Jeudi 12 mai à Lille : le virage autoritaire

12mai 2Après plus de deux mois de mobilisations contre la loi Travail, le gouvernement décide de sortir l'artillerie lourde au Parlement… et dans la rue. Au Parlement, la clique hollandienne sort le 49-3, petit bijou anti-démocratique, qui fait taire le Parlement et permet une adoption du texte sans vote. Dans la rue, c'est à grands coups de lacrymo et de grenades de désencerclement que le gouvernement a décidé d'en finir avec le mouvement social contre la loi El Khomri.

 

Ce 12 mai, à Lille, si la manifestation n'a pas fait le plein, réunissant un cortège moins nombreux que les précédentes manifestations de mars et avril, les syndicats et les partis de gauche sont toujours là. Les étudiant.es et militant.es sont encore là, bien que la mobilisation chez les salarié.es s'est faite rare.

Le cortège suit l'itinéraire traditionnel, de la porte de Paris à la place de la République en passant par les rues de Paris et Kennedy, la gare et la rue Nationale. Rue Faidherbe, le ravalement de façade de l'Apple Store à grand renfort de bombes de peinture suit son cour. Étonnement, l'habituelle police du capital ne défend pas la multinationale américaine, la présence policière est manifestement peu visible. Quelques manifestant.es taquinent les vitrines de la Banque Populaire, du Crédit Agricole, du Printemps à coups de marteaux, pas de quoi les faire exploser.

Violence d'État rue Nationale

C'est que la maréchaussée l'a joué façon guet-apens. Rue Nationale, au niveau de la banque HSBC, un cordon de CRS surgit du square Dutilleul et coupe le cortège en deux, entre la CGT et le bloc autonome et étudiant.es. Sans sommation, ils tirent en cloche des grenades lacrymogènes. La foule, en panique, se met à courir. Des policiers, en uniforme comme en civil, procèdent, au hasard, à quelques matraquages en règle. Les gaz lacrymogènes envahissent les rues Nationale et de l'Hôpital militaire, la charge des CRS s'arrête pile au niveau du camion de SUD-Solidaires. Pour quelques vitrines étoilées ou parce qu'il est temps de marquer le coup de l'arrivée du nouveau préfet Michel Lalande, la répression s'abat sur des manifestant.es peu habitué.es à une telle déferlante de violences policières.

C'était sans compter sur l'unité de la mobilisation. Les syndicats sont restés solidaires en rebroussant chemin pour défendre le deuxième peloton de manifestant.e.s séparé par une rangée d'une soixante d'indésirables casqués et bottés. CGT et SUD tiennent bon, pas question d'abandonner et de laisser les étudiant.es ni les autonomes.

De part et d'autre du cordon de CRS, les discussions sont entamées pour réunir les deux partie du cortège et reprendre ensemble la manifestation. Face à la tension, des dizaines de personnes tentent la méthode non-violente en s'asseyant par terre, d'autres lèvent les mains. C'est sans compter la soif des bleus d'en découdre. Soudainement, des grenades de désencerclement sont balancées1. Plusieurs explosions blessent les personnes assises au thorax ou aux jambes. Les tirs de flashballs fusent. L'un d'entre eux atteint une femme assise sur un banc. Dommage collatéral d'une frappe chirurgicale ? Elle finira à l'hôpital. Les bruits courent que certain.es manifestant.es à terre ont été visé.es à bout portant. Une bonne partie du cortège n'a désormais comme seule stratégie, la fuite. Certain.es caché.es dans le renfoncement des portes de la rue Nationale, sont pris au piège et gazé.es. Une fois n'est pas coutume, des commerçants ouvrent leurs portes aux blessé.es.

 

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Les motifs d'arrestation sont des plus abjects. Un camarade, retranché derrière la ligne d'affrontement, demande aux CRS les raisons pour lesquels ils mettent tant d'ardeur à défendre la vitrine de la banque HSBC connue pour son blanchiment d'argent. Il est menotté illico et embarqué comme deux autres. Ça continue à matraquer à l'aveugle. Les hématomes qui bleuissent le corps des victimes en témoignent. Ceci n'est pas une scène de guérilla urbaine, c'est une manifestation déclarée en préfecture. Et puis, comme passe le déluge, les CRS se retirent tout à coup laissant la manifestation reprendre son parcours. Arrivée place de la République, c'est la consternation chez les manifestant.es. Les plus aguerri.es hallucinent, certainement la répression policière la plus violente depuis plusieurs dizaines d'années à Lille.

 

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Convergence des luttes… au commissariat central

La scène se poursuit. Un café sert d'hôpital de campagne. On nettoie les plaies de flashball, on retire des bouts de plastique de plaies ouvertes. La couleur du sang ravive la colère des manifestant.es. C'est la rage au cœur que cinq cent personnes s'engagent direction le commissariat de police de Lille Sud pour faire libérer les trois camarades. La violence d'État forge la convergence des luttes  : syndicalistes de Sud-Solidaires, de la CGT, étudiant.es et passant.es prennent le chemin du comico.

Le dispositif policier qui nous attend est impressionnant. D'une centaine de CRS et de BACeux, on passe vite à deux cents… Une véritable armée mexicaine bloque le pont depuis le rond point des postes jusqu'au central de police. Il reste une seule issue, rue du Faubourg des postes vers Lille-Sud/CHR. Après une vingtaine de minutes, la situation se détend. Tout le monde a en mémoire l'ambiance bonne enfant de la dernière manifestation devant le QG des condés qui s'était terminée… en barbecue2. Un type qui distribue du sérum physiologique s'entend même dire « T'inquiètes pas, ils ne vont pas gazer ici ». Le camion de Sud diffuse de la musique, et même que ça danse. Au micro, on demande la libération des camarades tout en précisant qu'il s'agit d'un rassemblement pacifique. Les manifestant.es forment une chaîne humaine.

 

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Pourtant, il a suffi… d'un jet d'une pomme de terre pour que se déchaîne la violence des keufs. Nouveau déferlement de grenades lacrymo et de désencerclement sur les manifestant.es les yeux encore rougis de la manifestation. La panique revient, chacun.e tentant de fuir, les habitant.es du quartier aussi. Une partie du cortège ralentit la progression des keufs en jetant sur la route tout ce qui est trouvé à proximité. Un tas de poubelles est enflammé. Lille-Sud a des airs de Paris sous la Commune. Quelques habitant.es aident les gens à se cacher, donnent des bouteilles d'eau. On indique aux véhicules s'engageant dans la rue de prendre une autre route, aux habitant.es à leurs fenêtres de se calfeutrer. Des jeunes du quartier en vélo font des allers-retours pour indiquer d'où viennent les condés dans les rues adjacentes. La confrontation dure une bonne heure. La dernière des cinq charges des CRS disperse ce qui reste du cortège. Une vingtaine de camarades est arrêtée, le bilan est lourd. Si France 3 n'a vu que deux policiers blessés3, ce sont des dizaines de manifestant.es ensanglanté.es que nous avons dénombré.es.

Le gouvernement socialiste a donc décidé que la réforme néolibérale du code de travail et l'arrivée de l'Euro de football justifiaient de verser le sang partout en France. Le matraquage du mouvement social nous rappelle certaines heures sombres de la cinquième république. Mais c'est en martyrisant indistinctement nos corps qu'ils forgent notre mémoire collective des luttes.

Rendez-vous mardi prochain !

 

1. Le ministère de l'intérieur proscrit formellement cet usage en cloche risquant de blesser les manifestant.es au visage 

2. Les deux du local CNT face au tribunal des flagrants délires