Le prix de la culture

Un mutisme profond entoure l’association lille3000. Au cours de notre enquête, plusieurs personnes hésitent à parler, et finissent par se rétracter. À la lumière du témoignage d’un ancien salarié et de proches, on comprend mieux pourquoi : harcèlement moral, eXXpLoitation salariale, reconnaissance professionnelle inexistante, fichage illégal... La recette de la culture lilloise et son cuistot Fusillier sont tout juste bons pour les poubelles de l’inspection du travail.

Pascal* a travaillé pour lille3000 « depuis le début » dès 2004. Cinq années d’un labeur qui l’ont finalement poussé à la « dépression nerveuse ». Et son cas n’est pas unique. Derrière le prestige des expositions et les beaux mots, la vingtaine de salarié-es subit des conditions de travail draconiennes, où les journées de douze heures et les gueulantes à leur encontre sont monnaie courante. « Quand il est 21 heures et qu’on te hurle dessus parce qu’il faut terminer un dossier pour le lendemain, tu ne sors pas du bureau tant que c’est pas fait ». De « malaises » en « pleurs », en arrêts maladie, les pressions qui découlent des caprices de Fusillier et consorts ont mis « plus de 50 % des gens sous cachetons ». À force de « crises de nerf », d’épuisement, les drogues, déjà très présentes dans ce milieu culturel, « extasy, cocaïne, speed », circulent d’autant pour faire face... « On est les premiers à devoir prendre des produits pour tenir ». Ils se sentent toujours « sur un strapontin. » Et pour cause, la direction a mis en place « un fichier de tous les salariés depuis 2004... fonction, coordonnées, et une couleur à coté : "lui il ne faut plus le prendre, lui ça peut aller"... [C’est] Le marché aux bestiaux du coordinateur technique, du directeur général, et de Fusillier. »

Une belle « famille »

Ce dernier a beau s’escrimer à instaurer une « ambiance familiale » au boulot, en fêtant les anniversaires des salarié-es « à la vodka et au champagne », rien n’y fait. Adrien* explique qu’il y a « au moins une ou deux soirées [privées] par mois », mais ça ne prend pas. Car ce qui excède aussi, ce sont les débauchages extra-professionnels qu’impose Fusillier. Personne n’est en réelle position de pouvoir les contester... Des obligations contraignantes qui se sont banalisées et qui servent à assurer une illusion de succès auprès du public. Ce sont donc des employés de lille3000 qui simulent un atelier d’aérobic un dimanche à Saint-Sauveur ; qui sont contraints de « tenir un planning pour remplir la salle de cinéma » qui ne rencontre pas un succès suffisant pour Fusillier. Sans parler de la pression de devoir se rendre aux soirées juste « pour y être vus », afin de faire montre de son investissement, de son implication, de sa dévotion à la religion lille3000.

La culture ne paie pas

« Payé 35 heures par semaine quand t’en fais 90, ça ne me paraît pas normal quand le président de lille3000 s’appelle Martine Aubry. » Et cette cuvée 2009 n’est pas une exception, « ça a toujours été comme ça. À lille3000 tu travailles plus pour gagner autant, voire moins ». Depuis 2004 « les salaires n’ont pas bougé » et si les heures sup’ ont été discutées avec la direction, la réponse a été claire : « ce n’est pas dans le budget ». Profitant du démantèlement du statut d’intermittent, l’association et la mairie ont proposé à certains du Tri Postal de passer sous le régime général. Bilan : « Ils se sont fait entuber ». Sous « des grilles salariales délirantes », ceux et celles qui ont accepté gagnent désormais moins d’argent que leur collègues de Saint-Sauveur « pour les mêmes fonctions ». Quand on voit la com’ de Lille2004 se vanter dans son bilan d’avoir engagé « pour la seule année 2004, 485 intermittents », discourir sur « l’importance d’un statut de l’artiste et la nécessité d’une réflexion sur le financement de la culture », on se demande vraiment si l’hypocrisie a des bornes. Impossible de chiffrer le nombre d’intermittents arnaqués pour lille3000, mais les pratiques restent les mêmes. Pour faire des économies sur la main d’œuvre, l’astuce c’est la « mensualisation des contrats ». Lille3000, comme les Transphotographiques d’ailleurs, fait des contrats sur plusieurs mois alors que toutes les heures sont concentrées et effectuées dans un délai plus restreint de quelques semaines.

Un projet « populaire »

Au-delà des discours d’apparat de Martine Aubry ou des journaux complices de ces instances politiques navrantes, vue de l’intérieur, la réalité du projet apparaît plus flagrante : « L’objectif c’est de faire une biennale d’art contemporain à Lille. Saint-Sauveur c’est un projet plus urbanistique [que culturel] qui s’inscrit dans la suite des Maisons folie. Saint-Sauveur est la dernière Maison folie qui sera celle du quartier Euralille 3, la dernière tranche d’Euralille. C’est ce qu’il y a sur les plans d’urbanisme. » Une autre pierre, à l’édifice de la gentrification... Et pour la misère sur le pas de notre porte, « la culture à Lille, c’est le phare qu’on te met dans les yeux pour que tu ne vois surtout pas ce qu’il y a sur les cotés [...] la fête doit continuer ». Même si pour certain-es, la fête est déjà finie...

* Tous les prénoms ont été modifiés