Le Clampin Libéré, déterré !

libere1Retour 30 ans en arrière. Mensuel de contre-information dans la région, le Clampin s’attaque pendant quatre ans aux pouvoirs politiques et économiques locaux. Et les archives qu’on a pu se procurer valent le détour... Petit historique et morceaux choisis.

A ses débuts, en 1973, le Clampin est un journal étudiant. Il sort ensuite de l’enceinte de l’école pour devenir Le Clampin Libéré, un journal local de contre-information dans le Nord-Pas-de-Calais. Le noyau dur de cinq à six personnes veut donner une info «  au service des sans-voix, des sans pouvoir : il s’agit de résister (...) à tous ceux, technocrates, élus, petits chefs, patrons, militaires, qui décident pour les autres... et à toutes les hiérarchies, les conformismes bêlants, les valeurs soit-disant sacrées, les tabous. Elle sera au service des gens qui bougent, qui s’ organisent entre eux, qui luttent pour avoir un contrôle sur leur vie. » (1)

Au programme : les luttes anti-nucléaire et écolo, les magouilles financières, les promoteurs immobiliers, la psychiatrie, le chômage, les « marginaux », les usines en grêve et bien d’autres. Mais aussi des poèmes, des tribunes, des BD, l’agenda, des dizaines de brèves, des chroniques littéraires, etc. L’ambition de l’équipe est d’en faire un journal qui tient la route, avec une belle maquette et de nombreux dessins et illustrations, afin de le «  transformer en véritable outil de travail qui leur permettrait de vivre, sans se prostituer dans la presse pourrie » (2). Le mensuel a un ton résolumment satirique, pour transmettre « une information vivante, drôle, indignée » et insiste sur le fait qu’ils ne sont pas des « pros », en invitant les lecteurs à participer : le Clampin lançait régulièrement des appels à des « informateurs » partout dans la région.

Les engueulades sont régulières, mais le canard tient bon. A la rentrée 1976, l’équipe décide de faire un journal "pro", et trois demi-permanents" sont payés 500 francs le mois. Le journal tire entre 5 000 et 7 000 exemplaires. Après trois ans de mensuel, l’équipe décide de passer en hebdo, afin de "devenir une alternative à la grande presse" et d’influer plus directement dans la vie de la métropole. C’est chose faite en octobre 1977. Le lancement de l’hebdomadaire local se fait avec 10 000 francs, "trois jounalistes de formation, un ex-sabotier, un ingénieur, un lycéen et un chômeur ». Mais trop peu nombreux pour sortir un journal par semaine, l’équipe s’épuise et le Clampin met la clef sous la porte en décembre. Au total, c’est 70 personnes qui auront collaboré au Clampin durant un temps variable. Par son nombre d’exemplaires, il était un des gros titres de la presse alternative de l’époque, plutôt appelée alors « presse de contre-information ».

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Extraits :

« Nous guerroyions à coups de ronéo précambrienene, décochant mensuellement des bordées d’articles frondeurs contre notables gras double, technocrtaes empesés, chats fourrés en pelisse de vermine, soutanes moisies, képis bas et autre gradaille. ». Le Clampin exhumé, numéro spécial réalisé 10 ans après la mort du Clampin (1987).

N° spécial du deuxième tour des municipales de 1977 : à côté d’une tribune expliquant pourquoi il fallait se reporter sur Mauroy au deuxième tour, « sans illusion sur le prétendu socialisme qu’il affiche », mais car « ce serait un bon coup dans les gencives de ces salauds de capitalistes », on trouvait une tribune qui expliquait le choix inverse : « Alors comme ça, au premier tour on gueule comme des putois contre cette gauche de bazar, cette gauche en simili et en toc, on la traîne dans la merde, on la conchie, on la compisse, on la dégueule, et au deuxième tour on se râcle la gorge avec un air gêné, on toussote, on joint les doigts avec componction et on graillonne ahem ahem, faudrait quand-même être sérieux, hé hé, hein pas de blagues, guiliguili, bon évidemment c’est pas la joie mais on va votailler pour Mauroy (...) Dimanche prochain, restez au plumard et regardez-les s’agiter, vous verrez, c’est tordant ».

«  Ils sont partout » : « Depuis quel ques semaines, on ne peut plus faire trois pas à Lille sans se heurter à un CRS... Nous devons cela à ce cher Ponia [ -towski, ministre de l’intérieur d’alors] qui organise cette opération à Lille, Lyon et Bordeaux. Il s’agit de « sécuriser les français – en fait de les habituer à l’omniprésence de la répression...décidemment, le fascisme est au coin de la rue.(...) » Mensuel n° 14 (1975)

«  Il ne veut surtout pas avoir l’air d’un rigolo échevelé utopiste cradingue irresponsable anti-progrès. Il y arrive très bien, on le prendrait presque pour un décideur de droite, un battant. C’est très réussi, comme imitation. Mais en fait il est socialiste. Qui l’eût cru ? »

Interview de Jean-Luc Porquet, ancien du Clampin et aujourd’hui au Canard enchaîné

Comment est né le Clampin, quelle était le projet initial ?

