Accord National Interpro. Dialogue social, débâcle syndicale

revolutionLe 9 avril, les députés socialistes et radicaux ont voté le projet de loi dit « de sécurisation de l’emploi ». Face à cette charge violente contre le droit du travail, la mobilisation peine à démarrer. On a tenté d’en savoir plus sur le texte et sur les stratégies des syndicats qui s’y opposent, en allant frapper aux portes de leurs permanences lilloises.

 

Le texte adopté par l’Assemblée nationale reprend, presqu’à l’identique, l’Accord national interprofessionnel (ANI) signé le 11 janvier par le MEDEF, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Agnès Le Bot conduisait la délégation de la CGT lors des négociations. Dans son bureau à la Bourse du Travail de Fives, elle nous explique l’étendue des dégâts. Jusqu’à présent, les salariés avaient cinq ans pour saisir les Prud’hommes (par exemple pour le paiement d’heures supplémentaires) : ce délai sera réduit à trois ans. De plus, les indemnisations que leur versent les patrons condamnés seront revues à la baisse et plafonnées. Dans les deux cas, « c’est une prime à l’impunité patronale ». Les licenciements collectifs seront aussi facilités et accélérés : il suffira d’envoyer un document à la Direction du travail, validé en trois semaines si l’administration ne répond pas. Finies les procédures qui donnaient aux salariés le temps de se mobiliser pour contester les plans sociaux.

Autre mesure emblématique : des accords d’entreprise (comme celui mis en place par Renault) permettront de baisser les salaires, modifier le temps de travail ou déplacer la main-d’œuvre d’un site à l’autre, sous peine de licenciement individuel. Ce genre de chantage n’est pas nouveau, mais il sera désormais institutionnalisé et permettra de modifier les contrats de travail des salarié-e-s contre leur volonté. Et avec les résultats qu’on sait, comme le souligne Didier, de la CNT : « à chaque fois qu’il y a eu des accords comme ça, les mecs ont fini la gueule dehors. Ils tiennent six-sept mois, mais avec aucun maintien de l’emploi au final ».

Alternance, piège à Conférence

La liste serait encore longue, si on reprenait point par point tous les reculs dénoncés par les opposants à l’accord (CGT, FO, Solidaires, FSU et CNT). À croire qu’on a trouvé plus redoutable que les passages en force du sarkozysme : le « dialogue social » version socialiste, inauguré lors de la « Grande Conférence Sociale » organisée en juillet 2012. Il en est sorti une feuille de route, qui avait fait espérer à certains syndicats une politique plus favorable aux salarié-es. Que s’est-il passé entre temps ? Agnès Le Bot met en cause le lobbying patronal : « Le MEDEF s’est largement réorganisé, y compris en terme de lobbying vis-à-vis du gouvernement, et force est de constater qu’il a trouvé une oreille attentive ». Il est donc arrivé aux négociations en position de force, avec ses propres objectifs, et « il n’y a eu aucune discussion de fond sur les axes proposés par le document d’orientation ».


Au rez-de-chaussée de la Bourse du Travail, dans les couloirs de Solidaires, on est moins surpris. Dominique Tison, membre du Comité régional, estime que le gouvernement « est tout simplement en train de continuer une politique qui a été menée par la droite, mais pas seulement : Chirac et Sarko n’avaient fait que suivre et accentuer la politique de Jospin ». À la CNT, rue d’Arras, on ne se faisait pas plus d’illusions. Pour Laurent et Didier, il ne fallait pas aller négocier : FO et la CGT « qui refusent l’ANI aujourd’hui, n’auraient pas dû s’asseoir à cette table ». Et de rappeler quelques évidences : « On connaît les socialistes, historiquement et localement aussi, ce sont des bourgeois. La classe ouvrière n’a rien à attendre de ces gens-là ».

D’ailleurs les socialistes locaux assurent le service après-vente de cette mascarade : un débat était organisé le 5 avril par le PS Nord, en présence des député-es Rémi Pauvros et Audrey Linkenheld, pour vanter la « démocratie sociale restaurée » et répondre aux « questionnements » suscités par le texte. Comme les syndicats signataires et le gouvernement, ils brandissent fièrement quelques concessions soi-disant arrachées au MEDEF. Des miettes, peu contraignantes pour les patrons, concernant peu de salarié-e-s et sans financement garanti. Pas de quoi troubler le repos de Margaret Thatcher...

Unitaire pour quoi faire ?

Selon Dominique Tison, la facilité avec laquelle la CFDT satisfait les demandes du patronat peut s’expliquer par l’élection d’Hollande. En 2010, elle n’avait pas osé défendre la réforme des retraites de Sarkozy « mais là, elle hésite moins parce c’est un gouvernement de gauche, ce qui la légitime plus dans sa position » néolibérale. Sans oublier la CFTC et la CGC, les deux autres syndicats qui ont signé l’accord, et l’UNSA qui le soutient sans avoir participé aux négociations : « ça correspond aux syndicats qui ne se réclament pas de la Charte d’Amiens, la référence du syndicalisme de lutte. Ils sont convaincus que leur rôle est d’accompagner les réformes ».

De son côté, la direction de la CGT s’efforce d’arrondir les angles et de maintenir la ligne du « syndicalisme rassemblé ». Quand on interroge Agnès Le Bot sur la CFDT, elle répond dans la langue de bois confédérale en parlant d’une « configuration unitaire compliquée » et d’une « appréciation différente voire divergente ». Mais sur le terrain, le ton est souvent moins ampoulé. À Auchel, Béthune, Bruay, Lillers et Isbergues, les unions locales et syndicats CGT ont appelé à des actions communes contre la « flexi-précarité » voulue par le « patronat et ses partenaires officiels : CFDT, CFTC et CGC ». Plus clair encore, lors de la journée d’action du 5 mars, un drapeau CFDT a été brûlé dans la manifestation lilloise. Les dirigeants cégétistes ont réprimandé leurs troupes au nom du « pluralisme » et invité la CFDT à un défilé commun pour le premier mai... en vain. Ailleurs, que ce soit à Force Ouvrière, Solidaires ou la CNT, l’idée d’un syndicalisme rassemblé à tout prix laisse aussi dubitatif. Pour Dominique Tison, « à l’heure actuelle, être à côté de la CFDT, c’est aussi être à côté du MEDEF ».

Savoir commencer une grève

Entre les mains des sénateurs à partir de la mi-avril, la loi pourrait être promulguée avant la fin du mois de mai, car le gouvernement a choisi une procédure d’urgence. Le temps est donc compté pour la mobilisation. Après le 5 mars, les opposants ont de nouveau manifesté le 9 avril mais les cortèges n’ont pas grossi (un millier de personnes à Lille). Et il faudra attendre le 1er mai pour tenter de faire mieux. Face au rouleau-compresseur libéral, on peut craindre que ces journées d’actions ne suffisent pas. Force Ouvrière prône la grève générale – depuis la défaite sur les retraites – tandis que la CGT tempère : « On va déjà informer largement les salariés, faire en sorte qu’ils puissent se mobiliser par toutes les formes possibles, dans l’entreprise, dans les manifestations, sous forme de pétitions... » explique Agnès Le Bot.

À Solidaires comme à la CNT, on est favorable à la grève générale, tout en admettant qu’actuellement les conditions ne sont pas réunies. Didier considère qu’on va « vers des luttes plus dures, ce qui permet d’exprimer une certaine radicalité. Mais il y a quand même beaucoup d’individualisme, et beaucoup de peur, surtout face à des licenciements ». La première des urgences : que la peur change de camp.

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