Philippe Poutou, l'interview
Fin septembre, La Brique s'est rendue à Bordeaux. Après avoir arpenté les bords de Garonne en écoutant du rap conscient et bes cafés (beaucoup) trop chers sur la place du Parlement, Eisbär, votre ours polaire germanophile, a échoué à la librairie « Les 400 coups », tenue par Philippe Poutou et sa compagne Béatrice Waylo. Idéalement située en face du Palais de justice, cette « librairie woke » revendiquée, à peine plus grande qu'un studio d'étudiant boursier échelon 2, recèle de nombreux trésors : livres sur l'anarchisme, le féminisme, les luttes décoloniales, mais aussi... le tome 1 du manga My Hero Academia.
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Militant expérimenté et ancien candidat à l'élection présidentielle pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), conseiller municipal à Bordeaux depuis 2020 et figure médiatique malgré lui, Philippe Poutou garde un capital sympathie important auprès des militants de gauche, notamment grâce au sentiment d'identification qu'il arrive à susciter. S'il est, à certains égards, aussi paumé que nous tous·tes devant l'absurdité actuelle de la politique — que ça soit au niveau local, national ou international, Philippe Poutou demeure convaincu que la lutte n'est rien sans radicalité.
La Brique : Bonjour Philippe. Comment elle va, cette librairie ?
Philippe Poutou : Ça va bien ! Après, on n'a pas de recul, ça fait 4 mois et quelques. Ce qu'on est sûr, c'est que c'est très plaisant. On a eu un démarrage assez fort, puisqu'il y a eu l'effet curiosité. On a eu un peu de médiatisation, parce que ça a été vu comme un truc un peu bizarre, ou un peu particulier. Ensuite, l'été est passé là, donc moins de monde logiquement, mais quand même, encore un peu. Puis là, la rentrée, c'est le moment le plus difficile pour l'instant.
Mais voilà, c'est chouette à faire. Parce qu'on choisit les bouquins qu'on met, parce qu'on discute beaucoup avec les gens sur « quoi mettre comme bouquin ». On connaissait déjà pas mal de bouquins, mais là, on en découvre encore. Et puis il y a les rencontres avec des autrices ou des auteurs, donc tout ça, c'est hyper chouette.
Après, on verra : une librairie, surtout une petite librairie, c'est très difficile aujourd'hui, parce qu'en fait, il y a des soucis de pouvoir d'achat. Beaucoup de jeunes viennent à la librairie, et ce public n'a pas les revenus pour acheter des bouquins. Les bouquins, c'est quand même relativement cher. On va essayer de tenir la route et de garder ce cap d'une librairie gauchiste avec tout ce qui peut être lutte contre les oppressions, les discriminations, et puis les luttes anti-racistes, anti-coloniales, féministes, et puis évidemment, anti-capitalistes et anti-fascistes.
Il y a énormément de livres sur les sujets qui nous intéressent, y compris même sur des formats différents : essais, BD, littérature, jeunesse. Et dans ces quatre-là, il y a pas mal de choses qui se font, qui sont très intéressantes. Et puis, c'est vraiment l'acte militant un peu différent d'un acte militant classique, où on peut discuter tranquillement dans une librairie. Et ça, ça fait du bien aussi.
Depuis 2020, tu es conseiller municipal à Bordeaux. Est-ce que tu serais vu un jour faire ça ? Qu'est-ce que t'en tires, maintenant ?
Je n'y aurais jamais pensé. Au départ, c'est une campagne. Enfin, ce qu'on sait faire, en fait, c'est faire des campagnes, quoi. En tout cas, on est habitué à ça : coller des affiches, distribuer des tracts, essayer de faire de l'agitation pour les idées qu'on a, dénoncer le système, et montrer que la politique, tout le monde pourrait en faire et devrait en faire, l'auto-organisation, etc.
