Les réfugiés après Sangatte

La création par Nicolas Sarkozy du ministère « de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement » marque à la fois l’aboutissement d’une politique qui tend depuis longtemps à institutionnaliser la xénophobie, et par là le début d’une époque de pression sur les étrangers jamais atteinte auparavant. Cependant, des migrants clandestins continuent à affluer vers le nord de la France. État des lieux à Norrent-Fontes, village du Pas-de-Calais.

A Norrent-Fontes (situé à environ 75 km au sud-est de Calais) s’est établi depuis plus d’un an un camp de migrants clandestins. Pour la plupart originaires de Somalie, d’Érythrée, d’Éthiopie ou du Soudan, ils aspirent tous à trouver en Angleterre travail et logement. Quelques abris de fortune sont installés au bout d’un champ auquel on accède par un chemin boueux. Insalubrité, promiscuité sont leur lot quotidien. Une poignée de bénévoles tentent avec les moyens du bord d’améliorer un tant soit peu leurs conditions de vie.

Un travail de fourmi pour les bénévoles

La plupart des bénévoles viennent tous les jours sur le camp : Claude, qui ramène de l’eau et du bois pour cuisiner, Jeremy, militant de la LCR, Monique qui habite à proximité du camp, ou Lily, qui participe aux associations d’aide aux réfugiés sur Calais1. Parmi la population du coin, quelques mains laborieuses aussi qui gèrent le linge, les douches, les batées. Michel, le curé de la paroisse, tente de coordonner cette équipe pour le moins hétéroclite. « Il est surtout, explique Jeremy, le pilier des relations avec la population locale, qui ne sont pas toujours évidentes. » Après la publication de quelques articles dans les journaux locaux, quelques dons sont arrivés au camp, mais le manque d’informations entretient une méfiance et une peur réciproques entre réfugiés et habitants de Norrent-fontes. D’autant que les grands déplacements sont pour le moins étrangers dans les campagnes du Pas-de-Calais. Ici, Lille apparaîtrait presque comme un horizon lointain, alors l’Afrique… Si la franche hostilité reste discrète et marginale, l’incompréhension est grande. L’influence de Michel reste cependant forte, ce qui lui a permis de gagner à la cause des migrants certains résidents du coin, pourtant peu politisés et étrangers au travail humanitaire de terrain. Selon Lily, « le manque de politisation chez nombre de bénévoles ne permet pas de dépasser le cadre strict de l’humanitaire » dans lequel les questions fondamentales qui conditionnent la situation présente des réfugiés en France ne sont jamais posées. à savoir la politique protectionniste de l’Union Européenne en matière d’immigration, l’attitude désinvolte et démagogique des états, ou le néo-colonialisme de la France en Afrique.

Partir pour une vie meilleure…

Si tous les migrants ne sont pas des réfugiés politiques persécutés dans leur pays d’origine, ils ont pour la plupart connu la précarité, et la perspective d’un avenir bien morose. Il n’est pas rare que les réfugié-e-s arrivent en France après un périple de plusieurs années en Afrique. Ainsi, celles et ceux qui quittent le Darfour passent parfois par l’Égypte et essayent d’y trouver du travail. Depuis l’Érythrée ou l’Éthiopie, les plus démunis traversent le Soudan et la Libye, avant de rejoindre l’Italie après quatre jours de bateau, dont le coût moyen exigé par les passeurs serait de 10 000 $. Depuis l’Italie, les migrant-e-s rejoignent la France et remontent en train vers le nord. Les plus aisés usent de visas touristiques et prennent l’avion au Soudan pour atterrir à Paris où ils sont immédiatement récupérés par des passeurs qui, à coup de promesses fallacieuses sur les conditions d’accès à l’Angleterre, se chargent moyennant finance de les orienter vers Calais et les alentours. Quelles que soient les difficultés endurées pour arriver jusque là, tous les réfugiés sont atterrés par les conditions de vie à Norrent-Fontes ou aux abords de Calais…

