Le rouleau compresseur lille3000

Toutes les formes d’expression artistique ne trouvent pas grâce auprès du joufflu bébé de Didier Fusillier. Sur le papier, une formidable opportunité pour les artistes locaux. En réalité, ils n’ont finalement eu que les miettes de l’énorme gâteau (9 millions d’euros de budget).

Le milieu culturel lillois est au cœur du tourbillon lille3000. Pour ceux qui ne sont pas sur le projet, comment exister au milieu de ce raz-de-marée ? La communication pharaonique leur laisse très peu de place dans l’agenda médiatique. Ils sont très dépendants des subsides que la mairie daigne leur accorder. Leurs projets sont phagocytés par la part énorme que représente lille3000 dans le budget culture des financeurs institutionnels. 500 évènements organisés et les restes pour eux. Les collectifs locaux ont de quoi être amers.

Ces évènements municipaux mobilisent la quasi-totalité des lieux d’expositions, réduisant d’autant l’espace d’expression de ces artistes non labellisés. « Quand lille3000 arrive, plus rien n’est possible » annonce Damien du collectif de La Girafe. Un discours très loin du symbole d’ouverture brandi en étendard par la mairie. La labellisation participe également de cette emprise municipale, en récupérant le travail des artistes. Dépendants des subventions, le rapport de force s’est encore accru, laissant toujours moins de place aux militant-es de la culture alternative.

Lille 2004 ou Bombaysers, ce sont surtout des appels à projets. Pour La Malterie cette année, pas le temps de prendre du temps pour Europe XXL. « Si on peut voir des choses de qualité et populaires, il ne faut pas oublier les projets de fond – structurants. On ne peut pas se perdre à participer à ce genre d’évènements ». La culture évènementielle et commerciale face à un travail de fond, de longue haleine et de terrain. Désormais, on décrète la culture, les temps et les lieux associés (du Tripostal en 2004, abandonné à une extension de la gare Lille Flandres, à Saint-Sauveur en 2009), à répondre à des appels à projets, les artistes y laissent de leur indépendance. Avec le sentiment de servir les intérêts des institutions plus que les leurs.

Des collectifs alternatifs snobés

Novembre 2007, préparatifs de lille3000 : « C’est génial, c’est super, j’aime vraiment ce que tu fais. Mais c’est con, t’es lillois, t’es pas dans les pays de l’est. Sinon on t’aurait signé direct. » Cette cinglante remarque d’Emmanuel Vinchon - bras droit de Fusillier - à un membre d’une association locale LEM illustre bien les prétextes fallacieux par lesquels certains collectifs ont été écartés de la programmation. Eux qui s’activent toute l’année pour faire vivre la culture populaire n’ont pas été conviés à la fête. Ceux qui ont grappillé un peu de thunes l’ont obtenu indirectement, grâce à d’autres associations, elles installées dans les réseaux autorisés. Il poursuit : «  Bosser avec lille3000 ça fait chier, mais si on peut, on met le paquet, au moins on se fait un peu de pognon ». Tout en voulant se maintenir à distance de cette culture institutionnelle, le LEM a présenté un projet pour la gare Saint-Sauveur : « On a monté un dossier avec le projet de faire une gare utopique, dans l’idée de la brasserie utopique qu’on avait fait à Moulins. Il y en avait pour un budget de 50 000 euros. C’est pas grand chose pour faire bosser une trentaine de personnes pendant plusieurs mois » [1]. Le projet sera écarté : « trop cher » soi-disant...

Egalement rapporté par un militant culturel bien en place, cette proposition d’animation : « Bon vous êtes payés 100 euros pour les 3 jours mais seulement, vu que y’a les charges, ce sera peut être moins... » On admirera les largesses de lille3000 qui claque 624 000 € pour acheter les 13 anges-démons de la rue Faidherbe, mais qui renâcle à sortir le chéquier quand il s’agit de payer correctement les artistes locaux.

Politique culturelle de supermarché

« Pendant lille3000 [Bombaysers, ndlr], à Auchan, les gens poussaient leur caddie en défilant devant les images de l’exposition Pinault. C’est cela, la culture pour tous », a expliqué Didier Fusillier [2]. Voilà la politique culturelle portée par le tandem qu’il forme avec Aubry. L’art est non seulement un produit, mais en plus un produit comme les autres. On consomme de la culture comme on consomme une pizza devant la télé. Dans cette culture là, pas de place pour ceux qui ont un discours dissonant, pas question de prendre des artistes trop militants, les rebelles, on les préfère venant d’ailleurs...

Notes

[1À titre de comparaison, le projet de « cité perdue » du Palais Rameau sur lequel ils travaillent actuellement s’élève à 130 000 euros pour quatre mois de boulot à vingt / trente personnes.

[2« Didier Fusillier : des idées qui fusent », L’Express, 13/03/08.