Sequedin, terminus de la misère sociale

flic 1Au Tribunal de Grande Instance, j'assiste à deux procès en comparution immédiate. Quelques jours plus tôt, un avocat lillois qui a passé plusieurs années aux comparutions immédiates me donnait son ressenti sur cette procédure : « C'est fait pour mettre les gens en prison. Les droits de la défense peuvent-ils être respectés lorsqu'on voit une personne 30 minutes ? Parfois les gens n'ont pas dormi depuis trois jours, ont un t-shirt encore maculé du sang de leur victime... » Démonstration.

Ce lundi, les bancs de la salle sont occupés par des proches des prévenus et une dizaine d'étudiant-es avec leur professeur, reconnaissables à leur carnet de prise de notes. Alors qu'il reste tout de même quelques places pour s'asseoir, un groupe de personnes se voit refuser l'entrée au motif que la salle serait comble. Des voix s'élèvent. Les policiers décident alors de disposer deux barrières métalliques à quelques mètres de distance de la porte afin de parquer les personnes à l'écart. Protestations et incompréhension sont de mise.

Dans la salle d'audience, le procureur, le juge, ses assesseurs sont tous perchés sur une estrade. Le déroulement des procès est toujours le même : identification des prévenus (mise en évidence de leur statut social), citations des plaintes et des procès verbaux, questions aux accusé-es (étude de la personnalité), puis, parole à la partie civile (qui plaide son préjudice), au procureur (qui réclame telle condamnation), enfin, à la défense. Régulièrement, les prévenus sont repris sur leur expression, leur vocabulaire, on leur coupe la parole : « parlez plus fort », « articulez Monsieur », « on ne vous entend pas », « ne dites pas des choses qui heurtent l'intelligence sinon vous allez retourner à Sequedin », « que pensez-vous de la décision du tribunal de vous avoir laissé sortir il y a quelques mois ? Si vous aviez été en prison, vous n'auriez pas récidivé, non ? » La parole qui compte le moins, c'est toujours celle des accusés.

À l'intérieur de la salle, les premiers accusés à comparaître sont deux jeunes, âgés de 19 et 20 ans. Ils sont là pour le vol avec menaces physiques de 35 euros et d'une carte de crédit débitée de 1000 euros. Les deux inculpés se rejettent la responsabilité de l'initiative du délit, au grand plaisir du juge qui les renvoie dos à dos et les qualifie « d'êtres décérébrés ». L'un comparaît libre et sans avocat : il travaille en intérim et attendait une convocation du juge d'application des peines pour adapter une condamnation à huit mois d'enfermement. « Je m'excuse, je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, j'ai un travail, je gagne bien ma vie. Je veux bien tout rembourser. Je ne serai pas assez fort pour la détention », adresse-t-il au juge. Son complice comparaît sous mandat de dépôt, c'est-à-dire qu'il était incarcéré avant procès. L'avocat commis d'office décrit son parcours : « placé alors qu'il a deux ans, il est ensuite ballotté de foyer en foyer, son père meurt alors qu'il a dix ans, déscolarisé depuis la 4ème, pensionnaire d'un centre éducatif fermé, sa mère meurt à son tour en 2012 ». Il a plusieurs avertissements judiciaires à son passif. « Des erreurs de jeunesse », tente-t-il d'expliquer au juge à propos de son parcours. Voilà deux années qu'il se tenait à carreau. « J'ai enfin trouvé une place, je n'ai jamais été aussi bien. La prison c'est très dur, très difficile. Je ne supporterai pas ». Son emprisonnement l'a visiblement marqué. Les regrets exprimés par les deux prévenus résonnent dans le vide, comme leur impossibilité à expliquer leur violence. Le procureur requiert respectivement 8 et 10 mois ferme. L'audience est suspendue pour que les juges délibèrent.

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On profite de cette pause pour sortir de la salle d'audience car le ton monte entre les flics et les personnes maintenues dehors. Proches et famille d'accusés devant comparaître plus tard expriment leur mécontentement d'être refoulés. Certains provoquent verbalement les policiers, d'autres essaient d'obtenir des explications. D'autres observent simplement, appuyés nonchalamment sur la barrière. L'atmosphère est électrique. Un policier tient sa gazeuse ostensiblement à la main. Un policier répète : « Ce sont les ordres ». On demande à une personne ce qu'il se passe : « On veut juste s'asseoir, mais on ne veut pas nous laisser entrer », dit le frère d'un prévenu. « C'est public, mais il y a deux poids, deux mesures ». On propose au policier de laisser notre place à cette personne : refus catégorique. On insiste. On me demande ce qu'on fait là. « Vous êtes journaliste, vous ? Mais dans quel camp êtes-vous ? » demande un flic. Un de ses collègues enfile ses gants en cuir. Des renforts arrivent, bardés d'équipement. Ils encerclent l'attroupement rebelle et refoulent sans ménagement les gens jusqu'à l'extérieur du tribunal. De retour sur les bancs de la salle d'audience, le juge annonce les peines. Le procureur obtient les condamnations qu'il réclamait, 8 et 10 mois ferme. D'un geste de la main, l'orphelin envoie un baiser au vent vers sa petite amie en pleurs, avant de disparaître englouti derrière des policiers, direction la prison de Sequedin.

L'homme déféré ensuite est domicilié au 228 rue Solférino, à l'ABEJ. Une association qui propose, entre autres choses, une boîte aux lettres pour les sans-domicile-fixe. Il a été arrêté dans une station de métro par deux agents de police venus contrôler son identité : « Qu'est-ce que tu viens me casser les couilles ? » aurait-il demandé au policier qui lui réclamait ses papiers. Lorsqu'il s'est fait menotter, il s'est mis à insulter les flics pour manifester son désaccord. Sur la route pour l'emmener au commissariat de la gare, il leur aurait glissé quelques coups de pieds qui n'entraîneront aucune interruption temporaire de travail. Les deux flics demandent pourtant 300 euros chacun. L'homme, en récidive pour des faits similaires, ne répond pas aux questions du juge par autre chose que « oui ». Il semble ne pas toutes les comprendre. Il prononcera deux phrases de quatre ou cinq mots grand maximum durant tout son procès.

L'avocat de la défense nous apprend que l'homme devenu SDF est menuisier, qu'il a subi trois licenciements économiques avant de commencer à boire, perdre pied après l'expulsion de son appartement. Huit années qu'il est à la rue. Il a déjà fait une cure de sevrage et serait prêt à essayer de nouveau. Il aurait voulu intégrer un appartement thérapeutique. Mais dans sa situation, son alcoolisme est une circonstance aggravante, tout comme son absence de travail et de logement. Après un court délibéré, le juge lui annonce le verdict : six mois ferme, comme cela avait été requis par le procureur. « Hein ? D'accord », lâche le condamné. Le juge n'avait pas fini : « assortis de vos sursis cela fait 23 mois. » L'homme ne répond plus rien. À son tour de s'effacer au milieu des policiers qui l'emmènent. Il devra également s'acquitter des 300 euros par tête-de-pipe de policier. Un flic s'avance et salue le procureur d'une poignée de main. Un jour comme tant d'autres, au Tribunal de Grande Instance de Lille.

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