Milice d'hier... Roubaix au temps des chevaliers

chevalierCes chevaliers-là ne sortent pas du Moyen Âge, mais des milieux commerçants du Roubaix des années 1980. Dans un climat délétère, la milice emmenée par le droitier Bernard Dewaele va intégrer le jeu politique local en camouflant sa haine raciste derrière un discours sécuritaire.
 
Ça commence avec un certain « Taxi Bernard », chauffeur dans le Roubaix sinistré du début des années 1980. A cette époque, chômage de masse et racisme ambiant sont les ingrédients d'un cocktail explosif. En 1982, Bernard Dewaele se fait cambrioler et crée, quelques jours plus tard, l'association « Les Chevaliers de Roubaix » avec un de ses potes buraliste. L'homme s'adresse au milieu des commerçants roubaisiens, qui semble lui prêter une oreille attentive. Il prétend « canaliser la violence » qui anime les petits boutiquiers et les vieux, victimes d'agressions ou de vols. En preux chevalier, il veut « défendre la veuve et l'orphelin »1. Dans la pratique, les Chevaliers de Roubaix passent à l'attaque.
 
Don Quichiotte
 
Ils organisent des « patrouilles », en collaboration avec les flics. En contact radio avec le comico central lors de leurs sorties, Dewaele et sa bande préviennent les bleus lorsqu'ils repèrent des « actes de délinquance » et arrêtent les présumés coupables2. Les Chevaliers s'arrogent aussi des pouvoirs de police. « Le soir, quand je prenais le tramway, je me faisais régulièrement fouiller par les Chevaliers de Roubaix, raconte Xavier Mauméjean, un écrivain local. Je t'assure que tu ne pouvais pas refuser de montrer tes papiers à ces enfoirés ».3 Un Roubaisien qui a connu cette époque et croisé les Chevaliers explique : « C'était des ratonnades. Ils se prenaient pour des shérifs. Ils arrêtaient un type, lui disaient « t'as quoi dans tes poches ? » et le fouillaient. Ils se comportaient comme une milice. » Ambiance...
S'ils ne sont pas armés, ils jouent du coup de poing sur les jeunes arabes, leur cible de prédilection Et se font logiquement dérouiller en retour : « Des mecs organisaient des guet-apens pour se faire les Chevaliers. Ils bloquaient leur voiture et la retournaient. À Roubaix, Dewaele était surnommé Taxio Biyar, parce que biyar veut dire balance en arabe... ».
 
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La loi des Chevaliers
 
A côté de l'action de rue, l'association édite des rapports sur l'insécurité à Roubaix, qu'elle remet à la mairie et aux polices nationale et municipale. Dans ces plaidoyers, les maghrébins sont dénoncés à chaque page. Pour Dewaele, il s'agit de « mettre fin au couvre-feu imposé par les voleurs ». En parallèle des « patrouilles » et autres services de surveillances, il apparaît que le bougre est en recherche d'une notoriété.
Il participe à la fondation d' « Amitiés et partage »4 avec Marcel Lecluse, tête de liste Front national de « Roubaix aux roubaisiens », en 1985. Cette association plus sociale lui permet d'être reconnu localement et de brouiller son appartenance à l'extrême droite. Mais les uniformes des Chevaliers et l'enseigne en lettre gothique sur le « donjon » - leur local, offert par Diligent, maire de l'époque – ne trompent pas.
 
Des sirènes policières aux sirènes politiques
 
Profitant de leurs bonnes relations avec la mairie d'André Diligent – démocrate chrétien – ils n'hésitent pas à installer des caméras de surveillance dans certaines rues de Roubaix et sur des parkings. Malgré les protestations de la Ligue des Droits de l'Homme, René Vandierendonck, directeur de cabinet de Diligent et futur maire de Roubaix, affirme que rien ne s'oppose à ce que les Chevaliers filment des passants, déléguant au passage un pouvoir de police à une association privée. Le 21 juin 1987, Dewaele tente un nouveau coup de pub avec une « marche contre la peur », mais la forte présence du FN roubaisien, seul parti politique à soutenir « l'initiative » parmi les 130 péquins qui se sont déplacés, fait tâche. D'autant plus que Dewaele finit son communiqué de presse en affirmant que « tout étranger qui sollicite la nationalité française doit adhérer [...] aux lois, mœurs, et coutumes du pays qui l'accueille »5... Pour celui qui défend que son association n'est pas d'extrême droite, la posture est dure à tenir.
 
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De l'association à l'entreprise
 
Dewaele se fait petit marchand de peur : sa SARL vend les systèmes d'alarmes à l'association des Chevaliers de Roubaix – qui, eux, les installent. Ainsi le premier adjoint au maire et député RPR, Michel Ghysel, a-t-il droit à une démonstration du système « bip-sauve », un gadget qui permet à des adhérents de l'association de prévenir les Chevaliers en cas d'agression. Mais la ficelle est un peu grosse : l'association est mise en liquidation judiciaire en 1993, et c'est en tant qu'entreprise de surveillance et de sécurité que les Chevaliers de Roubaix exerceront désormais.
Entre temps, le même Michel Ghysel présente Dewaele à Charles Pasqua – alors ministre de l'Intérieur – qui le fait participer à un « groupe de réflexion » sur les patrouilles de policiers en civil : les fameuses BAC, qui se feront une réputation sulfureuse sur Roubaix6.
Le gaillard continue son « militantisme », à travers la création d'une entreprise de sécurité privée : Ilaou. Dernièrement, il voulait avoir « la peau du mollard » avec une pétition pour « punir » les cracheurs. Initialement pressenti pour être le monsieur sécurité de la liste du nouveau maire, Guillaume Delbar, il est mort le 17 février dernier quelques jours avant le premier tour des municipales7. Aujourd'hui, Bernard Dewaele et ses Chevaliers sont au tombeau. Et c'est tant mieux.
 
Jacques Té
 
1. La Voix du Nord, 07/12/2013
2. Jouant sur l'article 73 du codé pénal qui autorise l'interpellation d'un individu ayant commis un crime ou un délit flagrant passible de peine de prison par un civil.
3. Émission « Mauvais genres », France Culture, 5/12/2003.
4. Une association d'aide à l'insertion tendance catho. Elle est aujourd'hui assez éloignée des idées nauséabondes de ses fondateurs.
5. Le Monde, 11/02/1986
6. La Voix du Nord, 07/12/2013
7. Nord Éclair, 03/03/2013