Début 70, j’étais à l’ICAM (arts et métiers). On a décidé de faire un petit journal interne, qui s’appelait déjà le Clampin, avec trois copains. Après 2-3 numéros pas terrible, je me suis tiré pour faire l’école de journalisme. On a commencé à faire sortir le Clampin de l’école à 4 ou 5, avec notamment Phil Casoar, Philippe Robinet et moi. Nous, à l’école, on passe plus notre temps à faire le journal qu’à suivre les cours. Pendant les deux années d’école (73-74), le journal agrégeait aussi bien des étudiants que des gens venus de l’extérieur. C’était en 73-74. On sympathisait plus avec les écolos, on était proches du milieu écolo-anar-libertaire-squatteur, etc. On était très ouvert, on multipliaient les appels au peuple pour recruter, sans grands résultat. Il y a toujours eu un noyau de cinq-six personnes. Phil, qui est un excellent dessinateur, a tenu à ce qu’on ait une présentation nickel : dans un journal, la forme est essentielle, ça doit être agréable à lire. Dommage, par exemple, qu’aujourd’hui CQFD (1) exige pas mal d’efforts pour rentrer dedans. Les illustrations sont pas mal, les dessins de Rémi sont formidables, mais la mise en page reste un peu rude : ce rouge et ce noir permanent... Ca fait vachement journal de combat, on ne rigole pas. Nous on avait l’idée que dans un canard, faut se marrer, ne pas donner l’impression d’un journal uniquement militant, de combat, de lutte, etc. Faut qu’il y ait un peu d’invention, de poésie, de poilade...

Et vous insistez alors sur l’importance d’une presse locale de contre-information.

C’était dans la dynamique de l’après 68, plein de gens en avait marre de la presse telle qu’elle était, telle qu’elle est toujours d’ailleurs, et tentaient d’inventer autre chose. Il y avait La Criée à Marseille, Le Casse-Noisette à Grenoble, Klapperstei à Mulhouse, etc. On était en contact avec tous ces canards, on en recevait des dizaines. Il y avait cette envie de créer ce qu’à l’époque on appelait de la contre-information en face de l’information propagande. J’ai vraiment cru que ça marcherait, je pensais qu’on installerait une autre presse en face de la presse type Voix du Nord (VDN).

Et une fois l’école de journalisme terminée ?

Quand on est sorti, on s’est dit : on va vraiment essayer de faire un journal pro et on va essayer d’en vivre. Et on a réussi notre coup, quelque part, car on en vivait. On vivait de pas grand chose, avec des petits boulots d’imprimerie pour arrondir les fins de mois. On devait tirer vers 5000 exemplaires et on en vendait entre 3000 et 4000. Il y avait un gars qui partait avec sa 2 CV et qui faisait la tournée des dépôts. Au début, c’était très Lille-Roubaix-Tourcoing. Après on a voulu que ce soit vraiment le mensuel du Nord-Pas-de-Calais  : le gars partait faire sa tournée à Lens, Dunkerque, etc.

Mais comment ça s’est terminé ?

L’hebdo, ca nous a nettoyé en six semaines  ! L’hebdo c’est terible, on était pas plus nombreux que pour le mensuel, et on s’est aperçu qu’on avait pas du tout mesuré la charge de travail. On a été liquidés, épuisés, sur les genoux, on s’est dit que c’était foutu... ça a été radical.

A quoi ressemblait le lectorat du Clampin ?

C’était d’abord les étudiants, et tout le milieu de l’époque, plus ou moins alternatif, zonard, critique, différent, écolo, militant, etc. Puis ça débordait sur le tout venant, les profs ou je ne sais trop qui : on a jamais fait d’étude de marché  ! On ne connaît jamais l’effet d’un journal : on fait sortir telle ou telle info, elle prend des circuits bizarres, elle influe aussi bien sur les politiques, sur des gens qui décident de militer, etc.

Les enquêtes du Clampin qui vous ont marquées ?

Dès le début, il y a eu le «  Diplodocus  » (2), contre lequel on s’est battu. Et je crois que c’est en parti grâce à nous qu’ils l’ont rebaptisé Le Nouveau siècle... ce qui est encore plus nul. On a montré coment Mauroy et la gauche avaient laissé faire, si ce n’est été complice de cette opération immobilière. De la pure spéculation, comme d’habitude. Donc ça a plutôt emmerdé la mairie. Ils ont un peu diminué la taille du bâtiment, à l’origine ils prévoyaient 60 ou 80 mètres de hauteur.

