Fin des années 1990... Corruption à lille

corruptionLes « affaires » tombent vite dans l’oubli. Elles traînent quelques jours, quelques semaines, on s’arrange en coulisses, les journalistes regardent ailleurs... Et la vie « démocratique » reprend son cours : les notables et les élus sont propres et dévoués au peuple. Demandez donc à votre entourage s’il se souvient de l’affaire de « Roger la banane ».

 

Au centre des combines, Roger Dupré (1). Son bar en face du tribunal de Lille sert aux arrangements entre amis, dans les années 90. Promoteurs, hommes d’affaires, hauts responsables policiers, magistrats, fonctionnaires de la mairie ou du fisc : toutes les fonctions sont réunies pour truander à tout va sur la métropole. Étonnamment, à une ou deux exceptions près, ils sont tous francs-maçons...

Par miracle, ces messieurs seront quelque peu inquiétés à partir de fin 1998. C’est d’abord Dupré, mis en examen pour escroquerie bancaire. Puis c’est le numéro deux de la mairie, alors dirigée par Mauroy et Aubry, qui est mis en préventive pour corruption et trafic d’influence : Bernard Flotin (2) débloquait des dossiers immobiliers en mairie pour ses amis promoteurs, contre des liasses de billets qui lui parvenaient à son bureau du beffroi, pour un total variant entre 200 000 et 500 000 francs. En garde à vue, il affirme que ces sommes sont remises à un haut responsable socialiste lillois, Bernard Roman. Quelques jours plus tard, il se rétracte. Le baron du PS est mis hors de cause.

La mafia du Vieux-Lille

C’est ensuite au tour de Benoît Wargniez, ancien doyen des juges d’instruction de Lille pendant vingt ans puis conseiller à la cour d’appel de Douai à partir de 1996. Il est poursuivi pour avoir arrangé les affaires judiciaires des potes de Dupré contre 120 000 francs et un appartement à Courchevel.

Passons du côté du fisc de Lille, où Alain Gravelines, agent du Trésor, est mis en cause pour escroquerie puisqu’il met ses compétences au service de la même bande. Il ne manquait plus que les flics : Lucien Aimé Blanc, ancien patron du SRPJ de Lille, et son successeur, Claude Brillault, sont « entendus » pour leurs aides diverses et variées envers le réseau mafieux.

Il ne faudrait pas oublier la longue liste des « hommes d’affaires », mouillant dans ces affaires d’escroquerie, fraudes et autres détournements, tels Marc Cattelain ou Gaetano Schiliro. Ainsi, lors d’un déjeuner à l’Huitrière à Lille en 1998, on retrouve autour de la même table Aimée-Blanc, Flotin, Brillault, le conseiller général RPR Luc Monnet, le député européen UDF Francis Decourrières, l’entrepreneur Calogero Seminerio ou le directeur financier d’une importante entreprise lilloise, Bernard Boutoille.

Justice de crasse

Ces quelques affaires sont sorties malgré un acharnement des hautes autorités judiciaires et policières pour les étouffer. Ainsi, le procureur adjoint Alain Lallemand sera muté aux affaires civiles après s’être emporté en audience en désignant « un certain immobilier lillois où le truand côtoie le fonctionnaire, l’entrepreneur, le policier, voire le magistrat ». Le Syndicat de la magistrature peste alors contre ce « changement d’attributions d’un magistrat coupable de s’être interrogé sur des complicités au sein du SRPJ ».

Puis une jeune commissaire chargée d’enquêter sur la nébuleuse Dupré, Sybille Chézière, est brutalement affectée à Limoges. Sa supérieure, Paule-Hélène Girard, chef de la section financière du SRPJ, sera également écartée après avoir mis en cause Claude Brillault. Bien sûr, elle doit se rétracter par la suite. Rebelote avec Samuel Lainé, substitut du procureur sur l’affaire Flotin, déchargé subitement de cette affaire. À l’inverse, Claude Brillault obtient la promotion qu’il souhaitait : directeur adjoint de la police scientifique à Lyon...

Épilogue sans surprise

Une fois le ménage réalisé, autant vous dire que la justice a pu faire son travail habituel : peines minimales, relaxes et arrêts des poursuites le cas échéant. Ainsi, dans l’affaire de corruption liant Dupré et le juge Wargniez, c’est la relaxe pour le premier, six mois avec sursis (et amnistiables, faut pas déconner) pour le second.

Dans l’affaire immobilière de Lille-Sud, Flotin est mort de maladie, l’entrepreneur Kollman a « été retrouvé mort chez lui », le promoteur Cattelain a pris la fuite avant d’être repris, et un architecte de la mairie, Xavier Deyrieux, a vu sa peine réduite en appel à dix-huit mois avec sursis et six mois fermes pour corruption. Lors de l’audience, il reçut un témoignage en sa faveur de la part d’Alain Cacheux, adjoint à l’urbanisme de la mairie de Lille.

Reste ici à savoir si ces arrangements et ces combines entre la « justice républicaine », les « forces de l’ordre », les administrations et les patrons sont la norme ou l’exception...

1 : Il doit son surnom à sa coiffure ridicule.

2 : Secrétaire général adjoint de la mairie de Lille pendant vingt ans.