Au purgatoire des expulsions

cra fondPour lutter contre la clandestinité et organiser les expulsions de personnes sans-papiers, la France a mis en place des prisons appelées Centres de Rétention Administrative, les CRA. La France est devenue le pays d’Europe qui enferme le plus de personnes en situation irrégulières. Petit tour d’horizon de l’absurdité administrative de notre chère patrie.

 

Attention ! Un CRA n’est pas à proprement parler une prison, c’est toute l’ambiguïté. Un CRA n’a pas pour fonction de punir la personne mais de la « retenir » avant de l’ « éloigner ».

Le but est de dissuader les personnes expulsées de tenter de revenir. Mais du point de vue des personnes arrêtées, le CRA est pire qu’une prison. On peut y être enfermé.e jusqu’à trois mois, sans véritable occupation : il y a une télé, mais les livres et les stylos sont interdits, trop dangereux, car ils pourraient blesser ou mettre le feu.

Si la majorité des personnes incarcérées sont des hommes isolés, certaines sont des femmes avec enfant séparées de leurs maris. Mais on retrouve aussi des mineur.es isolé.es, des personnes malades… bref, des catégories de personnes qui sont normalement protégées de l’expulsion par la loi1.

Il y a 23 CRA en France, répartis partout sur le territoire. En 2017, 46 800 personnes y ont été enfermées, soit presque l’équivalent de deux tiers de la population carcérale française.

De l’interpellation à l’expulsion : l’ogre administratif vu de l’intérieur

Une personne peut être interpelée pour des raisons pas tout à fait explicites puisqu’il n’y a pas vraiment de délit à part le séjour illégal sur le territoire.

Les causes de l’interpellation sont nombreuses : d’abord, les migrant.es se font traquer par la police : le contrôle au faciès, aux abords des gares, dans la rue, est ainsi l’une des grandes causes d’arrestation. Les personnes se font souvent arrêter en tentant de passer une frontière. Elles peuvent aussi être arrêtées suite à un contrôle de ticket de transport.

Ou bien encore, les personnes peuvent être interpelées alors qu’elles se rendent en préfecture dans le cadre de la régularisation de leur séjour : hop, rien de tel dans un Etat de droit que se servir du cadre légal pour tendre un guet-apens aux gens !

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La personne interpelée est d’abord placée en rétention administrative spécialement conçue pour le CRA, pendant laquelle la police détermine sa situation administrative. Si elle est en situation irrégulière, elle reçoit le plus souvent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pouvant aller de 1 à 5 ans.

S'y ajoute d’une inscription au fichier du Système d’Information Schengen (fichier SIS) dans lequel sont enregistrés les noms et les empreintes des personnes pendant la durée de l’IRTF. Cela permet à la France d’éloigner la personne même des pays limitrophes au cas où il lui viendrait l’idée de revenir par un autre pays.

Si la personne interpelée refuse de donner ses empreintes pour éviter d’être fichée de la sorte, elle encourt désormais trois mois de prison.

La personne est retenue 48h. Une fois passé ce délai, la préfecture saisit automatiquement le juge des libertés et de la détention pour demander une prolongation de la rétention de 28 jours. Puis, de nouveau pour 15 jours. Puis, de nouveau 15 jours… jusqu’à un maximum de 90.

Ces délais sont censés permettre à l’administration d’organiser le départ de l’étrange.èr : démarcher l’ambassade concernée, organiser le vol, faire les demandes de visa pour les escortes policières. Tout ça coûte 1000€ par personne et par jour de rétention2.

Pendant ce temps, la personne retenue attend, anxieuse, et ne sait pas quand elle sera expulsée. Un beau matin, la police la réveille et l’emmène à l’aéroport. La personne peut alors refuser une première fois d'emarquer, sans trop de conséquences.

A partir de la deuxième fois, la police a le droit d’utiliser la force : menottes, casque de boxe, bâillonnement pour éviter les cris, administration forcée de calmants… Si la personne parvient encore à refuser, elle risque de nouveau la prison (la vraie cette fois, celle pour les criminel.les).

Une application du droit arbitraire

Pendant la rétention, la personne retenue a le droit de contester la décision de placement en rétention devant le juge des libertés et de la détention (JLD) et faire appel des décisions de prolongation.

Elle peut aussi contester sa mesure d’éloignement devant le tribunal administratif. Selon la formule consacrée, la personne incarcérée est alors informée de ses droits.

Mais en réalité, les personnes ne comprennent rien, faute de traduction. En leur faisant croire que cela leur permettra d’être libérées, on leur fait souvent signer des papiers attestant qu’un temps a bien été consacré à leur expliquer leurs droits.

Pourtant, avant de prendre une décision, l’administration doit, selon la loi, examiner la situation personnelle de la personne et vérifier que la condition de rétention est compatible avec le niveau de santé de la personne. Dans les faits, c’est rarement le cas.

Bienvenue au pays des droits de l’homme! Ce qui compte, c’est surtout de faire gonfler les chiffres d’expulsion pour prouver qu’on est efficace face à la menace de l’immigration. L’accueil, le respect des droits, tout ça passe après. Il ne manquerait plus qu’ilset elles se sentent bien et veuillent rester...

HemKa

1. Le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile protège des catégories de personnes d’une mesure d’expulsion : tel.les sont les mineur.e.s, les personnes résidant en France depuis l’âge de 10 ans ou depuis 15 ans, les parents d’enfant français.es, les étrange.èrs malades…

2. Dans ce chiffre il y a les coûts des démarches administratives, les salaires des policiers, des infirmiers, de l’asso présente dans le CRA, de la blanchisserie, de la nourriture, des déplacements aux ambassades, des billets d’avion…

 

Témoignages du CRA de Calais

Monsieur G est interpelé alors qu’il tentait de se rendre en Angleterre avec sa femme enceinte. Il est placé seul au centre de rétention. Devant le JLD, il soutient la violation de son droit à une vie privée et familiale et aussi le fait qu’il ne supporte pas l’enfermement, qu’il a déjà subi deux fois dans sa vie dont une en Libye. Le juge considère qu’il n’apporte pas la preuve de la réalité de son mariage et décide de prolonger sa rétention de 28 jours. Fou d’inquiétude, Monsieur G ne voit pas d’autre solution que d’essayer de se suicider. Il est sauvé de justesse pas d’autre retenus. Il a 24h pour faire appel la décision du juge.

Le lendemain matin, assommé par sa tentative et les calmants, il ne se réveille pas à temps pour introduire l’appel, qui est envoyé avec 10 minutes de retard. Le recours en cour d'appel est jugé irrecevable par la Cour d’Appel, qui n’accepte de retard, même de 10 minutes, qu’ « en cas de force majeure », c’est-à-dire d’un évènement indépendant de la volonté de la personne. Une tentative de suicide n’en est apparemment pas un.

Monsieur X, d’apparence africaine et majeure, dont le pays de nationalité est inconnu parce qu’il refuse de parler, est enfermé en attendant son expulsion… vers un pays .

Monsieur Y, qui en est à sa 13ème tentative de suicide, qui a été hospitalisé à maintes reprises pour syndrome de stress post traumatique, est enfermé parce qu’il n’apporte pas la preuve de son état.

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