Lille, la violente

JPEG - 1.2 MoDes émeutes de novembre 2005 aux caillassages des Unités Territoriales de Quartier (UTeQ) de Lille sud, journalistes, élus ou sociologues dénoncent la montée des « violences urbaines ». Concept inepte qui appelle deux types de réponses : préventive avec l’aménagement urbain et répressive avec l’omniprésence policière. Autant d’opérations de pacification sociale qui régulent et étouffent, plus qu’elles ne considèrent les causes sociales des « violences ».

Violences, dans la bouche des journalistes et de la police, ça veut dire : caillassages, feux de poubelles ou de voitures, incendies d’entrepôts et de magasins, voire simples tags... Accolées à urbaines, on comprend que ces violences se passent en ville. Sans blague. Étant donné le taux d’urbanisation français, on voit mal où elles pourraient se dérouler, si ce n’est dans les « quartiers » [1].

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« Urbaniser » pour dépolitiser

Dans un texte portant cet intitulé, le sociologue Jean-Pierre Garnier rappelle que pour les flics et certains urbanistes, il y aurait des architectures ou des aménagements « anxiogènes », voire « criminogènes ». N’allons pas chercher dans la violence sociale du chômage et de la précarité les racines des réactions incendiaires. N’allons pas croire que les vitrines, les pubs et les centres commerciaux fabriquent un environnement Disneylandisé qui nous exproprie de nos propres quartiers. Ni que la stigmatisation et la criminalisation racistes des « jeunes issus de l’immigration » fabriquent des émeutiers.

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Avec le baron Haussmann à Paris et l’architecte Henri Kolb à Lille, il y a plus d’un siècle, les rues sont devenues larges et propices au déploiement des escadrons de CRS et aux tirs de canon. Depuis janvier 1995, avec la « loi sur la d’orientation et de programmation relative à la sécurité », dite loi Pasqua, modifiant le Code de l’urbanisme, les aménageurs doivent désormais réaliser « des études de sécurité publique préalables aux opérations d’aménagement, de construction et à la réalisation d’équipements collectifs ». A partir d’un « diagnostic précisant le contexte social et urbain », un projet urbanistique doit « prévenir et réduire les risques de sécurité publique » tout en facilitant « les missions des services de police, de gendarmerie et de secours ».

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Les technocrates aménageurs appellent ça la « prévention situationnelle ». Finies, donc, les barres et tours propices aux délits de rassemblement, place au renouvellement urbain. Finis les recoins sombres des courées et cités ouvrières propices aux incivilités. Finis les immeubles ouverts sur la rue, place à la résidentialisation. Si les violences sont urbaines, tout nouveau projet d’aménagement doit prévenir les actes de délinquance.

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A problèmes sociaux, solutions « urbaines »

Les parcs urbains, comme celui de J.-B. Lebas à Lille, sont désormais clôturés et fermés la nuit. Ses arrogantes grilles rouges protègent de la toxicomanie et des SDF, paraît-il. La place de la Liberté à Roubaix, le parc face à la mairie de Wazemmes sont désormais dégagées. Les quelques buissons et le mobilier urbain ne permettant pas de se cacher. La pierre et le granit les rendent froides et hostiles à qui voudrait les squatter trop longtemps. Les bancs publics comme ceux du métro, quand il en reste, ne permettent plus de s’y allonger. Les poubelles sont solidement attachées au sol pour ne pas devenir des projectiles. Les barres des quartiers populaires comme celle de la porte de Valenciennes à Lille doivent s’effondrer. Les courées de Fives et Moulins sont revitalisées à coups de bulldozer. Les nouveaux lotissements chico-bio du Bois Habité, avenue Hoover à Lille, sont sobrement reclus derrière des grilles et des digicodes. Le tout, sous contrôle vidéo, policier et citoyen.

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La ville s’érige donc pour les consommateurs, les actifs, les mobiles, les marchands, les touristes, les bobos, les bourgeois. Sur le modèle des aménagements autour des stades de foot, la ville doit être fluide. S’arrêter, discuter ou s’aimer sur un banc public, c’est improductif, voire suspect. Ça n’a pas lieu d’être. Ces comportements doivent être bannis ou relégués à la sphère privée. Les marginaux, les prostituées, les dealers, les alcoolisés, les troubadours, les mendiants, les inemployables quitteront la carte, de gré et de force. Où quand la violence sociale d’un système devient urbaine.

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A lire : Désurbanisme # 19, « La Prévention situationnelle » et « Urbaniser pour dépolitiser » de Jean-Pierre Garnier sur infokiosques.net. Mais aussi L’architecte, la ville et la sécurité de Paul Landauer chez PUF depuis 2009.

Photos : Julie Rebouillat, contre-faits.org

Notes

[1Et de toute façon, même quand elles ont lieu en dehors des grandes villes, comme en 2005, c’est quand même des « violences urbaines ».

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