Expulsion du 5 étoiles : CRAches misère

5 étoiles
Le 5 étoiles était un lieu occupé depuis novembre 2017 par des personnes exilées, majeures et mineures, ainsi que des personnes sans abri. Une procédure était en cours pour exiger qu’il n’y ait pas d’expulsion sans réelle solution d’hébergement. La décision du tribunal devait être rendue le 6 juin mais le préfet en a ordonné l’expulsion deux jours avant.

Mardi 4 juin dès 5h45, une partie du quartier Moulins est totalement bouclé par des flics agressifs, armés et casqués. Une dizaine de bus aux vitres teintées de la compagnie privée Inglard1 stationne dans la rue Jean Jaurès. À 6h du mat’ l’ordre est donné d’attaquer, la charge est violente. Une partie des soutiens se poste devant l’entrée, mais est très rapidement dégagée sans ménagement.

À l’intérieur, les habitant.es et des soutiens improvisent pour retarder l’expulsion en bloquant la grille avec les moyens du bord. Les flics gazent à tout va, scient les cadenas et forcent l’entrée. Ils en profitent pour nasser les personnes regroupées à l’intérieur et commencent le tri.

« Passez 4 par 4, ça sera pas violent »

Les premières personnes qui sont extirpées du squat sont celles qui ont fait le choix de se mêler aux habitant.es. Le but de cette action est clair : les isoler et les désolidariser des soutiens afin de faire le tri tranquillement, loin des regards. Les policiers brisent les chaînes humaines et trainent les personnes toujours plus violemment vers l’extérieur. Clef de bras, étouffement, taser. Une personne qui était à l’intérieur raconte : « Le policier agrippe les cheveux d’une fille, elle crie qu’elle a mal mais il continue en hurlant : "c’est qui le patron ?! c’est qui qui fait la loi ici ?!" ». Les soutiens sont systématiquement contrôlés et photographiés avant d’être escortés quelques rues plus loin. Après une garde à vue de trente-six heures, seize personnes sont poursuivies et passeront devant le tribunal en janvier 2020.

À l’intérieur, les policiers tentent le bluff et l’un d’eux assure à voix haute : « ne vous inquiétez pas, vous serez tous hébergés, passez quatre par quatre ça sera pas violent ». S’ensuivent des applaudissement devant ce qui apparaîtra comme une grossière manipulation. Les personnes sont alors mises en file indienne et la Police aux Frontières contrôle les papiers de chacun.es. D’après Sofiane, « ils avaient une liste, si ton nom n’y est pas, ils l’écrivent sur la feuille et disent "toi tu montes dans le bus 2, toi dans le bus 4". C’était quelque chose qui était préparé. »2

Déportation préfectorale

Les personnes sont contraintes de monter dans les bus sous escorte policière, sans indication de l’endroit où elles vont. « Les bus se suivaient. Un bus a tourné, nous on a continué, mais on ne savait pas vers où. Quand on demandait au chauffeur et à la police, ils nous disaient : "on ne sait pas !" ». Pour les soutiens restés à Lille, les informations arrivent au compte goutte au gré des coups de téléphone et des panneaux routiers.

Il semble qu’une quarantaine de demandeurs d’asile ait été emmenée dans des CAO ou des CADA (voir carte). Mais ces solutions d’hébergements semblent d’emblée précaires et provisoires. Loin de Lille, de leurs ami.es et des réseaux de solidarité qui avaient été construits, certains lieux sont dépourvus de matelas et dans l’un des cas, seulement 15 jours d’hébergement sont prévus. Une trentaines de mineurs sont pour leur part emmenés à Armentières. D’après Lionel, « ils nous ont fait descendre du bus pour nous faire rentrer dans la cour du bâtiment, sans nous dire où on était, c’était hyper flippant ». Hébergés dans un ancien hôpital psychiatrique, étrange conception de la mise à l’abri. Une fois de plus, les étranger.es sont emmené.es de force et déplacé.es comme de vulgaires marchandises.
On ne sait pas exactement combien de personnes ont été enfermées en Centres de Rétention Administrative (CRA)3, mais il semblerait qu’elles aient été environ soixante le premier soir. Les informations les concernant sont encore plus difficiles à obtenir car dès leur arrivée dans les commissariats, avant même d’être mis en détention, les téléphones avec appareil photo sont tous confisqués4.