Et à Bordeaux, on a été surpris quand même. Ça a pris. Et on a fait, au premier tour, 12 %, ce qui nous a amenés au second tour. Et au second tour, on ne s'est pas désistés. (...) Donc, on a eu des élus. Et là, c'est un truc auquel on n'est pas du tout habitué. On se retrouve finalement à faire quelque chose qu'on ne sait pas faire et qui n'est pas si agréable que ça, en fait, parce qu'on rentre dans un système où on est... En fait, on est étrangers à ça.
On n'est même pas forcément bien accueillis. Et il y a quelque chose qui ne colle pas, quoi. On se sent vraiment pas chez soi. Là, aujourd'hui, j'en sors. J'étais au conseil métropole toute la journée. C'est hyper désagréable. Parce qu'en fait, voilà, on rentre dans un monde où « gauche » et droite, où ils cogèrent, où ils se traitent plus ou moins en collègues. De toute façon, ce sont des gestionnaires. Et donc, ils discutent gestion. Nous, on n'est pas du tout là-dedans. On est dans la dénonciation d'un système. Et on essaie, nous, de formuler des choses, d'avoir une certaine utilité. On ne sait pas si c'est utile de faire ça. On pense que oui, quand même, parce que ça montre que la politique, ça peut être autre chose. Mais ce n'est pas évident. Et on est une petite équipe parce qu'en plus, c'est difficile aussi de mobiliser des militant·es ou des camarades dans cette tâche qui est hyper ingrate.
Parce que la base du boulot d'un élu, le seul rôle qu'il a quand il est dans l'opposition, c'est de participer au conseil municipal ou au conseil métropole. D'ailleurs, on est censé voter ce jour-là sur l'ordre du jour qui est constitué de délibérations. Il y en a, ça c'est sûr, qui ne lisent jamais les délibérations et qui votent comme leur groupe politique leur a dit de voter. Nous, par contre, on rentre dedans, on les lit. Enfin, on ne peut pas tout lire parce que c'est énorme. C'est des centaines et même des milliers de pages d'une littérature technocratique, très souvent inintéressante. Et donc, on se retrouve là-dedans, pas seulement pour décider de ce qu'on va voter mais surtout, comment on va intervenir. Comment on va profiter d'une telle délibération qui est nulle pour essayer de dire quand même quelque chose qu'on a envie de dire. Un truc politique, une solidarité envers une lutte. Comme c'est filmé, on essaye de montrer que ça peut être utile de se mêler de ça et de ne pas les laisser faire. Mais c'est compliqué. En tout cas, c'est une expérience mais c'est vrai que moi, j'en retiens quand même beaucoup de... Je ne sais pas comment dire. Ce n'est pas plaisant et ce n'est pas le truc qu'on a envie de refaire.
Tu as senti le mépris de classe aussi ?
Oui, oui, oui. Parce qu'on est vraiment perçus comme un corps étranger. Après, l'animosité envers soi, ce n'est pas désagréable en soi parce qu'en fait, ça montre qu'on n'est pas comme eux. S'ils étaient hyper cool avec nous, ce serait bizarre. Du coup, il y a une logique aussi. Même la « gauche » ne supporte pas ce qu'on dit des fois parce qu'ils se sentent attaqués par nos propos et c'est vrai parce qu'on considère que la « gauche », elle n'est pas de gauche. Donc voilà, mais c'est compliqué quand même de trouver le bon fonctionnement. Et on a des doutes sur l'efficacité de ce qu'on fait, sur l'utilité de ce qu'on fait. Mais des fois, on est content parce qu'il y a des gens qui voient les vidéos et qui disent « ah bah oui, donc on peut faire de la politique dans un conseil municipal. »
Donc il y a pas mal de petites choses, des petits retours qui sont quand même encourageants. On va faire une liste, c'est sûr, une campagne sur la même idée d'une gauche radicale, d'une gauche indépendante, qui essaie de défendre l'idée de l'autogestion. Mais moi, en tout cas, je ne souhaite pas du tout continuer. Il faut trouver, si jamais on a des élus, un ou deux, il faut trouver des camarades qui ont envie de le faire. Mais moi, il faut pas que je fasse un autre mandat parce que c'est dur en fait, vraiment. C'est un peu comme un plateau de BFM, mais l'avantage d'un plateau de BFM, c'est que ça dure 5 minutes. Là, un conseil métropolitain, ça dure 8 heures et c'est dur, 8 heures comme ça.
