Lille Métropole : Les faux-semblants des élections communautaires

lmcuT’es déjà au courant... enfin peut-être ? Lors des prochaines municipales, tu pourras officiellement élire les conseillers communautaires à Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU). C’est un premier pas salutaire, attendu et nécessaire vers plus de transparence démocratique. Mais nan, on déconne !

L’idée d’élire les conseillers communautaires au Suffrage universel direct (SUD) est à l’agenda politique depuis plus de trente ans. À mesure que les compétences (économie, aménagement du territoire, transports) des communautés urbaines se renforcent – à plus forte raison depuis qu’elles prélèvent l’impôt [1] – ce déficit serait devenu de plus en plus insoutenable. À écouter les juristes, il ne manquerait finalement que le SUD à ces instances pour en faire de véritables collectivités locales.

Et l’éléphant accoucha d’une souris...

La question d’un SUD intercommunal est sur l’agenda depuis trente ans, mais elle s’est progressivement effacée – jusqu’à disparaître complètement. Dans les années 1990, elle figurait dans les projets de loi gouvernementaux, puis elle était supprimée durant le débat parlementaire. Dans les années 2000, elle a été introduite par amendement, avant d’être supprimée. Aujourd’hui, elle est tout simplement absente des différents projets, et notamment de la loi portant sur « l’affirmation des métropoles » votée le 27 janvier denier.

Pourtant, tous les rapports parlementaires qui précèdent les grandes réformes de décentralisation, rédigés par des aréopages de notables locaux et d’experts de tous crins, s’accordent sur la nécessité d’adopter le SUD pour légitimer les intercommunalités. Mauroy lui-même s’y était essayé pour préparer la loi de 1999 (dite loi Chevènement) [2]. Mais l’éléphant accoucha d’une souris… Car aujourd’hui, après trente ans de déclarations aussi tonitruantes que consensuelles, de tentatives politiques de plus en plus symboliques, voilà que le suffrage s’est transformé en « fléchage ». Instauré par la loi Sarkozy de 2010, le principe en est le suivant : le jour des municipales, on fait figurer sur les mêmes bulletins la liste des candidats au conseil municipal et celle des candidats au conseil communautaire.

Des vessies et des lanternes

Sauf qu’un petit dépaillage des nouvelles règles du jeu montre que la « maturité » démocratique des métropoles fait peine à voir. D’abord, l’ordre de la deuxième liste (celle des conseillers communautaires) doit respecter l’ordre de la première. En sus, le premier quart de la liste des candidats communautaires doit figurer, de la même manière et dans le même ordre, au début de la liste des candidats municipaux. Enfin, les autres candidats communautaires (les trois autres quarts) doivent figurer dans les trois premiers cinquièmes de la liste des candidats municipaux. En clair : l’élection des conseillers communautaires est strictement soumise à l’élection municipale.

Cela n’empêche pas les associations d’élus (et tout particulièrement l’Assemblée des Communautés de France – ACDF) de communiquer sur ces nouvelles règles. Ainsi apprend-on des différents supports de communication de l’ACDF [3], repris sans broncher par la presse [4], que les conseillers communautaires sont élus au SUD. Raccourci fallacieux : s’ils sont des élus du SUD, c’est parce qu’ils sont déjà et d’abord conseillers municipaux. Ou comment se tailler à bon compte une réputation de valeureux démocrates, en plein débat sur le cumul des mandats.

Cherche mode d’emploi pour démocratie verrouillée

Deuxième enjeu – lié au premier : celui d’assumer la complexité de cette mécanique. Difficile d’expliquer les règles sans rentrer dans des détails très techniques, qui en plus ne sont valables que pour les communes de plus de 1000 habitants (c’est encore différent pour les toutes petites communes). Toute une file de questions pointe alors son mufle : comment fait-on pour expliquer aux électeurs un truc si compliqué ? Et puis, peut-on le faire sans dire ce qu’est l’intercommunalité ? Et donc, qui va accepter de s’en charger ?

Pendant très longtemps, personne n’a voulu assumer le coût (financier et politique) de cette communication sur le sujet. On assiste plutôt à un jeu de défausse entre élus locaux et gouvernement, à tous les étages. Le gouvernement a fini par accepter de s’en charger, et l’a annoncé lors d’une conférence de presse le… 17 février ! Un mois avant les élections. Qu’on n’y comprenne toujours rien importe peu puisqu’on vous le dit : c’est démocratique. Cette « démocratie intercommunale » a patienté déjà trente ans, elle peut bien attendre quelques jours de plus.

Élire des gens pour élire des gens pour élire...

La désignation des conseillers communautaires ne peut donc encore enfiler les plus beaux déguisements du carnaval électoral. Mais elle en fournit déjà un solide révélateur. Outre l’opacité de la procédure (constitution des listes), outre les petits arrangements de coulisse (accord PS/MODEM à Lille), l’échéance qui se profile possède une autre grande caractéristique de la mascarade élective : les controverses autour de ce que devrait être ou faire LMCU sont tout bonnement absentes des débats et des programmes. À la page 78 du programme d’Aubry, on trouve bien un condensé du consensus néolibéral qui compose la feuille de route de LMCU (innovation, attractivité, bonne gouvernance, etc.). Mais pas une virgule pour annoncer la nouvelle nature du scrutin. Le candidat de droite évoque bien la question, mais sur un bout de papier Q, et dans des termes généraux et lénifiants. Sur le site du PS nordiste, dans son dernier édito où il blablate autour des « belles campagnes qui s’annoncent » (édito daté du... 14 décembre, ça bosse comme des cochons à la Fédé), le secrétaire fédéral Gilles Pargneaux ne dit pas un mot sur le sujet. Même topo sur le site fédéral de l’UMP, où la dernière évocation de LMCU remonte à... décembre 2011.

Seuls les Verts semblent prendre l’enjeu au sérieux. Sur son blog, Éric Quiquet, vice-président aux Transports à la Métropole, avait d’ailleurs attaqué le « trou noir démocratique » au fond duquel gît LMCU [5]. Venant de la part d’un élu qui ne vote pas contre ce à quoi il est censé s’opposer – comme le Grand Stade, en 2008 – , on repassera pour la leçon de transparence.

Bref : les gens s’apprêtent à élire des gens déjà élus, sur des enjeux dont personne ne parle. Alors que le suffrage devait soi-disant sortir les intercommunalités de l’ombre pour les « rapprocher » du citoyen, c’est bien tout le contraire qui se produit. Lille Métropole peut ainsi rester discrète. Une discrétion à la mesure des 1,7 milliard d’euros de son budget.

Notes

[2Refonder l’action publique locale, Commission des Rapports officiels, 2000.

[3Acdf.org.

[4Liberation.fr, 4 février 2014.

[5Lille-21eme-siecle.fr, 20 mars 2013.