Liberté Hebdo, l’indépendant ?

Chaque vendredi, à sa façon, l’hebdomadaire communiste fait de la résistance. Face au monopole du Groupe Voix du Nord, il apporte une certaine bouffée d’oxygène dans les kiosques du département. Liberté Hebdo a pris la relève de Liberté, l’ancien quotidien du PCF, et se revendique comme indépendant du parti...

« Continuer à avoir un journal du mouvement social, qui donne une voix à ceux qui luttent, aux salariés, aux sans-papiers, etc. Un journal engagé clairement à gauche, avec des journalistes qui pour certains étaient engagés au PCF ». Tel est le « projet de base », selon Bruno Cadez, l’actuel rédac’ chef, qui a motivé le lancement de Liberté Hebdo à l’automne 1992, après la mort de Liberté l’été précédent. Ce dernier existait alors depuis septembre 1944, et succédait au Prolétaire, interdit par le gouvernement en 1923 et à L’Enchaîné du Nord-Pas de Calais, qui paraissait clandestinement sous l’Occupation.

En 1945, la faucille et le marteau

Lors de la Libération, chaque courant de la Résistance reçoit les autorisations pour imprimer son quotidien. Si La Voix du Nord, Nord Éclair et Nord Matin reprennent le personnel des journaux parus sous l’Occupation, le PCF doit former des militant-es communistes sur le tas pour sortir son quotidien. À l’époque, Liberté a ses bureaux sur la Grand-Place, dans le même immeuble que La Voix. La faucille et le marteau trônent sur la façade - comme en « une » du journal. Le quotidien tire à 50 000 exemplaires et comptera jusqu’à 18 éditions locales.

Le journal subit la censure gouvernementale et les perquisitions de la police, comme en 1950 pendant la guerre d’Indochine, ou en 1962, le lendemain de la manifestation contre la guerre d’Algérie où neuf personnes tombèrent sous les balles de la police parisienne [1]. L’OAS y mettra du sien également, en posant une bombe qui soufflera l’entrée de Liberté rue d’Inkermann. Mais le quotidien continue d’informer la région : les grèves de 1948 dans le bassin minier [2], la grève des mineurs de 1963... et la montée du chômage, dans les années 70. Liberté titre alors : « Au procès du grand capital et de la politique du pouvoir, 1.400.000 témoins accusateurs », en référence au nombre de chômeurs ce 11 janvier 1976. On pourrait évidemment en dire bien plus sur ces 45 années de parution. Du bon... et du moins bon, puisque le quotidien demeure l’organe du PCF : de mai 68 aux renoncements de la gauche au pouvoir dans les années 80, on aurait à coup sûr quelques critiques à émettre...

5000 abonné-es pour repartir

Par la suite, suivant la baisse de régime du parti en nombre de voix comme en nombre de militant-es, le quotidien a de plus en plus de mal à tenir... Le dernier Liberté titre : « Ce n’est qu’un au revoir ». En effet, la fédération PCF du Nord veut relancer une publication. Ce sera un hebdo, avec d’anciens journalistes de Liberté, mais sans être directement le journal du parti. 5000 abonné-es répondent alors présents pour lancer le titre. Des grèves de 95 à celles des années 2000, Liberté Hebdo continue de faire bonne place aux luttes sociales dans la région, comme à l’actualité politique, culturelle et associative. Lors des quinze ans du titre, l’ancien rédac’ chef, Jean-Louis Bouzin, n’en démord pas : « Il y a de la place pour un hebdomadaire communiste. De plus en plus de gens sont insatisfaits par une presse régionale toujours plus encline à faire le jeu de la droite et du patronat. » [3]

Avec près de 5700 abonné-es et un tirage avoisinant les 8000 exemplaires, Liberté Hebdo continue aujourd’hui de sortir chaque vendredi matin. S’il s’affirme indépendant du PCF et si deux journalistes sur cinq ne sont pas adhérents au parti, le journal est y toujours très lié et fait campagne pour ce dernier lors des élections.

Autonomie et proximité...

