Peter Watkins, la lutte pour un audiovisuel alternatif

Photo de Corina PaltrinieriÀ une époque où la starification médiatique rythme le quotidien de nos papiers de panurge et autres petits écrans à publicité, il est bon de savoir qu’il existe des gens qui ont un message différent à partager, et gratuitement. Peter Watkins fait partie de ces gens, qui ont choisi le cinéma pour revendiquer une liberté de parole pacificatrice et assumer une critique politique radicale. Retour sur le parcours d’un réalisateur militant et fier de l’être.

Peter Watkins est né en 1935, à Norbiton, au Sud-est de Londres. Marqué par la Seconde Guerre Mondiale, suite aux bombardements de Londres et au départ de son père dans la marine, il se lance en 1947 dans le théâtre, à la Royal Academy of Art. En 1954, il est appelé à Canterbury, service militaire oblige… Dès 1956, Watkins réalise son premier long métrage, tourné en 8 mm, The Web, qui recevra un prix amateur à Londres. Réalisé avec l’aide de Playcraft, une troupe de théâtre londonienne, le film raconte la fuite d’un soldat allemand face aux maquisards français à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les prémisses de la pensée pacifiste de Watkins sont déjà là.

Photo de Corina Paltrinieri

The War Game

En 1963, il est engagé comme assistant de production à la BBC, pour laquelle il réalise son premier téléfilm (Culloden). Le film suivant (The War Game – La Bombe, 1965) provoquera un scandale en Angleterre en dévoilant les désastreuses conséquences d’une éventuelle attaque atomique, sujet encore tabou aujourd’hui. Le film connaîtra la censure durant vingt ans, cela malgré un Oscar remporté pour le meilleur documentaire en 1966... Cette même année, Peter Watkins réalise son premier long métrage pacifiste, Privilege, traitant un thème qui ne cessera dès lors de l’inspirer : la critique des mass media. Il émigre ensuite vers la Suède et y réalise son deuxième long métrage The Gladiators, en 1968.

Encore critiqué de toutes parts, Watkins s’installe cette fois aux Etats-Unis, où il s’attaque à la réalisation de Punishment Park (1971). Il marque les esprits avec ce sévère pamphlet contre la répression de l’administration américaine de Richard Nixon envers les mouvements pacifistes opposés à la guerre au Vietnam. Le Punishment Park est un camp où des prisonnier-e-s politiques se lancent dans une course morbide pour atteindre le Stars and Stripes, le drapeau américain, situé en plein désert… Le film fut censuré aux Etats-Unis après seulement quatre jours de projection et n’y a jamais été diffusé depuis.

Photo de Corina Paltrinieri

Watkins s’installe ensuite en Norvège et reconstitue en 1973, la vie d’Edvard Munch, peintre expressionniste auteur du célèbre Cri, dans un film qui porte le nom de l’artiste. Définitivement hors-normes, Watkins réalise l’impensable dans le contexte économico-cinématographique d’aujourd’hui : grâce à la contribution financière de son public et à la mobilisation d’un mouvement pacifiste suédois, il réalise The Journey entre 1983 et 1986, dans douze pays différents. Le film dure tout de même prés de quinze heures... Il donne ensuite des conférences sur la critique des médias et ce qu’il appelle la monoforme dans beaucoup de lycées et universités en Europe, en Amérique du Nord, en Scandinavie, en Australie, en Nouvelle-Zélande...

« Aujourd’hui, un réalisateur qui refuse de se soumettre à l’idéologie de la culture de masse, fondée sur le mépris du public, et ne veut pas adopter un montage frénétique fait de structures narratives simplistes, de violence, de bruit, d’actions incessantes, bref, qui refuse la forme unique, ou ce que j’appelle la monoforme, ce réalisateur ne peut tourner dans des conditions décentes. C’est impossible. » (1)
En 1994, la marginalisation de plus en plus marquée de ses travaux de cinéaste et de critique des médias pousse Watkins à se retirer du cinéma et de la télévision : il s’installe en Lituanie, avec sa femme.

La Commune

Mais Peter Watkins n’abandonne pas. En 1999, il réalise son dernier long métrage : La Commune, Paris 1871, qui a été tourné, comme la plupart de ses films, avec l’aide d’acteurs et actrices amateurs, mais aussi avec des « sans-papières » ou des militant-e-s associatifs, des habitants et habitantes du quartier... Le film est d’un format tout particulier, propre au cinéma de Watkins, puisqu’il dure initialement prés de six heures (il existe également en version courte de trois heures). L’action se situe dans un hangar, le décor est minimaliste, et pourtant, on y croit. Immergé dans l’ambiance révolutionnaire, impossible de rester passif. Watkins, et c’est là toute sa force, provoque le public, l’oblige à réagir, l’emmène et communique avec lui … Comment penser la révolution d’aujourd’hui, en reconstituant celle d’hier... Les débats sont enflammés et laisseront une trace indélébile dans la chair de ces individu-e-s. Ainsi naîtra « Rebond pour la Commune », une association dont l’objectif est d’organiser des diffusions du film et des débats quant à l’influence des médias dans notre société. Si le maître Watkins n’a officiellement pas encore tiré sa révérence du monde du cinéma, il n’en reste pas moins un sentiment de manque. Ainsi sera-t-il toujours bon, de voir et revoir ses œuvres, et surtout de les diffuser.

anto1

Photo Corina Paltrinieri : http://www.rebond.org/peter.htmRetour ligne automatique
1 : Le Monde Diplomatique, Mars 2000