Le Biplan ferme

BiplanAhhh, le malheur des déserts culturels s’abat une fois de plus sur Lille ! Le Biplan a fermé ses portes le week-end du 24 février après 20 ans d’existence, en organisant pour la dernière fois des concerts et des spectacles pensés pour être à l’image du lieu, connu pour sa programmation théâtrale et musicale. Son fonctionnement unique dans le paysage culturel lillois s’inscrivait à mi-chemin entre la salle de spectacle et le café-concert.

 

Elle était la salle idéale pour les artistes qui cherchaient à se faire connaître dans des conditions « semi-professionnelles » : ils recevaient une rétribution financière symbolique. Pour autant ils ne recevaient pas de « cachet » permettant de cotiser au statut d’intermittent du spectacle (voir encadré).

Le Biplan doit son existence à un collectif et particulièrement à deux personnes : Eric Guiot et Claude Vadesz ont ouvert ce lieu en 1991. Leur idée : créer un espace pour des collectifs d’artistes qui sortent des sentiers battus et permettre d’assister à des spectacles à moindre coût. En 1998, l’association « Vol de Nuit » est créée pour administrer le lieu. Elle a vu passer plus de 250 personnes.

Un carrefour de rencontres

Le cœur de l’association, ce sont les bénévoles. C’est le cas par exemple de Dimitri qui est là depuis huit ans. Selon lui : « Si on a des professionnels qui viennent c’est tant mieux, mais ce n’est pas le plus important, on reste une association. » Garder un esprit convivial parmi les bénévoles et les accueillir convenablement a été tout aussi important pour les membres de l’association que la qualité de la programmation. Pour beaucoup, c’était un engagement important qui a duré plusieurs années.

L’association a réuni des personnes d’horizons différents, des professionnel.les ou des étudiant.es du monde du spectacle voulant conforter leur formation. D’autres y sont passé.es simplement pour se retrouver et faire la fête, ou encore simplement rompre la monotonie de leur quotidien. Le Biplan a permis à des bénévoles de trouver une vocation et même à en amener vers des métiers. C’est le cas par exemple de François qui, grâce à son engagement au Biplan, est devenu « technicien son »professionnel.

Mais l’implication des bénévoles n’a pas toujours été simple. L’association a cependant été soucieuse de rendre son fonctionnement le plus transparent possible, en impliquant salarié.es et bénévoles sur l’ensemble des décisions qui concernent le lieu. C’est au moment où les membres semblent avoir trouvé l’équilibre que la fermeture est actée.

Une alternative à l’offre culturelle imposée par la Mairie

Les salles municipales sont souvent saturées par les demandes et coûtent parfois trop cher aux artistes. Certaines compagnies de théâtre ou groupes musicaux n’y ont pas du tout accès car ils ne rentrent pas dans les critères de la Mairie. Certains genres musicaux sont mal vus, comme le punk ou le métal, tout comme l’est leur public. L’un des bénévoles interrogé souligne le fait que la difficulté est encore plus importante pour les compagnies de théâtre contemporain ou expérimental, dont la production est souvent incomprise par les pouvoirs publics et qui reçoivent donc peu de soutien. En vingt-et-un ans, le lieu a accueilli nombre de ces artistes en résidence, local et matériel mis à disposition. Le Biplan est plus qu’un plan B.

Le Biplan s’est d’abord battu contre les aprioris culturels de la Ville pour le quartier. En tête, que le Biplan soit un lieu qui programme surtout du Jazz. Au-delà du fait que ce soit un genre musical plutôt classé élitiste, le public est beaucoup moins « bruyant » et il est donc moins contraignant de maintenir la tranquillité. C’est que le quartier change. Les nouvelle.aux habitant.es qui le choisissent le veulent à la fois la vibration des quartiers vivants mais sans les subir. Ce n’est que quand de trop nombreuses salles de concert ont dû fermer, mettant à mal la vitalité culturelle lilloise (toutes pour des raisons officielles différentes), que des voix se sont levées. Face à la fronde, la Ville a lâché du lest sur la programmation du Biplan.

