Accès à l’IVG : le "droit" de se battre

210 000 femmes avortent chaque année   (1),40 % y auront recours dans leur vie. Cela concerne toutes les classes d’âge, toutes les classes sociales. Et pourtant, en matière d’accès à l’IVG, les femmes doivent encore batailler...

 


En Ile-de-France, en PACA, en Corse ou dans les Dom-Tom, les délais peuvent dépasser les trois semaines, et mieux vaut retrousser vos manches pour trouver un hôpital. L’allongement de la durée légale à 12 semaines est peu respecté, notamment en région parisienne : d’après la coordinatrice du MFPF (cf.lexique) d‘Ile-de-France, « les dix-douze semaines, seuls les médecins militants acceptent de les faire » [1]. Le droit à l’IVG est en effet soumis au bon vouloir des médecins et des directions d’hôpital, les plus réactionnaires ne se gênant pas pour l’entraver  : nombre d’hôpitaux publics sont ainsi hors la loi car ne disposant pas d’un service IVG. Francis Collier, chef du service IVG de Jeanne de Flandres (Lille), parle de « quelques mandarins parisiens refusant depuis des années de faire des IVG ». Face à une loi frileuse qui donne davantage le droit aux médecins de refuser de pratiquer de l’IVG que le droit aux femmes d’avorter, c’est près de la moitié des 857 services hospitaliers de gynéco-obstétrique qui ne font pas ou très peu d’avortements. Ainsi, près de 5000 femmes se voient contraintes chaque année d’avorter à l’étranger, ayant dépassé le délai légal. Egalement, une grosse partie des IVG sont concentrées sur quelques dizaines d’hôpitaux (une vingtaine de services réalisent 20 % des avortements), ce qui engendre des inégalités importantes d’accès à l’IVG selon les régions.

La région fait exception

Par chez nous, la situation est plus favorable. D’après Véronique Séhier, du MFPF de Lille, « la région est carrément privilégiée (...), grâce notamment au travail du planning, à l’histoire locale, au fait que le planning soit présent depuis longtemps, bien avant la loi Veil, avec aussi le MLAC [cf. lexique] de Lille ». La quasi totalité des IVG se font en hôpital public : sur les vingt-deux centres pratiquant des IVG dans le Nord-Pas-de-Calais, seuls trois sont privés. Et Lille et Roubaix [2] sont même les deux seuls hôpitaux de France à posséder un service autonome dédié aux IVG. À noter également, la coordination régionale mise en place depuis quelques années, qui a eu des effets très positifs. Résultat, les délais d’attente sont souvent proches d’une semaine dans la région (hormis les périodes de congés...), et les IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse ne posent pas de problème. Cette facilité d’accès à l’IVG permet qu’une sur deux se fasse sous forme médicamenteuse (cf. ci-dessous), qui nécessite une prise en charge avant la cinquième semaine. Enfin, en cas d’urgence les choses peuvent même aller très vite : le délai de réflexion réduit à 48h et une place en hôpital trouvée plus rapidement. Selon V. Séhier, « il y a toujours des femmes hors délais, mais ce n’est pas lié à un manque de place dans les hôpitaux. On en envoie aux Pays-Bas, mais c’est rare. »

Inégalités d’accès et Manque de personnel

Cependant, le manque de personnel pourrait devenir de plus en plus problèmatique, et le renouvellement de la « vieille » génération de médecins actuellement dans les services IVG n’est pas acquise. Si une formation existe à la faculté de Lille depuis 2001 [3], elle ne résoud pas entièrement le manque de vocations... Faut dire qu’en matière d’incitation on fait mieux : l’acte médical est largement sous-évalué et pratiqué à perte par les hôpitaux [4]. Si la métropole ou les grandes villes de la région sont pour l’instant épargnées, les délais pour réaliser une IVG dans des villes comme Fourmies ou Béthune peuvent être plus longs. Et au sud du département du Nord, les femmes n’ont pas deux solutions : c’est l’hôpital de Valenciennes qui concentre quasiment toutes les IVG. Quant aux réformes en cours (politique de rigueur budgétaire, obligation de rentabilité ou franchises médicales - cf Brique n°7), elles n’augurent rien de bon en matière d’accès à l’IVG ou à son remboursement. Selon F. Collier, « C’est évident que le coup économique par rapport à ce que rapporte une IVG va mettre l’IVG en danger ». Retour ligne automatique
Également, il existe une inégalité entre le Nord, qui dispose de dix centres de planification [5] (dont trois planning familiaux, indépendants des hôpitaux), et le Pas-de-Calais, où le seul centre existant est hospitalier. À Lens et Bruay, les deux plannings du MFPF sont contraints de ne rester que des lieux d’information, le Conseil général réservant aux hôpitaux la fonction de planification... Retour ligne automatique
Enfin, dans la région il semble qu’il y ait un manque en terme de structures militantes. D’après Sylvia, salariée à la maison des femmes de Lille, « ici ce n’est pas facile de mobiliser, par rapport à Toulouse par exemple, où il y a des collectifs, des associations, etc. C’est compliqué aussi de savoir qui aller voir pour avoir des subventions. Dans la région il n’y a même pas de conseiller régional délégué aux droits des femmes : c’est hallucinant ! » Au colloque sur la contraception [6], « il y avait le conseiller général délégué à l’enfance et la famille : c’était pure langue de bois ! Si c’est un mec comme ça qui s’en occupe, ça ne va pas avancer ! » En espérant que l’accès à l’IVG ne recule pas, ici comme ailleurs...

1 : Chiffre de l’INED, pour 2004, en légère augmentation depuis 1995.

Notes

[1Fatima Belal, citée par Le Monde, 7/12/07, «  Les françaises ont de plus en plus de difficultés à accéder à l’avortement.  »

[2Ils réalisent le quart des IVG de la région, soit autour de 3000 par an.

[3Formation continue universitaire, elle accueille 15 médecins, dure un an et coûte 300 euros. Plus d’infos sur http://w3med.univ-lille2.fr/format/auec/ivg

[4Le forfait pour une IVG chirurgicale se monte à 250 euros, contre 652 euros pour une fausse couche. Grosso modo : pour l’IVG, un hôpital est payé trois fois moins par la sécu que pour une fausse couche, alors que ces deux actes lui occasionnent des frais similaires...

[5Structure qui informe sur les moyens de contraception, l’IVG, pratique des tests de grossesse et où des médecins peuvent prescrire des contraceptifs. Un décret récent leur permet de pratiquer l’IVG médicamenteuse.

[6Colloque du 24 avril organisé par le MFPF de la région, « Choisir sa contraception ».

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