner la ville et de la rendre plus attractive.
Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, les villes sont devenus des produits comme les autres, des marques dont il faut soigner et diffuser l’image sur le marché ultra concurrentiel des métropoles, afin d’attirer dans sa ville les touristes, les travailleur·ses diplômé·es ou les investisseurs. C’est dans ce but qu’avait été crée en 2018 la marque « hello lille », puis l’agence d’attractivité du même nom. Cet été dans la VDN, son directeur François Navarro, voyait dans les J.O « l’opportunité […] de positionner la métropole sur une carte française, au sein du continent européen et au cœur du monde. »3 Rien que ça ! Pourtant, ce qu’il ignore peut-être, c’est que « lille », c’est aussi une marque de protections jetables contre les fuites urinaires, vendue sous le nom « lille healthcare »4. On devrait peut-être leur en acheter un stock, juste au cas où nos dirigeant·es ne sentiraient plus pisser.
Issu du numéro 71 | «Carnages urbains»