Aujourd'hui, Pierre Hurmic (Les Écologistes) est maire de Bordeaux. En quoi incarne-t-il les reniements de la « gauche » dite de gouvernement ?
Quand il y a eu les élections de 2020, il y a eu un accord EELV-PS-PC, un dispositif classique de la gauche de gestion, la gauche libérale, avec un programme pendant la campagne à gauche, écolo, en faisant comme s'ils s'intéressaient à la misère et à la pauvreté. On n'avait pas du tout d'illusions, on allait avoir une gauche qui allait pas faire grand-chose.
C'est un peu comme quand Hollande a été élu, je sais pas si tu t'en rappelles... Y avait aucune illusion en Hollande. On avait appelé à voter Hollande parce que c'était Sarkozy en face, et on s'est dit « si y a un intérêt avec Hollande, c'est de dégager Sarkozy. » Sans illusions. Sauf que Hollande, quand il arrive au pouvoir, on imagine même pas à quel point ça sera pourri ! La déchéance de la nationalité, une sorte de xénophobie et d'islamophobie qui s'est développée... Putain c'est la gauche qui relance le truc !
Il y a un film qui est super bien de Joseph Parisse, qui s'appelle Le Repli. Il remonte à Mitterrand et Mauroy en 1981-82. Il y a une grève à Talbot Poissy, une grève essentiellement menée par les ouvriers maghrébins, et Mauroy dit « c'est une grève des ayatollahs ». Même sur ce terrain-là de l'antiracisme, la gauche elle a fait des dégâts énormes. Le Repli raconte ça. Pour dire que la gauche peut aller très loin. Dès fois tu te dis que la « gauche » c'est moins pire que la droite, mais la « gauche » a une capacité de nuisance terrible parce qu'elle démoralise, qu'elle casse tout.
Là, avec Hurmic, on peut pas avoir d'illusions, c'est pour ça que je te parle de Hollande. Quand Hurmic arrive, on se dit « ça sera nul », et en fait, c'est plus que ce qu'on pensait, dans le mauvais sens. Hurmic, il finit son mandat en armant la police municipale, en étant ambigu sur un projet néfaste de nickel/cobalt sur le bord de Garonne, ils sont même plus sur des terrains écolos. Tout est flan, ils collaborent avec la droite sur la métropole. Quand il y a des squats expulsés, ils disent rien, des fois c'est même eux qui demandent l'expulsion des squats parce que le bâtiment appartient à la ville, et que pour des raisons de sécurité c'est pas bien qu'il y ait un squat. Ils font des choses catastrophiques, et voilà. On se retrouve dans une situation qui est pire avec ces gens-là, il y a rien qui s'améliore. La « gauche » continue sa politique de nuisance.
Finalement, est-ce que la radicalité, ce n'est pas la seule solution ou le seul recours quand tu vois que tout est bouché, que ce soit dans un conseil municipal, à l'assemblée ou ailleurs ? Est-ce qu'il ne reste plus que la radicalité finalement ?
Ah mais c'est sûr. Après comment on le met en pratique ? Mais c'est évident que nous, on était convaincus de ça. Contrairement à d'autres dans la gauche, y compris à la France Insoumise qui considère que c'est hyper important d'avoir des élus parce qu'un jour ou l'autre, comme ça, plus on grossit, plus on s'implante, plus on peut influencer le pouvoir et, à un moment donné, prendre le pouvoir de cette manière-là. Nous, on n'y croit pas du tout, c'est pas du tout la perspective qu'on a.
