Des Mineurs isolés placés à la rue

MIE 1Ils viennent du Congo, de Guinée ou d'autres pays. Ils ont utilisé les même canaux d'arrivée que leurs aînés. Sauf que ces jeunes sont adolescents et débarquent seuls en France. Leur arrivée n'est que le début d'un long combat pour faire reconnaitre leur qualité de mineur, un statut nécessaire à l'obtention de l'assistance dont ils ont  droit et besoin. En attendant, à Lille, et pour beaucoup d'entre eux, c'est la rue et la précarité extrême.
 
À leur arrivée, ces jeunes sont loin d'imaginer le parcours qui les attend. Et encore moins que cette situation et le résultat d'un sinistre jeu de ping-pong institutionnel entre l'État et le département1. Pour résumer, alors que ce dernier est en charge du droit commun de la protection de l'enfance, l'État est quant à lui officiellement en charge des questions migratoires. Avant 2013, ces jeunes arrivent dans les foyers d'urgence de l'aide sociale à l'enfance. À l'époque, le mot d'ordre à Lille est « vous accueillez quoi qu'il arrive », nous explique l'un des encadrants. Sauf que les moyens, tant humains que matériels, ne suivent pas, et que tout le monde ne joue pas le jeu2. C'est dans ce climat qu'est apparue la circulaire du 31 mai 2013, dite "Taubira" et son corollaire : le protocole signé par l'Assemblée des Départements de France et l'État. Leurs objectifs sont alors clairs : pallier les difficultés (notamment financières) des départements, permettre une harmonisation de leurs pratiques et une meilleure répartition entre territoire. Mais aussi vérifier que les jeunes bénéficiant de ces procédures soient bien mineurs et isolés.
 
Présomption de majorité
 
La circulaire crée  le dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. Le texte prévoit la mise en place d'une plateforme qui se charge de l'hébergement de ces jeunes le temps pour elle d'évaluer3 leur situation - c'est-à-dire statuer sur leur âge, avant que le juge ne tranche. À l'issue de la décision, soit la personne est reconnue mineure, et donc prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, soit elle est considérée comme majeure et devient sans-papier.
Pour Emilie Dewaele, l'avocate de ces jeunes, cette circulaire reflète un changement de posture plus général face à ces adolescents. « Aujourd'hui ce qui est inquiétant c'est qu'on oublie que ce sont des enfants en danger, on les voit d'abord comme des arnaqueurs : tu es présumé majeur, et seulement si tu arrives à le prouver, tu seras reconnu comme mineur ». En gros, on passe de la présomption de minorité à celle de majorité.
 
MIE et SDF
 
Pour ceux qui sont reconnus mineurs par la plateforme, la situation est assez simple et le département les prend, plus ou moins rapidement, en charge. Sauf que le nombre de jeunes concernés lors du passage de la circulaire a largement été sous-estimé. À Lille, la plateforme d'Évaluation et de Mise à l'Abri (EMA) ne dispose que d'une dizaine de lits alors qu'il en faudrait environ le double.
En saturation permanente, elle se retrouve donc à évaluer sans pour autant trouver de solution d'hébergement.  Un des jeunes rencontrés témoigne : « Même quand tu dis que tu ne sais pas où dormir, que tu n'as pas de rendez-vous avant deux mois, tout ce qu'ils ont à dire c'est qu'ils ne peuvent rien faire pour nous ».
Actuellement, il faut quelques jours pour obtenir un premier rendez-vous, environ un mois pour être évalué, plusieurs jours pour recevoir la lettre de notification du juge, et encore un délai supplémentaire pour être enfin pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Soit environ deux mois sans logement.
Mais ça, c'est bien la solution la plus courte. Le délai s'allonge de façon inquiétante pour ceux, reconnus majeur, qui font appel de cette décision auprès du juge des enfants, puis de la Cour d'Appel. Actuellement, à Lille, ils sont une cinquantaine  « dans le circuit » et sans hébergement fixe, dont une trentaire concerné par cette période d'appel. Mineurs par leurs papiers d'identité, majeurs selon le juge... ces  « mijeurs » se retrouvent alors privés de toute aide.
MIE 1
 
(Mal)heureusement,  les associations sont là
 
Comme trop souvent, ce sont les associations qui prennent le relai et rythment l'attente de ces « mijeurs ». « Le matin on va au point de repère, après vers onze heure trente, on part à Ozanam où ils nous donnent un sandwich, et le soir on vient ici, au Resto du coeur. Le plus dur c'est pendant les jours fériés : il n'y a pas de distributions, alors on atttend. On reste là, comme ça... » nous explique un des mijeurs.
Et le soir ? Quelques un.e.s (en priorité les filles) sont hébergé.e.s par des particuliers, plus d'une vingtaine dans une église, dormant sur des tapis de sol depuis des mois et les autres, sans solutions, dorment dans une station de métro ou à la gare. Côté assos, ces aides se font sans moyens supplémentaires. Elles sont conduites à travailler avec des publics aux besoins et aux problématiques différentes, compliquant l'accompagnement des travailleurs sociaux.
Mais le rôle du milieu associatif ne s'arrête pas là. Comme l'autorise la circulaire, dans le Nord, la plateforme fut confiée à une association. Elle est donc amenée à produire des évaluations sur l'âge des mineurs dans des conditions particulièrement précaires. Comme nous l'explique un des salariés d'Ozanam :  « En gros les trois critères d'évaluation sont : les documents officiels, le récit de vie et de parcours, et l'apparence physique. C'est quand même très subjectif ». Alors que les tests médicaux systématiques (tests osseux et de pilosité) ont été globalement écartés dans le département du Nord depuis quelques années4, les recours à l'expertise de la police aux frontières pour les documents sont réguliers. Flous, les critères de détermination de l'âge se créent au fil de la jurisprudence. Surtout, la volonté des travailleurs sociaux de prendre en charge l'évaluation pour la mener le plus humainement possible se confronte à une mission d'inspiration policière.
 
Milko et Quidam
 
1. La recommandation n° 18 du rapport alternatif de l'UNICEF France à propos des Mineurs Isolés Étrangers est d'ailleurs de mettre « un terme au débat entre l'Etat et les conseils généraux concernant la prise en charge des adolescents ».
2. Contrairement au département du Nord, certains départements rechignaient à prendre en charge les MIE.
3. L'évaluation consiste à déterminer si le jeune est un Mineurs Isolés Étrangers autrement dit une personne âgée de moins de dix-huit ans qui se trouve en dehors de son pays d'origine sans être accompagnée d'un titulaire ou d'une personne exerçant l'autorité parentale, c'est-à-dire sans quelqu'un pour la protéger et prendre les décisions importantes la concernant.
4. Dans le Nord, contrairement à d'autres départements, les tests médicaux (radiographie du poignet et test de pilosité) ne sont presque plus d'usages. Ces tests sont aujourd'hui fortement décriés tant pour leur faible précision que pour des questions éthiques.