Après, c’est le procès Muffragi, un directeur du CHR qui nous attaquait en diffamation : on l’avait accusé de magouilles. Même le trésorier du CHR était venu témoigner pour nous. Et René Rodrigo, un journaliste de la VDN, chroniqueur judiciaire, avait eu le courage formidable de venir aussi témoigner pour nous. A la barre, il tremblait, mais tenait bon : la VDN, c’était comme maintenant, complètement muré, bouclé, sous contrôle. On a aussi dénoncé plusieurs opérations immobilières de Wazemmes, du Vieux-Lille. Est-ce que ça a eu un impact ? Maintenant quand je reviens à lille, je me dis  : même dans nos pires cauchemars, on aurait pas imaginé ça  ! A l’époque, le Vieux-Lille, c’était bourré de prolos, d’immigrés, d’épiceries, il y avait une vraie vie de quartier. Nous on squattait plus ou moins un truc rue d’Angleterre. C’était laissé à l’abandon, mais il y aurait eu moyen de réhabiliter tout ça en laissant le populo sur place. Ils l’ont viré.

Il y a eu aussi le numéro sur le procès de la VDN. A l’époque, on était fasciné par l’équipe de Charlie et Libération, c’était les deux modèles. On était allés voir Cabu, pour ce Clampin sur la VDN. Il nous avait fait la couverture et nous avait accueillis Phil et moi dans la rédaction de Charlie hebdo. On avait 22 ans et on assitait au bouclage mythique de toute l’équipe, Reiser, Choron, Cavanna, etc.

Des critiques ou des pressions envers le Clampin ?

Comme on était très critique vis-à-vis de Mauroy, il y avait sans arrêt cette espèce de rumeur idiote qui disait  : «  ouais, le Clampin ils roulent pour la droite  ». C’était les militants socialos qui faisaient courir cette idiotie. Ils n’arrivaient pas à imaginer qu’on pouvait être de gauche et critiquer le PS au pouvoir, ils ne pouvaient pas comprendre. Pour les municipales, on avait appelé à voter Radanne, qui était le chef de parti des Verts, tout en disant  : « vous pouvez voter pour lui, mais en même temps vous pouvez aussi aller à la pêche  ». On était considérés comme des espèces d’irresponsables faisant le jeu de la droite.

Au Clampin, vous qualifiez le contenu de la Voix du Nord, comme «  une bouillie prédigérée en guise d’info  ». Que dire aujourd’hui ?

Quand je regarde la VDN, j’ai l’impression que c’est encore pire qu’avant. La Voix des années 70, c’était une catastrophe. Mais j’ai tendance à la voir avec une sorte d’oeil attendri, quand je compare à ce que c’est maintenant. En plus, avec le format tabloïd on a l’impression que la médiocrité ressort encore plus, que c’est un gratuit, avec juste des photos de rangs d’oignon, de joueurs de basket, de mémés du coin. La vacuité saute aux yeux ! C’est hallucinant, parce que depuis j’ai quand même zoné un petit peu, j’ai vu quelques journaux régionaux. Je bossais à Ouest-France, et c’est quand même un journal qui se tient à peu près. Quand on voit la VDN en comparaison, c’est lamentable, ils sont encore pire qu’il y a trente ans. Que le seul quotidien disponible, dans une région aussi peuplée, avec une telle richesse de gens soit aussi nul, c’est quand même un mystère. Pourquoi rien n’a émergé en face, pourquoi cette médiocrité est à ce point triomphante ?

Que sont devenu les gens qui faisaient le Clampin  ?

Les itinéraires sont assez curieux. Phil est resté un espèce de marginal flamboyant, qui après avoir bossé à Actuel jusqu’en 1984 s’est lancé dans l’écriture d’un bouquin sur la Guerre d’Espagne, et il n’a toujours pas fini ! Il a une rubrique à Fluide glacial et vient de sortir un livre d’enquête historique, Les héros de Budapest. Philippe Robinet est ingénieur dans le nucléaire. Le sabotier est devenu assistant parlementaire d’une députée communiste. Sa femme a fait l’ENA . Le joyeux trotskiste qui avait essayé de nous infiltrer et avait piqué une crise « vous êtes tous des cons, des petits bourgeois, cathos, étudiants, idiots », et du coup avait lancé Le Cri du Nord, s’est recyclé dans un journal sur le Macintosh, l’informatique. Il est mort il y a dix ans. Le dessinateur Cenvint, qu’on surnommait « le gamin », s’est pendu en octobre dernier. Pierre Dubois a inventé son propre métier, il est devenu « elficologue », spécialiste des elfes. Parmi les épisodiques, l’un est à RFI, l’autre à l’AFP, l’autre à TF1. Je suis le seul à être resté dans la presse satirique… disons dans une institution satirique !

(1) Le CQFD (Ce qu’il faut dire, développer, détruire) est un mensuel national basé à Marseille. Il a été fondé par des chômeurs, des journalistes, et tire autour de 10 000 exemplaires. (2) Le « Nouveau siècle » devait s’appelait «  le Diplodocus  » à l’origine. La Clampin s’est battu contre cette construction qui rasait un vieux quartier.

S.G