On pense par contre qu'en tant que militants politiques, on a toute notre place dans une campagne politique, une campagne municipale ou d'autres, et que cette campagne politique elle sert à remobiliser, à construire, à reconstruire. Et si jamais on est élu dans une campagne comme ça, toute l'importance que ça peut avoir c'est de montrer ce qu'un élu peut faire. Mais certainement pas à modifier quoi que ce soit dans les institutions. En fait, ces institutions elles sont tellement taillées de manière à ce que ça empêche toute forme de démocratie réelle. Déjà, on voit toute la limite de la démocratie représentative, il y a tout un jeu institutionnel, des partis politiques habitués qui ont pris la place, qui ont des réseaux, ça devient presque des barons. Donc non, il n'y a aucune illusion, et il reste la radicalité
La radicalité ça peut être aussi, en étant élu, d'essayer de dire des choses qui peuvent donner confiance ou qui peuvent donner envie à d'autres de faire de la politique. Moi je pense que c'est ça le truc qu'on a à faire. Après oui, ça ne peut changer que s'il y a des luttes sociales, que s'il y a des mobilisations. De toute façon l'histoire le montre, l'expérience même récente montre toute l'importance qu'il y a de tenter de se mobiliser. Je dis dans la rue mais c'est aussi dans les grèves, dans les ZAD, dans les places, enfin tout ce qu'on peut occuper. Dans des pays comme la France, même si la répression devient de plus en plus ouverte, les choses s'arrondissent, parce qu'on se dit finalement par les élections peut-être qu'on pourrait y arriver, ou si on fait des bonnes manifs on pourrait peut-être y arriver.
Mais au bout du compte, il va bien falloir comprendre que non, on n'y arrivera pas comme ça. Ça veut pas dire que les manifs il ne faut pas les faire, ça veut pas dire qu'il ne faut pas mener une lutte pacifiste et légaliste, mais à côté de ça il faut se poser le problème d'une lutte qui dépasse les lignes de la légalité, et puis il faut se poser le problème d'un rapport de force qu'il faut modifier. Et ce rapport de force-là, ça suppose une perspective radicale, mais voilà il faut après arriver à trouver le bon timing en fait, parce que la radicalité elle est plus facile quand on est nombreux.
Le 10 septembre à Lille, il y avait 300 personnes qui ont bloqué un rond-point, qui ont bloqué le périph'. On n'avait jamais eu autant et on sent qu'il y a énormément de gens qui étaient, je pense, partout en France aussi, très désireux de cette radicalité-là. Finalement est-ce que c'est une bonne stratégie, est-ce que toi t'aurais avec ton expérience des idées de stratégie, ça peut te bloquer les usines, ça peut peut-être plus sortir des villes, comment tu penses qu'on pourrait agir ?
En fait des idées, on en a plein, elles sont là. On a une panoplie d'actions et moi je pense que tout ce qui est radical comme ça, tout ce qui peut bloquer le système ou qui peut exercer une pression et même se faire craindre des puissants, des dominants, des patrons et tout ça, voilà, il faut le faire.
Mais après on se rend bien compte que l'idée devient quelque chose de crédible à partir du moment où on a une force. Et le mode d'action dépend évidemment de la force qu'on a C'est ça qui peut donner confiance et c'est parce qu'on aura confiance qu'on aura le culot de mettre en place des modes d'action radicaux ou un programme plus radical dans les revendications. Donc voilà ça dépend de ça, mais moi je pense qu'on n'a pas tant de choses que ça à inventer.
Il faut connaître un petit peu l'histoire du monde ouvrier, l'histoire des luttes, on a vu que ce qui était le mieux, le plus important, le plus efficace, c'était dès qu'il y avait une masse qui s'organisait démocratiquement, qui validait ensemble des choses, tout ça, on sait que c'est aussi la base pour réussir une lutte qui fonctionne. Comment on donne envie, comment on fait qu'il y a de la confiance qui revienne et c'est ça qui est difficile aujourd'hui dans un monde où il y a beaucoup de résignation. Mais la perspective, oui, forcément c'est de durcir la lutte. De toute façon en face ils durcissent, on n'a même pas besoin d'être très forts, on voit bien qu'ils durcissent aujourd'hui : dès qu'il y a une tentative — on a vu avec les blocages du 10 — 80 000 flics annoncés par Retailleau. On ne sait pas s'il y en avait 80 000 mais ce qu'on sait c'est que les flics étaient là, même dans des villes moyennes, les flics étaient là. Dès qu'on commençait ou dès que les camarades avaient l'idée d'aller bloquer un rond-point, les flics étaient de suite là, parce qu'évidemment comme les AG étaient ouvertes et c'est normal, sinon on n'attire pas quoi, donc il y a toujours un flic, un espion qui est là. Du coup, c'est difficile de garder les secrets, donc en fait on ne gardera pas les secrets.