CADA

Au pays du foutage de gueule

Jeudi matin, deux jours après l’expulsion, le Juge de l’Exécution (JEX) accorde un délai de trois ans aux habitant.es du 5 étoiles estimant « qu’il n’apparaît pas qu’une solution d’hébergement ait été proposée par les pouvoirs publics »5. Le préfet Michel Lalande aurait-il eu vent de la décision du JEX avant sa publication ? En tout cas, comme à son habitude lors de l’expulsion de lieux de vie, la préfecture réserve des places à l’avance dans différents CRA en vue d’un enfermement massif. Jeudi matin, d’après une personne venue assister au délibéré, « la juge de l’exécution est furieuse ». Certes, la procédure ne suspendait pas une possible expulsion, mais la coutume veut que le préfet attende la décision du JEX pour agir6. L’institution judiciaire, vexée que l’exécutif lui soit passé devant, accorde le délai maximal d’occupation du lieu.
Pour toute personne ayant fréquenté le 5 étoiles, il paraissait cependant inimaginable de rester trois ans de plus dans ce hangar vétuste.
Un habitant rappelle que « l’endroit était sale, là où on dormait c’était pas bon et on nous donnait de la nourriture périmée ». Derrière le côté symbolique de cette décision se joue une bataille dans laquelle les premiers concernés ne sont que des pions.5 étoiles

aCRAab

Une fois enfermées, les personnes sont présentées devant le Juge des Libertés et de la Détention qui détermine de la poursuite de leur enfermement7. En cas de maintien en détention, il est possible de faire appel de cette décision (voir l'article « Rafles et résistances » sur le site de La Brique). Certaines personnes seront libérées par la cour de Douai sous prétexte d’un « contrôle irrégulier »8. Mais ce délibéré est une exception au regard de la grande majorité des cas où le maintien en rétention est prononcé.

La préfecture du Nord, à l’image de la France, perpétue sa tradition de non-accueil des étranger.es. Les lois sont faites pour dissuader, contrôler, réprimer et enfermer les « immigré.es ». Et la récente loi Asile et Immigration renforce encore et toujours le processus, notamment la possibilité d’enfermer les personnes jusqu’à 90 jours. Il n’est donc pas étonnant qu’après cette expulsion plusieurs dizaines de personnes se retrouvent dans des CRA dans l’attente d’une déportation forcée.
Loin de la « simple » expulsion d’un lieu occupé sans droit ni titre, l’opération policière de mardi 4 juin cherchait surtout à débarrasser du quartier celles et ceux considéré.es comme des indésirables : toute la matinée, la police a ratissé le quartier de Moulins et embarqué plusieurs personnes qui avaient quitté les lieux avant l’arrivée de la police. Les ordres sont clairs : on rafle !

Un 5 étoiles de perdu...

Pour les ancien.nes habitant.es du 5 étoiles, deux semaines après l’expulsion, l’exclusion s’est renforcée. Sans régularisation, les situations administratives sont loin d’être réglées et le déplacement forcé accentue la complexité d’obtenir les « bons papiers ». Pour les demandeurs d’asile en CRA c’est un avenir sans statut légal qui s’annonce : s’ils ont la chance de sortir, il faudra vivre caché pendant les 18 prochains mois. Pour celles et ceux restées dans le quartier de Moulins ou pour certain.es exilé.es qui ont déjà quitté les foyers au risque de perdre leur Aide au Demandeur d’Asile, la volonté de résister passe par la possibilité de continuer de se réunir pour vivre et lutter ensemble.
Face à la perte d’un lieu collectif, d’habitudes quotidiennes, de toutes parts ça tente de résister à la destruction des liens crées. Contre le mépris et la dispersion institutionnelle, vive les points d’ancrages !


Sasa, Air Chaos, RoSeau, Tata et Truc

1.Inglard est un habitué du business des expulsions : « Calais ? Get ready, get angry ! », Indymedia Nantes, octobre 2016.
2. « Expulsion, rafle, enfermement et dispersion des exilé.es à Lille », Les poings sur les i de 12h à 13h, lundi 10 juin, Radio Campus Lille. Écoutable en podcast.
3. Les Centres de rétention administrative sont des prisons pour étranger.es dans l’attente de leur reconduite à la frontière.
4. Le collectif des Olieux lance un appel aux dons de téléphones sans appareil photo avec leurs chargeurs. Vous pouvez les déposer lors des permanences du mercredi après midi ou de l’assemblée du dimanche. Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..
5. Extraits du jugement du JEX rendu le jeudi 6 juin 2019.
6. Le 5 étoiles n’est pas un cas isolé : récemment plusieurs habitats individuels ont été expulsé par la préfecture avant le délibéré du JEX.
7. 48 heures après le début de la rétention, le JLD se prononce sur une première prolongation de 28 jours. La loi autorise un enfermement allant jusqu’à 90 jours.
8. Décision de la cour d’appel de Douai rendue les 8 et 9 juin 2019.

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