La sécurité avant tout

Le Biplan a dû également céder aux coûts et à-coups des normes sécuritaires, beaucoup trop excessifs selon les personnes interrogées. « Le problème c’est que dès qu’un accident se passe en France, les pouvoirs publics se sentent obligés de réagir mais parfois de façon assez démesurée » explique le président de l’association. L'ennui c’est que la salle a été conçue avant l’imposition de ces normes, ce qui rend aujourd’hui les travaux très coûteux. Selon les bénévoles, « Les pouvoirs publics devraient plus tenir compte des particularités des lieux plutôt que de mettre en place des règles liberticides et calquées sur toutes les salles de spectacles ».

Biplan Fond

Cependant, aucun accompagnement ne vient aider la mise en conformité des structures de ce type. Et pour cause, la logique des subventions publiques a changé. Pour précariser les associations, les enveloppes budgétaires sont rarement distribuées aux associations. Pour se faire subventionner, les associations répondent à des « appels à projets » c’est-à-dire qu’une association doit montrer en quoi son activité correspond aux intentions politique du financeur. Seul le projet est financé dans ce cas et non pas l’ensemble de la structure. Or le financement des travaux n’est pas considéré comme un projet en tant que tel. C’est comme si on demandait

à un estropié de marcher mais sans lui fournir les béquilles. Beaucoup de ces acteurs ont mis la clef sous la porte comme « El Diablo » rue de Wazemmes autrefois à Moulins.

Attractive répulsion

Mais c’est surtout le voisinage du Biplan qui a sonné le glas de l’association. Les pressions répétées par des interventions policières récurrentes des plaintes de propriétaires de logements dans la rue. Le Biplan ferait baisser la valeur immobilière du lieu puisqu’il participe à rendre la rue moins « attractive » à cause du public qu’il attire. Par un drôle de retournement de situation, l’animation de la rue devient nuisance.

La salle dépend d’un statut de copropriété dont fait partie l’un des membres fondateurs du lieu et mécène de l’association : Eric Guiot. Il connait d’importants problèmes de santé. Tout le long de son histoire récente, le Biplan a toujours réussi à se relever de ses nombreuses fermetures pour effectuer des travaux de réhabilitation qui engagent Eric Guillot. C’est pour ne plus le mettre en danger que la décision de fermer a été prise par les bénévoles de l’association. Pour faire perdurer le projet, il aurait fallu que quelqu’un rachète le lieu dans la volonté de le faire perdurer. Mais l'association coutait plus à son propriétaire qu'elle ne rapportait. Pour les bénévoles, qu’une

personne veuille reprendre le projet sous sa forme actuelle semble inenvisageable car ce dernier n’est pas rentable.

« On ne porte pas toute la vie culturelle lilloise, il y a des choses qui vont continuer. Par contre ce qu’on va le plus regretter, c’est le lien social que ce lieu a créé », nous rapporte un bénévole.

On regrette à la rédac qu’un lieu culturel de plus ferme, surout un lieu qui permettait à des artistes d'être libre de créer. Pas de panique ! Il nous reste quand même Saint-Sauveur. Vous savez cette salle ou artistes sont mal payé.es et ou les employé.es sont traité.es comme à l'usine ? Cette salle qui fait la fierté de ville de Lille.

Louise

Un statut précarisant

Le statut d’intermittent.e est un statut qui permet de protéger l’artiste afin qu’il ne dépende pas uniquement des aléas de ses interventions pour vivre. En revanche pour accéder à ce statut, il faut avoir cotisé suffisamment de cachets pendant une année. La difficulté dans laquelle se trouvent les intermittent.es, c’est qu'on donne de moins en moins aux petites salles pour payer en cachet les artistes. Dans le cas du Biplan, les artistes recevaient donc une rétribution sous forme de contrat de « co-réalisation » Ce contrat constitue une preuve de la prestation de l’artiste mais ne garantit pas une rémunération à la hauteur d’un cachet.

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