Par contre, plus on démultipliera les actions, plus on créera des difficultés pour l'appareil répressif, mais voilà, c'est quand même la difficulté, c'est ça, c'est qu'il y a une résignation et en plus dès qu'on relève la tête un petit peu, il y a une violence, une brutalité du pouvoir. Qui n'est pas que la répression policière : il y a la répression judiciaire et puis il y a les discours, les discours d'un mépris, d'un cynisme, c'est ultra violent en fait, c'est une sorte d'écrasement des gens quoi, et on n'a pas le droit d'être en colère, on n'a pas le droit de relever la tête, ça devient un scandale dès qu'on ose même une manifestation pacifique. Il y a des militants qui sont en garde à vue pour des actions pacifiques, pour juste s'accrocher à un portail, ou monter à un arbre, on a vu avec la lutte contre les ciments Lafarge, ou la lutte contre l'A69. C'est de la garde à vue, des condamnations en justice, mais c'est aussi risquer sa vie parce que les flics, ils arrivent, bam bam, ils balancent, ils tombent par terre, tant pis.
On n'est pas dans une période révolutionnaire, ni dans une période où la classe dominante serait en danger. Et pourtant elle réagit déjà très durement. Donc ça fait réfléchir, oui. Au bout du compte, bien sûr qu'il y a quelque chose auquel il faudra se confronter, et ça suppose donc des idées radicales, sinon on ne s'en sortira jamais.
Face à la répression et aux mauvaises nouvelles, comment se redonner du courage ?
C'est difficile, parce que nous-mêmes militants, et même des fois avec des militants depuis des tas d'années, on a tendance à, par moment, à ne pas avoir le moral. Il y a des matins ou il y a des soirs où on se dit « mais c'est démoralisant », parce qu'il y a trop, quoi, il y a trop de choses insupportables. Ce qui se passe à Gaza, mais c'est incroyable, les dégâts que ça peut faire dans les têtes, même des gens qui ne sont pas politisés ou qui ne sont pas militants, ça doit avoir des répercussions terribles de voir avec quel cynisme le monde peut écraser un peuple, et comment des Netanyahou, et comment des Macron, et comment des Trump ou d'autres vont faire leurs grands sommets, alterner des discours soi-disant progressistes avec des discours hautement, profondément colonialistes et racistes, et xénophobes. Il y a de quoi dire « putain, l'évolution du monde, là, on est dépassé, quoi. »
Mais en même temps, il y a l'histoire, il y a des bouquins. La librairie, c'est bien là pour ça, parce que même quand on est dans un monde de merde et qu'on déprime, et bien, on va lire un truc sur Emma Goldman, ou Louise Michel, ou Rosa Luxemburg. Eh bien, c'est impressionnant de re-motivation, parce qu'il y a un discours clair, il y a des combats, c'est des combats de femmes, ça refile la pêche. Et on sait que le monde des opprimés, il peut bousculer les choses, et puis il y a des luttes d'aujourd'hui, il y a des résistances.
Le 10, ça fait du bien, le 18, ça fait du bien, parce que ça remet d'actualité l'importance de la contestation sociale. Et puis de voir par exemple toutes les assos ou les militants qui soutiennent les réfugiés malgré cette ambiance de merde... Tout ça fait partie des choses qui redonnent un petit peu de confiance.
