Octobre à Paris

algerieÀ l’occasion de la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, le massacre des algériens qui n’est toujours pas reconnu par l’État français, le documentaire Octobre à Paris de Jacques Panijel a connu pour la première fois, en octobre dernier, une sortie nationale en salles, 50 ans après sa réalisation.

 

Le film constitue un rarissime document historique, véritable témoignage d’un massacre d’État à l’égard d’une population, faisant des centaines de morts. Dans un contexte où l’indépendance de l’Algérie est quasi acquise, il met en scène l’organisation et le départ de la manifestation appelée par le FLN contre le couvre feu, et reconstitue celle-ci avec l’appui d’un montage photos, seuls documents visuels témoins. Il percute surtout par les témoignages qui se succèdent. Les personnes marquées physiquement (et/ou psychologiquement) donnent à voir leurs blessures corporelles et évoquent tour à tour les noyades délibérées dans la Seine, les tortures, les passages à tabac, les fusillades, le parcage au Palais des sports… Le film témoigne aussi du racisme ordinaire ainsi que des conditions de vie de la population algérienne immigrée dans les bidonvilles où l’insalubrité se conjugue avec les interventions policières quotidiennes. Aussitôt achevé, le film est interdit, saisi, pourchassé par les autorités françaises [1]. Il ne connaît que des diffusions clandestines, par le biais notamment de structures militantes, tandis que des copies du film sont vendues à des particuliers. Certaines diffusions prévoient même une bobine couverture en cas de venue policière ! Par exemple, Panijel précisait : « Une fois sur deux la police arrivait et embarquait la copie du film. Quand nous étions prévenus de la descente, nous projetions Le Sel de la terre, le beau film de Herbert Biberman  » [2].


En 1973, la grève de la faim de René Vautier, cinéaste français anticolonialiste, met fin (en principe) à toute censure de film pour raisons politiques et Octobre à Paris peut donc enfin sortir en salles. Cependant Panijel y met une condition : « tourner un codicille qui détermine exactement que la répression du 17 octobre est l’archétype du "crime d’État". [...] Ce que je demandais était d’avoir la liberté de tourner une préface à Octobre à Paris pour tenter de définir ce qu’est moralement et politiquement un crime d’État  ». Il décède le 10 septembre 2010 sans avoir eu les moyens de tourner ce préambule nécessaire. Un petit film a cependant été réalisé par Mehdi Lallaoui en 2011, introduisant le long métrage de Panijel [3].

Quelle diffusion dans la métropole lilloise ?

En décembre 2011, la métropole lilloise n’a connu que trois projections. A L’Univers et au Méliès de Villeneuve d’Ascq, dans le cadre de partenariats (Les films de l’Atalante, Mediapart et Le Maghreb des films). On peut s’interroger sur cette très faible diffusion avant la sortie en DVD. La dernière projection déroulée au Méliès fut pourtant l’occasion d’un débat vivant dans une salle aux trois-quarts pleine ; la mémoire s’avère vive au contact de ce film qui va dans le sens du « Ne pas oublier ». Comme l’a souligné une partie de la salle, le film n’est pas parfait (omission totale par exemple de la manifestation des algériennes du 20 octobre 1961), mais il demeure un film sans concession à l’égard des responsabilités de l’État français.Retour ligne automatique
Pourquoi si peu de diffusion alors ? Chape de plomb persistante ? Public indifférent ? L’historien Marc Ferro soulève un constat pour le moins inquiétant lorsqu’il évoque les films anticolonialistes : « quoiqu’il en soit des types de censure, la vraie censure fut celle des spectateurs ; aucun film sur la guerre d’Indochine, ni celle d’Algérie ne figure au box office des films les plus vus par les spectateurs français. Une réalité que cache le tintamarre fait autour de la vraie censure, celle des autorités, une autre manière de ne pas évoquer l’autocensure des cinéastes eux-mêmes. » [4] La diffusion publique d’Octobre à Paris est de salubrité publique tant il s’agit de se confronter à une histoire dont l’héritage est bel et bien présent : contrôles et fouilles au faciès, traque et expulsions des sans papiers, chasse aux roms, islamophobie... Aux gens ainsi de contribuer à briser le silence persistant (voulu ou par indifférence, les conséquences sont les mêmes), de faire vivre cet évènement cinématographique majeur de 2011 en sollicitant projections, accompagnements, débats... Pour ne pas oublier. La Brique guette la sortie DVD et proposera prochainement une soirée autour du film...

Greg

Encadré : Genèse d’un film « clandestin et politique »

Résistant et auteur du roman La rage, Panijel est co-fondateur du comité Maurice Audin, créé en 1957 à la suite de l’assassinat par l’armée française d’un anticolonialiste en Algérie. Dès le lendemain des évènements d’octobre, Panijel sollicite le Comité pour la réalisation d’un film. Le Comité émet la condition d’un réalisateur de renom, dont la réputation puisse protéger le documentaire et favoriser une large diffusion. Panijel fait appel a de nombreux cinéastes, de la Nouvelle Vague française, mais aussi étrangers. Tous refusent, à l’exception de Jean Rouch, qui veut cependant un dispositif cinématographique léger. Tenant absolument à l’usage du format 35 mm, à la hauteur du sujet, Panijel finit donc par réaliser lui-même le film. Tourné clandestinement dans la banlieue parisienne (Gennevilliers, Nanterre) et dans le quartier de la Goutte d’or, avec l’entremise du FLN, le film est donc financé par le Comité Audin. Octobre a Paris s’inscrit dans une tradition du cinéma français, développée entre autres par le Cine Liberté du Front Populaire. A savoir la mise en place d’un mode de production alternatif, indépendant des institutions : auto-financement, souscription, Coopérative... D’autres films sur la colonisation emploient ce credo de résistance. Ainsi J’ai huit ans (1961) – les enfants et la guerre - de Yann Le Masson. Ce dernier rédige dans la foulée un Manifeste pour un cinéma parallèle (1962), dans un contexte où la censure et la répression s’abattent. Il s’agit d’un cinéma qui «  doit dire aussi la vérité » au public et ne pas se contenter de le distraire.

Notes

[1Comme d’autres films anticolonialistes, telle que la fiction documentée Rendez-vous des quais de Paul Carpita, portant sur la grève des dockers marseillais contre la guerre d’Indochine…

[2Entretien accordé à la revue Vacarme, « Festivals d’un film maudit », disponible sur le site vacarme.org

[3Ce petit film est accessible sur blogs.mediapart.fr

[4Cinéma, une vision de l’Histoire, p.126. Récemment, à signaler le gros flop auprès du public du dernier film de Matthieu Kassovitz L’Ordre et la morale, sorti en novembre 2011. Au sujet dérangeant et fortement attaqué par la classe politique, il ne fait que 80 000 entrées en France une semaine après sa sortie...