« À vos smartphones ! »

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C'est le mot d'ordre qui revient régulièrement place de la République. Il est question de hashtags, de groupes Facebook ou de SMS viraux. Les Nuit debout insistent sur cet enjeu de la com', confondue pour l'occasion avec l'usage des outils numériques. « On connaît tou.tes dix personnes, les informer de ce qu'il se passe sur la place, c'est les motiver à venir», entend-on dans la discussion plénière qui s'étire au soleil. Moui ? Pas sûr que les jours de beau temps tout le monde choisisse de rester en terrasse à Wazemmes par simple ignorance de ce qui se trame à Répu…


Sans vouloir nier que les moyens à notre disposition aujourd'hui sont bien pratiques pour appeler à une manif sans prendre d'abord d'assaut la radio d'État, force est de constater que beaucoup de révolutions ont été possibles sans Internet, l'info se diffusant de bouche à oreille en quelques dizaines de minutes dans une ville, et à la vitesse d'un cheval au niveau d'un pays. Avec la Nuit debout lilloise qui prend la place neuf jours après celle de la capitale, on est en deçà des délais de propagation des premières émeutes parisiennes vers les grandes villes du pays en 1789 !

Les « on ne pourra plus jamais dire qu'on ne savait pas » de sociétés mieux pourvues question techniques de l'information ne nous ont pas empêché.es de regarder impuissant.es à la télé, et aujourd'hui en partie sur les réseaux sociaux, les répressions, les guerres et les génocides des dernières décennies. Nos gouvernants ne se décident jamais à y intervenir pour autre chose que des intérêts économiques ou stratégiques bien compris. Savoir, est-ce automatiquement se mettre en action ? Les commentaires sur les mobilisations de ce début de XXIe siècle ont tendance à confondre les deux. Un Indignado s'émerveillait dans #indignés ! (c'est le titre très branché d'un bouquin paru en 2012 aux éditions La Découverte) de la « force sans nom » se propageant par smartphone et qui lui avait fait poser son sac à la Puerta del Sol. Il confondait le message et le contexte qui lui avait permis d'y donner suite. Les mêmes commentaires fascinés par les merveilles de la technologie avaient inondé les médias lors des dits « printemps arabes ». Les appareils et réseaux numériques, Facebook et Twitter en tête, étaient dotées d’un quasi-pouvoir révolutionnaire.

On ne se mobilise pas parce qu'on reçoit une information mais parce que les conditions sont réunies, ici et maintenant, pour qu'on ait envie de se bouger le cul et éventuellement de se mettre un peu en danger. Parce qu'on n'a plus rien à perdre ou qu'on considère que notre participation, cette fois, servira à quelque chose. En clair : la force d'un mouvement, c'est une question de motivation et de possibilités, pas seulement d'information.

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Alors, utiles, les techniques de communication ?

 

Une caméra dans chaque poche multiplie les chances de documenter et publier des images de violences policières. Mais pas de déterminisme technique : publier n'est rien sans du monde pour recevoir les images, leur donner crédit et importance, s'en faire le relais. Pour se faire entendre dans la cacophonie du web, il vaut souvent mieux être un « lol cat »1 qu'un discours politique ! L'intérêt des peuples pour un mouvement social ne tient pas à ses outils de communication mais à la nécessité collectivement ressentie que ce mouvement ait lieu. Sinon, qu'importe la quantité d'info produite, elle sombrera dans l'indifférence.

Les grandes oreilles, en revanche, n'en manquent pas une. La police n'a plus à nous surveiller : nous publions toutes les infos nous concernant, lieux de rendez-vous, vidéos et photos non floutées. En Iran, une fois la première des révolutions dites « 2.0 » (les émeutes de juin-juillet 2009) écrasée, les traces que les manifestant.es ont laissées partout sur Facebook ont été bien utiles pour les réprimer. La Nuit debout, dans l'idée de rendre le mouvement accessible à tout.es, s'organise à l'aide d'un wiki ouvert sur une page web qu'on imagine dans les favoris des RG depuis la première heure. Ces outils permettent aux personnes absentes un soir de rattraper ce qui s'est dit ou de donner l'envie à d'autres de rejoindre la place de la République. Mais n'oublions que le plus important reste les échanges de visu et la confiance qui se crée entre les participant.es pour passer à l'action.

 

1. Vidéo poilante de chat faisant du piano un slip sur la tête.

À lire : « La contre-révolution informatique », Offensive n°31, septembre 2011