La régie, idéal type ?

Le privé se partage 80% du marché français de l’eau. Les 20% restant sont gérés directement par les communes qui se regroupent le plus souvent en “syndicats mixtes” pour favoriser l’échange des compétences. Le SIDEN en est un exemple.

 

Le SIDEN (Syndicat Interdépartemental Des Eaux du Nord de la France), est un véritable mastodonte de la gestion de l’eau, regroupant près de 500 communes de la région et desservant plus de 750 000 habitants. Ce syndicat mixte fait figure d’exemple : il prouve la possibilité de créer une structure publique pouvant déployer une compétence similaire à celle des multinationales. Cela ne va pas sans heurter la sensibilité desVéolia et consorts qui, forts de leur capacité de nuisance, prennent un malin plaisir à empêcher le développement de la régie.

La bataille juridique

P. Raoult, président socialiste du SIDEN, ne les porte pas dans son coeur : “C’est une lutte à couteaux tirés, permanente. Et eux ont les moyens juridiques : ils sont organisés, ils ont des avocats, etc.” (1) Le terrain juridique n’est pas neutre. D’après le directeur du SIDEN B. Bonduel, les recours systématiques des multinationales trouvent des soutiens au plus haut niveau. Le Conseil d’Etat leur donne raison, contre toute logique, dans des délais records plutôt surprenants. La même dynamique se met en place à l’échelon européen : la dérégulation des marchés (2) limite les marges de manoeuvre du SIDEN et les empêche de se protéger des assauts des multinationales  : “Le droit communautaire [européen] est contre nous ”.

Pratiques douteuses

Si l’international est révélateur des méthodes les plus ignobles de ces fleurons de l’économie française, le Nord-Pas-de-Calais n’est pas en reste. Le personnel élu de la mairie de St Amand s’étant engagé à passer en régie s’est vu soumis à une “ pression physique ” de la part de l’entreprise délégataire qui voyait d’un mauvais oeil la rupture du contrat. Les insultes et menaces en pleine délibération du conseil municipal donnent une idée de l’ambiance. D’après B. Bonduel, il est aussi étonnant que des communes ayant bouclé le processus de passage en régie changent d’avis au dernier moment sans donner d’explication. On n’en saura pas plus.Retour ligne automatique
Régie vs DélégationRetour ligne automatique
Les arguments en faveur de la régie sont évidents : 30 % moins cher. Les prix de la SEN correspondant à peu près à ceux du SIDEN, on pourrait se dire que l’écart est comblé  ; sauf que le SIDEN gère des territoires ruraux. D’après une étude du ministère, le rural coûterait 25 % plus cher : “Quand vous alimentez la commune de Gognies, 2000 habitants et 20 km de réseau, ce n’est pas la même chose que de mettre un tuyau au pied d’Euralille”. On en déduirait donc une surfacturation par la SEN de 25 %  ?
Autre argument : la transparence. Si les juges sont dans l’impossibilité d’avoir accès aux comptes des multinationales, il en est tout autrement des régies publiques qui sont contrôlées tous les ans par la Chambre Régionale des Comptes et la Cour des Comptes dont les rapports sont rendus publics. Encore faut-il savoir les lire.

LMCU : un retour en régie ?

L’argument de la meilleure gestion par le privé est souvent avancée pour justifier la délégation. Or, les expériences le prouvent : si la volonté de passer en régie publique est bien maîtrisée, les collectivités ont les moyens d’assurer la gestion de l’eau. La question est avant tout d’ordre politique. Si la LMCU s’engage sur la voie de la régie, il faut qu’elle l’anticipe au moins deux à trois ans à l’avance. Un travail de fond qui ne peut démarrer qu’à partir du moment où la LMCU se sera engagée fermement dans cette voie.

L’ambiguité des politiques

Monsieur Darques refuse d’admettre que les intérêts des multinationales resteront à jamais incompatibles avec une mission de service public. On peut le comprendre : en tant qu’élu UMP, cette position serait difficillement tenable. Avec réticence, il admet qu’en matière de gestion de l’eau, et vue les circonstances actuelles, la régie s’impose.Retour ligne automatique
Il est plus étonnant d’entendre un élu Vert refusant de trancher la question. Il ne voit aucun mal à ce que l’eau soit gérée par le privé “dans le cas où le contrat est bien ficelé”. M. Santré admet que l’objectif du délégataire est bien la rémunération maximale des actionnaires et la conquête de parts de marché. Pour l’élu, il s’agirait simplement de rédiger un contrat favorable et d’en vérifier son exécution. A la question de savoir s’il est envisageable de poster un flic derrière chaque technicien et de contrôler la moindre opération du délégataire, il ne répond rien.

Alors tout public ?

Un service public n’est pas gage d’excellence en tant que tel. Il existe nombre d’exemples où les communes ont démontré leur incompétence. D’autre part, le manque de transparence n’est pas l’exclusivité du privé. L’Etat et les collectivités territoriales sont aussi des lobbies à la recherche de nouveaux pouvoirs et de nouveaux capitaux. En ce domaine, la transparence n’est pas toujours une alliée. Au delà de la question idéologique (pour ou contre le privé) se dessine un terrain d’affrontement où l’eau devient enjeu stratégique. Représentantes et représentants des institutions ont intérêt à batailler pour récupérer un terrrain qu’ils ont délaissé vingt ans plus tôt. Ils leur étaient plus simple à l’époque de se remplir les poches et celles de leurs partis grâce à la “générosité” des multinationales. L’enjeu ne se résume donc pas à contester un contrat ou une privatisaton : il nous faut poser la question de la place de la société civile dans les affaires qui la concerne. A ce sujet, une remarque d’un de nos interlocuteurs est révélatrice : tandis que nous revendiquions l’exigence de transparence des institutions, il nous enjoignait sincèrement à nous faire élire pour avoir accès aux informations. Il semblait oublier que le personnel de l’Etat et des collectivités est sensé être le dépositaire du pouvoir du peuple et en aucun cas le propriétaire de ce pouvoir. L’enjeu est bien là, loin des pures logiques comptables qui évacuent la question du politique.

1 : Les citations de P. Raoult sont tirées du site internet PasserellesSud.org

2  : Certaines questions sont considérées comme relevant d’une mission de service public. Elles sont gérées par les collectivités ou l’Etat (énergie, eau, transports, éducation, etc.). Or, les milieux d’affaires (notamment le FP2E) font pression avec succès sur les institutions européennes et internationales pour imposer la libre concurence dans ces domaines. La directive Blokstein va dans ce sens.

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