D’après Ludovic Finez, dernier arrivé, « Liberté se revendique comme un journal communiste, mais c’est important de voir que ce n’est pas le journal de la fédé. Des élus communistes ont le statut d’associés dans la société éditrice, mais la conférence de rédaction se fait entre journalistes. Le message communiste, on a envie de le porter parce qu’on y croit de toute façon ». Pour Bruno Cadez, « on ne souhaite pas être le porte-plume du parti communiste et de ses élus... ni mettre nécessairement des bâtons dans les roues aux élus et militants qui se battent au quotidien pour les droits des gens, sur l’action sociale, etc. » Ainsi sur la question du grand stade : « Dans la rédaction, il y a des avis différents. On a relayé à la fois les initiatives des gens qui étaient contre, et on a interviewé Michelle Demessine [élue PCF à LMCU qui porte le projet] pour défendre son point de vue ». Mais ce n’est pas toujours le cas sur d’autres dossiers, du nouveau casino Barrière à Lille 3000...

Il faut aussi noter que le journal est financièrement autonome, il ne reçoit aucun soutien financier direct du PCF. Cependant, le parti apporte une aide non-négligeable en matière de diffusion, avec quelques centaines d’exemplaires achetés par les sections du PC chaque semaine, pour être ensuite revendus par les militant-es sur les marchés ou lors de différentes manifestations [4].

Bruno ajoute que le recrutement des journalistes ne dépend pas de leur adhésion au PCF : « On fait appel à des pigistes qui ne sont pas au PCF pour la plupart. C’est d’abord la compétence de la personne qui est importante, avec bien sûr une sensibilité pour le mouvement social ». Ainsi, un jeune journaliste carté à la LCR a travaillé quelque temps dans l’hebdo : « C’est vrai qu’il y a eu débat dans la rédaction, d’autant qu’il a été candidat LCR aux régionales tout en étant à Liberté... J’avoue qu’on a eu des suggestions fortes de responsables communistes pour dire, en gros, qu’il ne fallait plus qu’il bosse au journal. Finalement, on s’est rendu compte que l’engagement de quelqu’un dans une autre organisation n’était pas forcément un obstacle, sauf si le gars devient un frein, qu’il combat la rédaction ».

La CGT, mais pas seulement ?

Sur la proximité avec la CGT, Ludovic s’explique : « Évidemment la CGT sera plus présente dans nos pages, mais à la limite c’est presque évident car la CGT fait par exemple 34 % aux dernières prudhommales, et c’est souvent eux qui sont en tête des mouvements sociaux ». En tête des cortèges on le concède, pour le reste, voilà un beau sujet de débat... Reste qu’il insiste sur le fait que « les pages sociales sont ouvertes aux autres syndicats, c’est important, ça doit transparaître dans nos pages ».

Liberté a ainsi relayé dans ses pages les assemblées de « l’espace de convergence intersyndicale » [5] qui se sont tenues en fin de manifestation à Lille les 29 janvier et 19 mars, une assemblée de métallos CGT à Lieu-Saint-Amand ou encore la manifestation du 19 février à Valenciennes : toutes à l’initiative de SUD et des sections CGT de la région sur une position « lutte des classes », en opposition à la direction nationale.

Quant à la mollesse des centrales syndicales, organisant des journées test de mobilisation toutes les six semaines, il concède : « On a relayé certaines critiques, mais on n’a pas été très violents là-dessus... » Mais sur l’équilibre entre l’unité syndicale et les compromis qui en découlent, Bruno précise : « On ne souhaite pas se poser en donneur de leçon du mouvement social ».

Finalement, malgré la lecture évidemment critique que nous faisons de Liberté Hebdo, il n’en reste pas moins l’une des dernières publications de la région à faire entendre la parole des gens qui luttent au quotidien. Allez donc y jeter un oeil...

Interview réalisée fin mars 2009.

Notes

[1La première fois pour saisir une affiche de Liberté contre la guerre coloniale, la deuxième fois pour saisir les exemplaires du journal.

[2Treize ouvriers tués, 1200 condamnations à des peines de prison ferme.

[3« Une autre voix dans le Nord », L’Humanité, 30/11/07.

[4En plus des 5600 abonnements, Liberté Hebdo compte environ 300 ventes en kiosque, et de 400 à 900 exemplaires achetés et diffusés par le PCF du Nord. Également, une ou deux fois l’an, Liberté sort un numéro spécial en partenariat avec le PCF : le tirage est alors porté à 10 ou 12 000, les sections locales du PCF en commandent 2 ou 3000, les vendent (au porte à porte, sur les marchés…) et les ventes supplémentaires sont reversées en soutien, comme dernièrement au Secours Populaire pour des projets en Palestine.

[5Aucun autre journaliste n’avait fait le déplacement...