Faux-semblants d’outre-Manche

L’Angleterre reste un mythe du fait d’une supposée facilité d’intégration liée à la langue, et de conditions sociales d’accueil perçues comme meilleures qu’ailleurs. Le regroupement communautaire est également un facteur décisif. Depuis 2003, il est devenu très dur de passer en Angleterre : trois contrôles français sont suivis d’un contrôle anglais, le plus difficile à franchir. Si les autorités françaises ont tout intérêt à fermer les yeux lors de ces contrôles afin de se débarrasser de réfugiés indésirables sur le territoire (selon ces derniers, beaucoup parviendraient à passer ces premiers obstacles), il n’en va pas de même pour la douane anglaise. Par ailleurs, l’asile politique est de plus en plus rarement accordé en Angleterre (86 % de refus).

L’errance : une situation à haut risque

Beaucoup de réfugiés en France ne sont pas expulsables du fait de la situation politique de leur pays d’origine, mais on ne leur accorde pas l’asile pour autant. Ils et elles deviennent ainsi des personnes errantes, renvoyées d’un pays de l’Union Européenne à l’autre, indésirables partout où ils passent. Dans cette situation d’extrême vulnérabilité, ils sont à la merci des passeurs, qui souvent s’attribuent la propriété d’un camp ainsi que celle de ses « habitants », comme cela semble être le cas à Norrent-Fontes. Leur influence et leur pouvoir sur les autres migrants sont tels que ceux-ci se refusent à dénoncer des abus et rackets dont ils sont victimes. Si les bénévoles ont des soupçons, ils n’ont aucun moyen de les confirmer et doivent composer quotidiennement avec cette réalité. à cela s’ajoute une impossibilité de travailler avec les pouvoirs publics qui les accusent d’attirer les migrants en essayant d’améliorer leurs conditions de vie sur le territoire français. De nombreux articles de presse se font le relais de cette opinion des autorités. Les associations bénévoles (présentes surtout à Calais) sont pourtant indispensables à la gestion de la vie quotidienne des migrants sur place et il est évident que sans elles, les problèmes avec la population locale seraient quotidiens. L’attitude des autorités à leur égard est très ambigüe car elles sont à la fois stigmatisées comme responsables de ces arrivées et reconnues d’utilité publique puisqu’elles reçoivent des aides de l’Union Européenne.

Vulnérabilité

Les femmes, minoritaires parmi les migrants, sont plus présentes à Norrent-Fontes qu’à Calais, pour des raisons de sécurité personnelle. Curieusement, certaines semblent voyager seules. à Norrent-Fontes, deux femmes seules sont enceintes. L’une désire se faire avorter, affronte avec Lily la difficulté des démarches, liée au non -respect de la circulaire « soins urgents » (2) par certains hôpitaux, qui s’inquiètent du retard des remboursements par la DDASS (celui de Beuvry notamment). Lily croit possible un trafic lié à la prostitution. Une chose est sûre, ces femmes sont à la merci de tous durant leur voyage et à leur arrivée sur le territoire français. Sur place, les réfugié-e-s n’ayant pas existence légale, elles n’ont aucun recours pour se défendre. S’il est difficile d’obtenir d’elles des confidences, il semblerait que les viols et les abus de toute sorte ne soient pas rares.Retour ligne automatique
Après plusieurs années passées à tenter de se faire une place en différents lieux, certains réfugiés ont atteint un tel niveau de souffrance psychologique qu’ils se trouvent enfermés dans une logique de survie, et ne parviennent plus à se départir d’une grande méfiance vis à vis des autres. Les bénévoles sont ainsi confrontés à des comportements pas toujours faciles à comprendre et à accepter, et Lily souligne cet aspect pernicieux de l’état d’urgence perpétuel : « On finit parfois par se couper de tout dialogue avec les réfugiés, à qui le statut d’être humain est dénié par la société. Au-delà d’une simple gestion humanitaire passant par la distribution de nourriture et de vêtements et l’encadrement sanitaire, est-ce qu’il n’est pas tout aussi urgent de recréer une cohésion de groupe où le dialogue soit à nouveau possible, de rendre leurs places aux relations humaines ? »

