Mort de Pierre Morain, incarcéré à Loos en 1955 pour son soutien aux révolutionnaires algériens

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« Moi je ne suis pas français, je suis ouvrier ». Voilà ce que répondit Pierre Morain au tribunal de Lille qui lui demandait pourquoi lui, Français, participait aux côtés des travailleurs algériens aux violentes émeutes qui retournèrent le centre-ville de Lille ce 1er mai 1955. Pierre Morain, ouvrier du bâtiment installé à Roubaix, anarchiste, sera le premier métropolitain incarcéré pour son soutien aux révolutionnaires algériens. Il est décédé le 27 mai 2013. L’historien Jean-René Genty lui rend cet hommage.

 

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Pierre Morain, à la sortie de la prison de la Santé en mars 1956 (source : tract annonçant la sortie de la brochure « Un homme, une cause… »)

Mort d’un anarchiste !

Pierre Morain est mort le 27 mai 2013 au Larzac où il résidait avec son épouse Suzanne depuis les années soixante-dix. Tous deux participaient à la lutte des agriculteurs du plateau contre l’extension du camp militaire. Au moment de son installation sur le plateau, Pierre Morain comptabilisait alors déjà de nombreuses années de militantisme. Jeune ouvrier du bâtiment dans la région parisienne au début des années cinquante, il militait à la Fédération Communiste Libertaire (FCL) et appartenait à son cercle le plus restreint, « l’Organisation Pensée Bataille » emmenée par Georges Fontenis.

C’est à ce titre qu’il fut envoyé dans le Nord en avril 1955 à la demande du Mouvement National Algérien avec mission d’organiser un comité de soutien aux militants algériens. Les contacts entre Messali Hadj et la FCL étaient alors étroits via l’intermédiaire de Daniel Guérin, qui se réclamait à la fois du communisme libertaire et de la lutte anticolonialiste. Pierre Morain expliquait que, se retrouvant à Roubaix, il n’avait pas eu vraiment le temps de trouver des contacts dans les milieux métropolitains. En revanche, il fut rapidement adopté par les Algériens de Roubaix, travaillant le jour comme manœuvre terrassier chez Carette-Duburcq et diffusant le soir et le week-end Le Libertaire dans les cafés algériens. Le journal consacrait une large place à l’activité des révolutionnaires algériens et Pierre Morain rédigea plusieurs articles importants consacrés à la vie quotidienne des Algériens de Roubaix.

Il fut partie prenante des événements du 1er mai 1955 à Lille au cours desquels les Algériens du Nord encadrés par le service d’ordre messaliste affrontèrent pendant cinq heures les charges des forces de police et de gendarmerie mobile qui tentaient de s’emparer des banderoles proclamant l’Algérie libre et des portraits du Zaïm. Pierre Morain participa aux affrontements aux côtés de ses camarades algériens. Repéré par les différents services – il signait de son nom les articles publiés dans Le Libertaire – il fut contrôlé par des douaniers (la bataille de la frontière entre nationalistes algériens et forces de l’ordre commençait) le 23 mai. Le 24 mai, il fut interpellé par la DST puis relâché. Le 29 mai, Pierre Morain fut arrêté et emprisonné à Loos où il rejoignit les cadres algériens incarcérés à la suite de la manifestation. Tous étaient poursuivis pour « reconstitution de ligue dissoute ». Pierre Morain fut condamné à cinq mois de prison. Après appel interjeté par le parquet, la Cour d’appel de Douai élevait sa peine à un an de prison.

La condamnation du premier « Frère des Frères » de la guerre d’indépendance algérienne en métropole passa assez inaperçue et le cas Morain sortit peu à peu de l’anonymat grâce à l’action du comité de défense emmené par Jean Cassou, Daniel Guérin, Claude Bourdet et Yves Dechezelles. Mais ce fut la prise de position d’Albert Camus dans L’Express du 8 novembre 1955 qui attira l’attention de l’opinion publique sur « la situation d’un jeune militant (…) placé sous les verrous pour avoir manifesté un mauvais esprit en matière de politique algérienne. La protestation, jusqu’à présent a été limitée à d’étroits secteurs de l’opinion. Morain ayant le double tort d’être ouvrier et anarchiste ». Rappelons que jusqu’à sa mort, Camus demeura fidèle à ses contacts avec l’anarchisme et le messalisme.

Pierre Morain quitta la prison de la Santé à la fin du mois de mars 1956 mais il demeurait sous le coup d’une inculpation pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. En janvier 1957, il participait à l’assaut donné par un groupe de « l’Organisation Pensée Bataille » contre la permanence du mouvement Poujade, rue Blomet dans le 16ème arrondissement.

L’aventure du groupe « Organisation Pensée Bataille » se termina par le passage dans la clandestinité et l’arrestation de son principal dirigeant, Georges Fontenis.

Par la suite, Pierre Morain continuera à militer dans la mouvance anarchiste puis alternative.

J.-R. GENTY

Sources  :Retour ligne automatique
Fontenis Georges, L’autre communisme, histoire subversive du mouvement libertaire, Lucée, Acratie, 1990 ;Retour ligne automatique
Comité Pierre Morain, Un homme, une cause, Pierre Morain prisonnier d’Etat, Paris, 1956 ;Retour ligne automatique
Témoignage de Pierre Morain, 22 août 1992, archives privées J.-R. Genty ;Retour ligne automatique
Témoignage de Georges Fontenis, 23 juin 1992, archives privées J.-R. GENTY ;Retour ligne automatique
Collection du journal Le Libertaire, BDIC de Nanterre.Retour ligne automatique
Genty J.-R., L’immigration algérienne dans le Nord-pas-de-Calais, Paris, L’Harmattan, 1999 ;Retour ligne automatique
Genty J.-R., Fidaou el Dzezaïr, les nationalistes algériens dans le Nord, Paris, L’Harmattan, 2008.

D’autres infos : « Le front lillois de la guerre d’Algérie » dans La Brique n°32.