Ateliers Populaires d'Urbanisme : un toit c'est un droit !

apu couleursLes APU se mettent en mouvement. Une manifestation a eu lieu devant le conseil de la Métropole européenne lilloise (MEL) durant la signature du plan contre l'habitat indigne. Une autre est prévue pour la mi-juin devant le Conseil départemental pendant le vote des subventions.

Entrez au tribunal de grande instance, demandez le tribunal des loyers. Vous pénétrez dans une grande salle au sous-sol. Le juge assis au fond murmure dans son micro, vous n'entendez rien, la scène est seulement audible pour les quatre avocats présents, ceux de LMH, de Villogia, de Partenord et du PACT. De manière industrielle, les familles défilent, cris d'enfants et poussettes les suivent. Les avocats se penchent sur le « comptoir » du juge dans un climat de collusion. Rarement, les familles viennent accompagnées d'un avocat.

« Évidement, on incite tout le monde à aller voir ce genre de scènes trop souvent passées sous silence ». Voilà la phrase d'indignation sur laquelle pourrait entièrement reposer un engagement militant en faveur du mal logement. « Le pire c'est qu'aujourd'hui les bailleurs publics expulsent plus que le privé » déclame Gérard de l'Atelier Populaire d'Urbanisme (APU) du Vieux Lille. L'APU gère entre 5% et 10% des jugements sur les conflits autour du logement. Créés à la fin des années 70, les APU se fixent plusieurs missions : contrer les expulsions, lutter pour l'habitat salubre, résister aux abus des propriétaires.

Dans le domaine du logement comme dans celui du travail, même si des législations existent, l'avantage est rarement en faveur du locataire. Si dans la loi le contrat entre locataire et propriétaire doit être « équilibré », dans les faits, ce sont les proprios qui fixent le loyer et ajoutent de multiples contraintes. « Notre travail, c'est d'être des syndicalistes du logement » conclut Gérard. Depuis sa création en 1979, l'APU du Vieux-Lille a aidé plus de 10 000 familles.

Pas tous logés à la même enseigne

En 2014, l'APU Fives est né. Ce dernier fait clairement référence à celui du Vieux-Lille. « On assiste au même phénomène que dans le Vieux-Lille dans les années 70, après des années de construction d'infrastructures qui ont dégommé le quartier, comme la voie rapide urbaine ou le métro. La mairie s'occupe de nouveau du quartier et l'heure est à la « reconquête » comme ils disent » explique Antonio, salarié de l'APU Fives. Les mêmes actions que dans le Vieux-Lille se montent : accompagnement des familles, balades urbaines et édition du journal le Triton Libéré.

Le collectif s'est particulièrement illustré dans la lutte pour la sauvegarde de l’îlot pépinière, le dernier terrain agricole de Lille, deux hectares de verdure à deux pas de la gare Lille Europe promis au béton : « On a fait une opération portes ouvertes pendant la journée du patrimoine. Les habitants ont pu prendre conscience de l'absurdité du projet pensé depuis là-haut ». Entre un projet piloté par la SPL Euralille (donc la mairie) qui promeut l'urbanisation marchande et les petits propriétaires expulsables, les intérêts divergent. « Alors on ouvre notre gueule. D'autant plus qu'on fait le boulot sans les moyens ». En témoignent les financements publics pour l'association, rien de la mairie, rien du département, ni de la région. L'association se finance en quasi-totalité par des fonds privés (Fondation Abbé Pierre et Fondation de France). Tandis que la MEL daigne bien donner une enveloppe de 2000€.

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Pas logé, pas nourri, pas blanchi

Du coté de l'APU du Vieux-Lille, la situation est plus contrastée. Le Conseil régional subventionne l'association à hauteur de 30 000€ par an. Le Conseil départemental, quant à lui, attribue une enveloppe de 54 000€ par an. Le reste est financé par la Fondation Abbé Pierre et la Fondation de France. En 2016, la ligne « citoyenneté et éducation populaire » du Conseil régional dans laquelle figurait l'APU a disparu, plus aucune subvention. De son côté le Conseil départemental, après avoir baissé l'année dernière sa subvention, prévoit, cerise sur le gâteau, de contraindre les APU à gérer « l'insertion pour l'emploi ». Pour toucher une subvention hypothétique dont on ignore pour le moment le montant, l'APU du Vieux-Lille devrait signer 120 contrats « d'engagement réciproque » par an. En clair, les personnes employées des APU, spécialisées sur les questions de logement devraient soudainement faire le travail des référents RSA et Pôle Emploi. Les APU s'éloigneraient de leur mission première, laissant ainsi les bailleurs publics et privés, les propriétaires, le soin d'expulser sans obstacle les plus démunis.

« Pour nous, de toute façon, nous n'avons ni le temps ni la compétence pour faire du suivi personnalisé en matière d'emploi », nous indique Gérard de l'APU du Vieux Lille. Il poursuit : « avec la baisse drastique des subventions, on perd la moitié de nos salariés [un poste et demi sur trois] alors que la masse de travail ne diminue pas ». Dans cette situation où aucune institution ne finance plus rien, les collectivités se refilent la patate chaude. Avec la réforme territoriale, l'État délègue aux départements qui n'ont pas la puissance financière adéquate. Selon le financeur, les institutions se renvoient entre elles les publics. Les logiques comptables dominent les politiques publiques comme l'indique Gérard : « Les gens sont des pions, ce n'est pas l'intérêt collectif qui guide les politiques ».

Il arrive des situations totalement injustes. Gérard de l'APU Vieux Lille nous offre une anecdote au goût amer, l'exemple d'une famille qui dépose un DALO1 et qui n'a pas donné les documents nécessaires. En cause, « ils se sont trompés d'adresse dans les courriers, ni le nom, ni la rue, ni le numéro étaient bons ». Qu'importe, la commission est aveugle, elle rejette le recours de la famille. « C'est trop tard », point final.

Final ? Pas si sûr, les APU font le boulot que les services sociaux ne peuvent plus faire. « On est un peu la dernière roue du carrosse, on récupère souvent les cas désespérés que nous renvoient les CCAS, les UTPAS, la CAF ou la Préfecture »2. Là où les bailleurs publics expulseurs sont souvent en tort, les moyens déployés sont inégaux pour faire vivre nos droits. « Il ne suffit pas que le droit existe pour qu'il soit appliqué. L'information nécessite des relais sur le terrain pour circuler ». Une des missions toute particulière des APU.

Gérard reste intransigeant : « On a été reçu par l'assistant d'Olivier Henno, conseiller départemental. Ce monsieur, Rudy Deleplace, nous a dit qu'il fallait remplir une demande de financement ''insertion'', c'est comme ça ! On a donc fait le dossier comme d'habitude et sans parler d'insertion. Même si la subvention est votée, on fera notre boulot, c'est à dire lutter contre l'habitat indigne et les expulsions ». Les APU ne comptent pas se laisser faire.

Dépêchons-nous, il y a péril en la demeure, un toit c'est un droit.

 

Harry Cover, Panda Bear

 

1. Droit Au Logement Opposable : le DALO est une voie de recours possible lorsqu'aucun logement n'est proposé. Le plaignant saisit une commission en vue de faire valoir son droit à un toit.

2. CCAS (Centre communal d'action sociale), UTPAS (Unité territoriale de prévention et d'action sociale), CAF (Caisse d'allocations familiales).

Dessin non signé issu du dossier Municipales, Le Clampin Libéré, février 1977.