Réseau Express vers la faillite

REGL 1Imaginez des travaux pharaoniques. Ajoutez-y les notions de mobilité et de développement durable. Mélangez le tout, et vous obtenez la potion magique qui permet aujourd'hui à nos élu.es de se faire mousser : un grand projet inutile. Le Réseau Express Grand Lille (REGL) en est l'exemple typique. Une petite pyramide à plusieurs milliards que Percheron, le président du Conseil régional sortant, a voulu nous laisser en se faisant passer pour un saint, en dépit de tout bon sens.
Le REGL part d'un bon sentiment - le développement du train à la place de la voiture - mais comme toutes les idées du même accabit, il arrive à ses fins en nous manipulant par la peur. Il faut s'adapter à la grande compétition internationale entre les métropoles, et si pour vous ça ne fait pas vraiment sens, c'est pas grave, vous n'avez pas le choix. Comme le dit bien Percheron : « Si à côté du Grand Paris, vous voulez le petit Lille, vous passez à côté ». Le spectre est le même depuis des décennies :  la métropole étouffée par l'ampleur des flux, avec ici dans le rôle de l'angoisse : le blocage total d'une A1 déjà complètement congestionnée aux heures de pointe.

« Le RER lillois »

Alors de quoi s'agit-il ? La partie principale du projet consiste à créer un train à grande vitesse entre Lille et le bassin minier, qui nécessiterait la construction d'un nouveau tracé ferroviaire entre Lille et Hénin-Beaumont. Il serait prolongé par la rénovation de lignes existantes, au nord vers Armentières et Courtrai, et au sud vers Lens, Arras et Douai. À cela s'ajouterait la construction de quatre nouvelles gares : une souterraine à Lille-Flandres, une à 4 Cantons derrière le Grand Stade, une à Lesquin, et une à Hénin-Beaumont.
Le principal hic, c'est bien sûr le coût. La Région avance le chiffre de 2,3 milliards d'euros pour l'ensemble, mais personne n'y croit vraiment. La gare souterraine notamment est estimée à 490 millions, ce qui ressemble à une vaste moquerie lorsqu'on sait que celle d'Anvers, similaire, a coûté 1,6 milliard, et que celle de Marseille est estimée à 2,5 milliards.
L'ambition de ce projet « tout-à-fait banal et d'une immense simplicité » selon Percheron, n'est rien moins que de créer « le RER lillois ». Le genre de petite formule grandiloquente avec laquelle les élu.es tentent tant bien que mal de cacher l'absurdité du projet.
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Les œillères des élu.es

Comme toujours quand les élu.es ont un problème, la réponse est la même: créer une nouvelle infrastructure. Trop d'automobiles ? Créons des lignes de train ! Et peu importe que sur l'A1 les voitures transportent en moyenne par 1,1 passager1. Selon eux, le covoiturage n'est pas vraiment une solution. « Les politiques de développement des modes alternatifs à la voiture (comprendre le covoiturage ndlr) requièrent souvent des infrastrustures coûteuses et longues »1. Comment imaginer  que des voies réservées au covoiturage sur l'A1 et quelques autres mesures restrictives seraient plus coûteuses que le REGL ? Les voies du conseil régional sont impénétrables.
Peu importe surtout que des lignes existent et que leur rénovation couvrirait plus des trois quarts des places gagnées par le REGL, tout en coûtant à peine la moitié du budget annoncé pour ce dernier2. Jacques Vernier, élu Les Républicains, est dithyrambique sur le projet : « Il y a probablement quelques solutions routières à envisager, mais ce réseau est la seule solution pour à terme nous libérer de la congestion autoroutière ».
Petit calcul rapide : aux heures de pointe 145000 véhicules s'entassent aux abords de Lille3, transportant en moyenne 1,1 personne - soit en tout 159000 personnes1. Sachant que le REGL est censé en transporter 310003, passer à 1,3 passager par voiture aurait donc exactement le même bénéfice. Alors oui, c'est vrai, « il y a quelques solutions routières à envisager ».

Concentration vs. Maillage

Certains comme l'ADAV (association droit au vélo) s'inquiètent que le budget consacré au REGL n'accapare tout l'argent disponible pendant de nombreuses années, empêchant le renouvellement ou la création d'autres structures4. Comment financer après ça les aménagements plus que nécessaires au vélo, qui permettraient entre autres à des personnes de se rendre à la gare en deux roues ? Comment financer la refonte tout aussi nécessaire des services proposés par le train en région ? Ceux qui ont déjà fait des allers-retours dans l'Avesnois savent de quoi il en retourne. Dommage pour eux, le coin n'est plus un « pôle attractif », et il est difficile de faire de la communication sur de simples rénovations.
Pour Percheron, pas de problème : « Les deux milliards, on les trouvera, on les trouve toujours ». On le savait, il nous le dit clairement : la disette budgétaire est à géométrie variable. Lors de la dernière séance pleinière du Conseil régional, les groupes de tous bords ont voté pour la poursuite du projet, hormis les écolos qui se sont abstenus. Bertrand Pericaud conseiller régional et opposant Front de Gauche, qu'on aurait imaginé plus critique, a abondé dans le sens du PS. Pour lui il s'agit « d'argent bien placé ». Il ajoute : « C'est vrai qu'on est dans un contexte un peu austéritaire, mais que représente 2,5 milliards d'euros ? ». Rien n'est trop cher pour « le rayonnement de la Région ».
La ville s'étale. Selon le Percheron : « Il faut donner la chance de la métropolisation aux autres ». On aurait pu croire que l'écologie et « le développement durable » c'était aussi l'idée de permettre aux gens de travailler près de chez eux, et de créer un maillage du territoire pour limiter les déplacements plutôt que de renforcer la concentration. Que nenni. La métropole attire, englobe, puis écrase.
On finira sur un éclair de lucidité de notre  président de Région sortant : « Tout va tellement vite, que nous pouvons être technologiquement dépassés dans deux ans sur ce projet ». Tout ça pour ça.
Blondie et Lawrence
1. Schéma régional des transports de la région, 2014.
2. Voir le cahier d'acteur d'EELV sur le dossier.
3. Synthèse du dossier du maître d'ouvrage sur le REGL.
4. Voir le cahier d'acteur de l'ADAV sur le sujet.