Donc voilà, je ne me sens pas capable de donner des conseils, parce que des fois j'ai l'impression que je fais partie des vieux militants, et un vieux militant, il peut être hyper chiant. Par contre, je compte beaucoup sur les nouvelles générations, et j'espère, mais les nouvelles générations elles-mêmes ont besoin des vieilles générations. Plus on est dans l'anti-sectarisme, y compris même avec des gens dont on pense qu'on n'est pas du tout d'accord, mais quand on est d'un certain camp, il vaut mieux mettre en avant les solidarités. Je pense que le conseil va être là, c'est l'urgence de l'unité, de la lutte commune, l'urgence de mettre en évidence un peu tout ce qui peut faire un ciment commun, et en même temps d'avoir des perspectives très radicales.
Est-ce que tu retournerais quand même dans une sorte de NFP, où tu serais dans le même groupe parlementaire potentiellement que François Hollande ?
(Il rit) Ouais, là j'étais content de ne pas être élu pour le coup ! Je savais déjà que c'était pas marrant d'être élu dans une métropole, mais quand je vois les images de l'Assemblée nationale, j'ai vraiment pas envie d'y être. Je reconnais que c'est bien qu'il y ait des militants de la FI, des députés de la FI qui soient là, parce que ça joue quand même un rôle utile, mais moi je pense qu'ils se prennent trop au jeu des fois. Ils jouent un rôle important, c'est assez chouette, mais il y a un paradoxe entre leur idée de virer la Constitution et d'avoir une sixième république, et en même temps de se prendre autant au sérieux dans cette institution-là. Ce qui fait douter d'ailleurs de la réalité, de l'objectif de changer de Constitution. Ils sont là, « regardez, je suis président de la commission des finances, super, regardez, je suis vice-président de l'Assemblée nationale ». (Il éclate de rire) Mais arrête ton char, ça change rien du tout ! Arrêtez de faire de la mousse avec ça.
Par contre oui, si on avait été élu, nous je parle des militants anticapitalistes comme au NPA ou d'autres, même des militants de quartier qui sont très radicaux, je pense qu'il y en a qui ont moins d'illusion dans le système, et qui sont moins fiers d'être des élus de la République.
Donc voilà, mais ceci dit, moi je pense que s'il y avait la possibilité d'un nouveau NFP, je pense qu'il faudrait y participer, parce qu'on peut avoir à la fois la vision très lucidement des limites du NFP, surtout quand il y a Hollande dedans. On sait, on sait qu'on a un corps étranger. Et pas que Hollande. On est dans une situation où on se demande « comment on peut avancer, comment on peut influencer, comment on peut radicaliser un dispositif qui l'est pas forcément tant que ça ».
Et on l'a vu avec le NFP, et il y a plein de gens qui disaient ça, le fait que moi j'y sois, enfin mon nom, c'est pas moi évidemment, le fait qu'il y ait un candidat dans le NFP qui s'appelle Poutou et qui est du NPA... c'était Olivier Faure qui formulait comme ça, « l'unité de Hollande à Poutou ». Et donc des gens étaient rassurés, parce qu'en fait pour eux le NFP avait un visage un peu plus radical. C'était pas juste le PS, et pourtant on pesait pas grand chose, mais du point de vue des forces militantes, du point de vue de l'enthousiasme et de l'envie de faire, on peut penser que ça a contribué à donner un visage beaucoup plus radical au NFP, et à donner confiance à des gens pour participer à la campagne.
Donc ça a joué un rôle, et on a quand même quelque part contribué à une sorte de gauchisation du dispositif. En restant modeste, avec toutes les limites que ça peut avoir, mais moi je pense qu'il faut garder ce cap là. Il y a des réformistes, oui, mais comment des révolutionnaires ou des gens avec des idées radicales peuvent quand même être là, et dire « oui, on va faire ensemble, mais on va essayer de le faire par en bas, et en posant une véritable démocratie dans le mouvement social. Ce qui n'est pas le fort de la France Insoumise, la démocratie dans le mouvement social...