Pas de « sentimentalisme » pour la PAF (3) et les CRS

À Norrent-Fontes, la gendarmerie locale, toute aussi impuissante que les bénévoles à trouver de réelles solutions, a compris qu’elle avait tout intérêt à faciliter le travail de ces derniers et à éviter les conflits entre réfugiés et population locale. «  Réfugiés et flics du coin finissent par se connaître, et ces liens tissés peu ou prou modifient leur appréhension du problème. Ils gardent un comportement digne », raconte Jeremy. Les relations avec les CRS ou la PAF se montrent beaucoup plus tendues. Dernier problème en date à Norrent-Fontes : la PAF a débarqué un matin, alors que les bénévoles emmenaient les réfugiés prendre une douche dans la salle de sport d’une municipalité voisine, et a innondé les lits de fortune avec les quelques jerricans d’eau entreposés au camp. Une lettre envoyée aux autorités pour dénoncer ces pratiques odieuses reste à ce jour sans réponse.Retour ligne automatique
Ces autorités, conscientes du fait que la répression est d’autant plus aisée que les réfugiés restent anonymes pour les policiers ou les CRS, font en sorte de ne pas faire intervenir une même brigade plus de quinze jours au même endroit. Tout « sentimentalisme » est ainsi évité…Force est de constater que cette stratégie se révèle efficace.

Peur de l’autre généralisée ?

Si la xénophobie est, depuis plusieurs décennies, devenue institutionnelle, il semble que l’enjeu soit de la conserver vivace. Quel meilleur moyen que de mettre en présence de la population ces hommes et ces femmes qui, à force de désespoir, finissent par ressembler à des fantômes ? Il n’est que plus aisé ensuite de légitimer une gestion sécuritaire du problème, et, une fois l’opinion publique habituée à la chose, d’étendre cette gestion à d’autres questions humaines et sociales. Ce racisme entretenu vient se combiner à un second facteur, celui de la vulnérabilité des migrants, pour permettre à leur égard tous les abus, et notamment une exploitation de leur force de travail à peu de frais. Notons d’ailleurs qu’à l’heure de l’immigration choisie, le gouvernement Sarkozy vient de publier une liste de «  métiers pour étrangers » (4), l’enjeu étant d’éviter une hausse des salaires dans les secteurs où il y a un déficit de main d’œuvre.Retour ligne automatique
Par ailleurs, on peut observer un autre effet pervers lié à la situation des migrants. Car les réfugiés qui vivent dans la plus noire misère au vu et au su de tous et toutes font vibrer chez les français-es une corde sensible autre que celle de la compassion : le sentiment d’appartenir à la classe des privilégiés, celle qui dispose d’un toit, de vêtements, de nourriture, celle qui est partie prenante de la société. Pour juste qu’il puisse apparaître dans un premier temps, ce sentiment ne contribue-t-il pas à occulter la réalité de la répartition des richesses ? Pris en étau entre la menace de sombrer dans une misère semblable, et l’impression de ne pas être si mal lôtis, les classes populaires sont-elles en mesure de combattre un ordre social de plus en plus injuste ?


1 : La Belle Étoile et Le Secours Catholique, voir La Brique n°3 « Nord Pas de Calais, Terre d’écueil ».Retour ligne automatique
2 : Cette circulaire indique les conditions de prise en charge des soins urgents délivrés aux étrangers résidant en France de manière irrégulière et non bénéficiaires de l’Aide Médicale de l’Etat. Sont pris en charge :Retour ligne automatique
* tous les soins destinés à éviter la propagation d’une pathologie à l’entourage ou à la collectivité ; tous les soins délivrés aux mineurs ne bénéficiant pas de l’AME sont présumés répondre à la condition d’urgence ; les examens de prévention réalisés durant et après la grossesse ainsi que les soins à la femme enceinte et au nouveau-né ; les interruptions de grossesse pour motif médical ainsi que les IVG.Retour ligne automatique
3 : Police Aux FrontièresRetour ligne automatique
4 : Cette liste est ouvertement raciste, puisqu’elle est divisée en deux : métiers pour les ressortissants des états membres de l’UE, et ceux affectés aux non-européens.

J.V.Retour ligne automatique