Quel avenir pour la gauche anticapitaliste ?
On a nos propres défauts, nos propres conneries, qui fait qu'on vasouille complet. Pendant longtemps, je disais « on est minoritaires » parce que — et c'est vrai — c'est pas si simple que ça d'avoir de l'énergie pour militer, de résister aux pressions et à la propagande des idées dominantes et de faire face à la résignation. Mais on a quand même, en plus, un sacré défaut : on est cons. On est cons, parce que on est sectaires, parce qu'on est boutiquiers, parce qu'on croit avoir tout compris, et on fait comme si on comprenait tout ce qui se passe ; mais en fait, on a un souci de modestie. Et c'est ça qui fait chier chez nous. On se dit « comment on arrive à construire en étant aussi cons que ça ? » Mais quand on voit des mobilisations, on se dit « c'est ça qui va donner de l'air ». C'est vrai que sur les mobilisations féministes, LGBTI et environnementales, il y a quelque chose qui se passe. Ça peut nous faire du bien, et ça viendra de ces mobilisations-là. Parce que nous, quelque part, on a une sorte de limite qu'on arrive pas à dépasser, quelque chose qu'on sait pas faire. Et c'est les mobilisations, les choses qui vont se passer, qui vont nous aider à aller plus loin. Un contexte qui nous permet de sortir de nos bêtises.
Bon, c'est bientôt la faim. Je transmets une question d'un camarade de La Brique : c'était quand ton dernier McDo ?
Ah ouais... (il sourit et réfléchit quelques secondes). Je serais incapable de te dire, mais ça fait très très longtemps. On a fait ça avec les gamins y a 10-15 ans, et encore c'est arrivé une fois. Mais sinon, on boycotte.
Sur l'échelle de Léa Salamé, de 1 à 10, combien tu mets à cette interview ?
Ça dépend, Léa Salamé tu la mets à combien ?
À 10 !
Si elle est à 10, toi t'es à 1 ! T'es à l'opposé, ah bah ouais ! T'aurais pu me demander « comment ça va »... (référence à la gênante interview de Marion Cotillard par Léa Salamé, NDLR).
Les conseils de lecture de Philippe Poutou
Les conseils de lecture, on en a tellement qu'après, on se dit, mais par quoi on commence ? Donc, nous, on a nos petits préférés. On a « Une belle grève des femmes » par Anne Crignon, qui raconte la grève des ouvrières de Douarnenez, les sardinières. C'est une grève d'il y a un siècle, mais ce bouquin-là, il nous a beaucoup touchés. Et puis, en plus, on apprécie beaucoup l'écrivaine, Anne Crignon. Donc, ça, c'est quelque chose qu'on met souvent en avant. Mais après, il y a énormément de livres. Il y a Éric Vuillard, qu'on aime beaucoup. Et ensuite, on met en avant, et pour nous c'est important, l'actualité de Gaza, avec des bouquins qui dénoncent le colonialisme, qui dénoncent le génocide, sur l'anticolonialisme. « Mai 67 », c'est un bouquin qu'on adore, d'Elsa Dorlin avec Mathieu Rigouste, qui raconte la répression, en 1967, en Guadeloupe. Ça, c'est des petits bouquins d'histoire qui nous plaisent beaucoup, et qu'on essaie de populariser.
Là, je lis une BD sur Emma Goldman (femme anarchiste du début du XXe sicèle, NDLR) et puis un bouquin de Léa Gauthier sur Emma Goldman, Lucy Parsons et Voltairine de Cleyre qui sont trois militantes féministes anarchistes de l'Amérique de la fin du XIXe et du début 20ème. Il y avait cette question là, c'était quand même la fin du XIXe. Le capitalisme était tellement brutal, tellement sauvage, tellement répressif, ils assassinaient des militants, ils réprimaient, ils emprisonnaient. Alors il y avait des milieux anarchistes qui avaient cette radicalité-là, en se disant : « la seule solution qu'on a, c'est de leur faire péter la gueule ».
Trimestriel